Être auteur, c’est plus que rester caché derrière un écran d’ordinateur à coucher sur papier les mots qui vont aider à raconter une histoire. Être auteur, c’est aussi accepter de se mettre à nu pour un nombre indéfinissable d’inconnus qui vont lire cette histoire puisque, souvent, la ligne entre fiction et réalité est mince. Justement parce qu’elle est mince, cette ligne n’est pas perçue par tous. Lorsque la distinction entre les deux côtés n’est pas faite, celui qui en souffre le plus, c’est l’auteur. Dans son roman autofictionnel Auteur maudit, maudit auteur, Yvan Godbout raconte comment une mauvaise interprétation de son roman Hansel et Gretel, écrit pour la collection des Contes interdits (publiée aux Éditions ADA), lui a coûté sa réputation et sa santé.
Ce roman a fait polémique il y a quelques années. Une enseignante (qui n’est pas nommée dans Auteur maudit, maudit auteur) a porté plainte en 2018 contre l’écrivain, l’accusant de production de pornographie juvénile. C’est la description de l’agression sexuelle incestueuse que fait subir le père de Gretel à cette dernière qui fait l’objet précis de cette accusation. La plainte a mené à un procès devant la Cour supérieure du Québec en 2019. En 2020, l’auteur a été acquitté.
Pour Yvan Godbout, cette histoire est une profonde injustice. Dans son autofiction, il se demande pourquoi cela lui est tombé dessus alors qu’il n’est ni le premier ni le seul auteur à décrire des phénomènes comme le viol, la pédophilie ou l’inceste. Après avoir lu 26 livres de cette collection, dont Peter Pan, La princesse au petit pois et Ali Baba et les 40 voleurs, et deux spin-off parmi lesquels Dr. Ward : Sculpteur de mémoire, je dois reconnaître que Hansel et Gretel aborde des thèmes sombres de façon particulièrement brutale. À certains moments, le lecteur peut ressentir le besoin de fermer le livre pour reprendre ses esprits. Cependant, Peter Pan de Simon Rousseau, qui aborde également l’abus de mineurs, n’est pas moins sombre ou brutal. Chaque auteur contribuant à l’expansion des Contes Interdits a son propre parcours et sa propre manière de coucher sur papier la démence à l’état pure. Aucun membre de ce collectif d’auteurs ne fait exception à la règle.
Si certains auteurs se sont portés à sa défense, d’autres ont préféré se tenir à distance de peur que leur engagement sur la question puisse nuire à leur propre carrière. Dans Auteur maudit, maudit auteur, l’écrivain se questionne sur ce qui peut expliquer cet acharnement envers lui ; son sexe, son âge ou son orientation sexuelle sans y trouver de réponse.
Yvan Godbout ajoute également que, pour développer une opinion solide sur une histoire, il faut comprendre le contexte. Pour ce faire, il faut poser des questions, faire des recherches, et surtout lire le texte dans son intégralité. Autrement dit, la curiosité est le premier outil d’un lecteur habile et la communication, l’outil principal pour éviter les malentendus. Je pense également que, pour comprendre le sens qu’un auteur a voulu donner à un texte, la meilleure solution reste de lui demander (à moins qu’il soit décédé). Dans le cas d’Hansel et Gretel, l’enseignante n’avait pas lu plus loin que la treizième page alors que le roman en compte 250. Elle n’a pas non plus fait de recherches ni posé de questions. Selon Yvan Godbout, si son accusatrice avait pris la peine de s’informer, elle aurait su qu’il y a toujours une distinction à faire entre un texte et son auteur.
Pour l’auteur, il est aussi question d’une injustice pour ses proches puisqu’eux aussi ont été pointés du doigt suite à ces accusations. Par exemple, Yvan Godbout décrit avec une profonde amertume l’humiliation qu’il a ressentie lorsqu’il a été arrêté très tôt le matin sous le regard médusé de son conjoint.
Le style d’écriture intimiste d’Auteur maudit, maudit auteur permet au lecteur de se sentir proche du narrateur et de comprendre sa perspective sur les événements. C’est à travers une correspondance fictionnelle avec son grand frère défunt et un démon qu’Yvan Godbout illustre de manière très intelligente la dualité entre son désir de se laisser enfoncer dans la dépression et celui de rester sain d’esprit pour ses proches. Comme il est possible de le comprendre à la lecture de ce très touchant ouvrage, sa relation avec ces derniers a beaucoup inspiré l’auteur dans l’écriture de ses romans horrifiques et sert également de toile de fond pour expliquer son rapport avec le monde extérieur. Même si l’auteur précise que c’est au lecteur de tracer la ligne entre la réalité et la fiction, un lecteur attentif pourra très facilement la discerner.
Depuis cette histoire, Yvan Godbout, en plus de son autofiction Auteur maudit, maudit auteur, a écrit deux suites à Hansel et Gretel : Boucle d’Or, paru en 2019, et Le Petit Poucet paru en 2023. Un spin-off intitulé Bastien et Mathis ; Les orphelins Andersen paraît la même année. Il a également écrit un dernier roman pour Les Contes Interdits qui penche davantage vers le fantastique que l’horreur : Le Bonhomme Sept-Heures. Aujourd’hui, Yvan Godbout a pris sa retraite du métier d’auteur. Ces cinq dernières années ont été très lourdes à supporter et il préfère se retirer du milieu pour tenter de se reconstruire. Finalement, le manque de jugement de cette enseignante lui aura injustement coûté sa carrière.