En septembre, j’ai eu la chance de discuter avec Alain Ducharme, président du conseil administratif du Congrès Boréal. Cet événement existe depuis les années 1970, et avec environ 230 participants cette année, le Congrès est en plein essor. Grâce à la taille du Congrès, il y a un contact privilégié avec les auteur.e.s qui est unique dans le milieu littéraire québécois.
ImaginAtlas est honoré d’avoir reçu le Prix Boréal Fan Edition en 2018 et 2022 (un des multiples prix qui sont décidés grâce à un vote du public durant le Congrès) et d’avoir été nominé à nouveau cette année. J’ai personnellement assisté au Congrès Boréal à plusieurs reprises, donc j’avais hâte de jeter un coup d’œil derrière le rideau de son histoire, de sa mission et de son déroulement à travers les années.
ImaginAtlas: Quand avez-vous entendu parler du Congrès Boréal pour la première fois ?
Ducharme: C’était autour de 1989. J’en ai entendu parler pour la première fois quand j’étais à l’université. J’avais déjà commencé à écrire et je lisais de la science-fiction et du fantastique depuis longtemps. Je me suis impliqué assez rapidement à animer des tables rondes et à donner un petit coup de main à l’organisation.
Pouvez-vous me décrire votre rôle dans le Congrès maintenant ?
Ducharme: Présentement, je porte deux chapeaux différents. D’un côté, je suis président du conseil d’administration. SFSF Boréal, qui est notre organisme sans but lucratif, organise seulement le Congrès, mais il y a d’autres activités qu’on organise aussi. Par exemple, on a récemment développé un concours de nouvelles pour les étudiants.
J’étais aussi membre du comité d’organisation du Congrès Boréal. Cette année mon travail est beaucoup plus logistique, alors que l’an dernier j’étais beaucoup plus impliqué dans la programmation.
J’ai remarqué que vous avez animé plusieurs tables rondes cette année. Est-ce que c’est quelque chose que vous faites chaque année et qu’est-ce qui vous a motivé à participer à ces panels ?
Ducharme: D’abord, j’aime animer. Il y a toujours du travail logistique à faire, mais je ne veux pas perdre le contact avec le sens même du Congrès. Avant tout, le but est de susciter des conversations intéressantes. On met ensemble des auteurs qui ne se connaissent pas nécessairement, du coup on ne sait pas exactement comment l’échange va se passer, et c’est ça le fun là-dedans.
De nombreux nouveaux auteurs figurent au programme du Congrès boréal cette année. Y a-t-il une œuvre ou un.e auteur.e qui a vraiment retenu votre attention ?
Ducharme: C’est une bonne question. Je dois avouer que je suis un peu en retard dans mes lectures, mais le fait d’avoir Alain Bergeron comme invité d’honneur est important pour moi. Qu’Alain arrive avec une série de romans ou qu’il développe l’univers de sa nouvelle qui a tellement marqué la culture québécoise, je pense que c’est quelque chose qui mérite d’être célébré.
Je ne réponds pas exactement à ta question, mais il y a aussi Solaris qui fête ses 50 ans. La revue Solaris continue d’attirer mon attention à chaque parution. C’est une bonne façon de trouver des nouveaux auteur.e.s et de voir comment la littérature de genre continue d’évoluer au Québec.
On a aussi quelqu’un comme Mélodie Joseph, qui est une nouvelle voix dans la milieu, qui apporte une fraîcheur dans tout ce qu’elle écrit. Elle est au début de sa carrière en tant qu’auteure et j’ai hâte de voir comment elle va se développer puis comment son œuvre va continuer d’évoluer.
Volontairement je ne peux pas mentionner tout le monde, mais Dave Côté est un ami et c’est quelqu’un dont la plume plait toujours beaucoup. J’ai justement à côté de moi son dernier roman qu’on attend depuis vraiment plusieurs années. Je suis un fan de ces nouvelles aussi et on est dans le même groupe d’écriture, ce qui me permet d’avoir des indices sur quoi il travaille et comment sa créativité se dérive.
En parlant de ces auteur.e.s, quelle est votre œuvre de fiction spéculative préférée ? Y a-t-il quelque chose qui vous attire particulièrement vers ce type de fiction ?
Ducharme: J’ai toujours été très polyvalent en termes de ce que je lis. Évidemment, je pourrais dire l’œuvre complète de Daniel Sernine et beaucoup de romans d’Élisabeth Vonarburg—ce sont des œuvres phares pour notre milieu. Si on sort de la littérature québécoise, un auteur comme Charles Stross a une créativité et une intelligence incroyable qu’il applique dans sa construction d’univers. Il ne répète pas juste les clichés de la littérature de genre, mais il les questionne, les déconstruit, et les explore. Un cyberpunk ou un space opera en 2024 ne va pas nécessairement dire la même chose qu’il y a 20 ans. Des fois, dans les bases de la littérature du genre, il y a des choses qui sont très euro-centriques ou qui se basent sur une certaine vision du monde.
Ce que je trouve important dans les littératures de l’imaginaire, c’est qu’on parle toujours de nous. C’est intéressant de voir comment la littérature de genre permet des éclairages différents sur notre société et sur qui on est.
Comment le Congrès a-t-il été fondé ?
Ducharme: La clé est évidemment Élisabeth Vonarburg, qui a toujours été d’une énergie débordante. Si on se rapporte aux années 1970, le milieu de la littérature de l’imaginaire au Québec était tout petit. T’as des gens comme Elisabeth Vonarburg et Daniel Sernine qui commencent à écrire, et de l’autre côté tu as Solaris, qui commence sous le nom Requiem et qui offre une avenue où les auteurs peuvent envoyer leurs textes. Il y avait quelques personnes qui, en l’espace de quelques années, ont vraiment commencé à réaliser qu’ils partageaient quelque chose en commun. Ça devenait naturel de dire qu’on va se regrouper, puis on va passer une fin de semaine à échanger sur ce qu’on lit et ce qu’on écrit.
Le modèle du Congrès Boréal était celui de la convention de la science-fiction Américaine, qui existe encore, mais je dirais que ça a évolué depuis. Au Québec, on a nos propres institutions littéraires et fonctionnement. En termes de rôle, le fait qu’on est une société de 9 millions [dont la majorité] parle français est unique.
Le Congrès Boréal s’est déplacé à travers le Québec au cours de sa longue histoire. Qu’est-ce qui vous a motivé à choisir Montréal comme lieu permanent pour le Congrès ?
Ducharme: En déplaçant l’événement d’une ville à l’autre, on a vraiment augmenté les coûts. Surtout récemment, organiser des événements est plus compliqué et les prix pour louer des salles dans un hôtel sont élevés.
On a une communauté qui vit un peu partout à travers le Québec. On organise à Montréal parce que la plupart de l’équipe d’organisation vit à Montréal et c’est un lieu plus central. Le trafic pour les gens qui viennent de loin est un désavantage, mais il y a aussi les transports en commun.
On s’est installé au Collège Bois-de-Boulogne, où je suis enseignant, ce qui facilite une bonne partie du travail logistique et encourage les étudiants à profiter de la programmation. Certains étudiants ont déjà commencé à écrire et veulent s’affirmer, donc c’est vraiment important d’y répondre.
Quelle est votre partie préférée du travail pour SFSF Boréal ?
Ducharme: C’est les gens et les liens qui se développent entre eux. Il y a des fois de nouveaux visages, puis des fois je reprends contact avec des gens que je connais depuis des années. Il y a des conversations qui continuent au fil des années; par exemple, une année quelqu’un nous parle d’un livre puis l’année suivante on l’a lu. Évidemment pour moi, le Congrès a un aspect familial.
Comment le processus d’inscription pour des événements comme les tables rondes est-il géré ? Est-ce que les auteurs se proposent ? Si quelqu’un veut contribuer, comment est-ce qu’on le fait ?
Ducharme: Ce n’est pas un mécanisme trop formel. Il y a une équipe qui développe la programmation, mais avant de la faire, on trouve les auteurs invités de l’année, qui vont nécessairement participer aux panels. Après, on réfléchit sur un thème, puis les petits twists qu’on peut donner pour amener la conversation dans de nouvelles directions. On a fait aussi une pré-vente pendant l’été, ce qui nous permet de proposer des tables rondes qui intéressent les participants. C’est un jeu d’équilibre pour plaire à tous nos publics.
Il y a certains habitués, mais on veut aussi varier. Les animateurs ne sont pas toujours des gens de SFSF Boréal, mais des gens de la communauté qui connaissent bien le milieu. C’est plus un art qu’une science. Par exemple, en 2024 il y a quelques tables rondes animées par des enseignants de philosophie. On ne voulait pas juste mettre des auteur.e.s de science-fiction autour d’une table, et ces enseignants pourront donner une teinte différente à la conversation et amener les auteurs à réfléchir d’une manière différente.
Est-ce qu’il y a quelque chose d’autre que vous voulez nous partager ?
Ducharme: Oui, je veux donner une invitation ouverte à venir au Congrès Boréal de l’année prochaine pour ceux qui ne nous connaissent pas déjà. Il y a des gens qui viennent depuis les dernières décennies, mais c’est aussi important que ceux qui viennent pour la première fois se sentent accueillis et se trouver une place.
Offrir cet espace de rencontre, c’est quelque chose auquel je crois profondément. Je pense que cet événement peut aussi intéresser des gens qui ne sont pas des lecteurs de genre. Il y a quelque chose qu’on offre pour la littérature en général et qui peut être vraiment excitant.
En somme, Alain Ducharme et toute l’équipe qui travaillent dans les coulisses du Congrès Boréal travaillent fort chaque année pour organiser un congrès qui met en valeur les nombreuses voix vibrantes de la scène littéraire spéculative du Québec. La passion de Ducharme pour ce projet est évidente et elle se poursuivra sans doute pour de nombreuses années encore. Peu importe si le français est votre langue maternelle, la communauté est extrêmement chaleureuse et accueillante, et cela vaut la peine de faire un tour au Congrès Boréal, même si ce n’est que pour une journée de la fin de semaine.