Fanie Demeule est doctorante en études littéraires à l’UQAM où elle enseigne également la littérature; elle est aussi responsable éditoriale pour les éditions Tête première et Hamac, romancière, scénariste, nouvelliste, grande amoureuse de l’Écosse et, plus récemment, lauréate de la 7e édition du Prix des Horizons imaginaires. Pour célébrer cette récompense, revenons sur le Prix des Horizons imaginaires, ainsi que l’oeuvre célébré le 26 novembre dernier, Highlands.
Durant l’avant-dernier jour du Salon du Livre de Montréal, au Palais des Congrès, le roman de Fanie Demeule a su séduire le jury intercollégial devant Valide de Chris Bergeron, roman de science-fiction autobiographique, et Une odeur d’avalanche de Charles Quimper, roman de réalisme magique.
Le Prix des Horizons imaginaires est une initiative fondée par Mathieu Lauzon-Dicső, ex-enseignant de français du Collège Marianopolis et administrée par la Fondation Lire pour réussir. Désirant susciter le goût de la lecture chez les jeunes, le Prix des Horizons imaginaires confie chaque année à un jury composé d’étudiant.es de divers cégeps la lourde tâche de récompenser une œuvre francophone de genre parmi une sélection.
Le prix est uneoccasion en or de braquer un peu plus de lumière sur la littérature de genre québécoise en dehors de l’horizon restreintde l’horreur. La littérature de genre francophone n’étant pas des plus promu par les grands médias ou les lieux d’éducations, il ne faut pas négliger l’acte de légitimation apporté par le prix. Mettre ainsi cette littérature sous le feux des projecteurs, en plus d’en exposer un jeune lectorat, permet de célébrer cette forme de la littérature de genre, voire même de la légitimiser. Dans cette même veine, c’est de montrer au jeune lectorat que la littérature québécoise peut être aussi intéressante que la littérature étrangère, aussi innovatrice, audacieuse et réussie.
Le trophée de cette année est la création de l’artiste Karl Dupéré-Richer, qui offre au Prix des Horizons imaginaires sa matérialisation physique depuis maintenant six ans. Tel qu’expliqué sur son blog, le trophée est assemblé à partir d’objets disparates, créant un fertile lieu de l’imaginaire tant il évoque l’aventure et les lieux irréels. Il représente ce qui semble être une capsule d’exploration steampunk ayant la forme d’un poisson : un délice pour les imaginaires sachant rêver.
Le Prix des Horizons imaginaires est le deuxième prix que l’année 2022 fait remporter au cinquième ouvrage de l’auteure longueuilloise. En juin dernier, Highlands a remporté le prix Jacques-Brossard de la science-fiction et du fantastique québécois, en duo avec Mukbang, un autre roman de la doctorante, paru en 2021.
Avec chaque nouvelle création, Fanie Demeule emporte son lectorat plus profondément dans sa plongée en apnée dans les eaux troubles de la littérature de genre, et ce, pour notre plus grand plaisir. Après deux premiers romans aux éléments fantastiques qualifiés de légers par l’auteure elle-même (à voir plus bas dans l’entrevue), Highlands marque la production de la romancière par une plongée plus drastique dans la littérature de genre. Highlands nous emporte en Écosse, terre de ces fameux highlands, pour une injection d’ambiance maitrisée et de drames cryptiques. L’influence gothique du roman sert à merveille son ambiance, faisant ressortir les caractéristiques naturelles de l’Écosse des imaginaires : sa brume, ses dunes à perte de vue, sa nature aux allures passives mais regorgeant de foyer de menace potentiel… bref cette terre menaçante et hantée. Highlands, c’est trois histoires entremêlées de trois femmes voyageant en Écosse pour s’évader. Mais dans l’isolation de ces terres de légendes, les protagonistes auront tôt fait d’apprendre que certains problèmes ne peuvent être mis derrière nous à coups de kilomètres.
Entre les brumes oppressantes percées d’une silhouette menaçante issue des légendes, des monts habités par l’invisible et des lieux fantomatiques appelant les esprits fatigués, Demeule n’y va pas de main morte pour nous plonger dans cet hommage double aux terres qu’elle a souvent visité, mais également au fantastique. On s’imagine bien les classiques de la littérature fantastique du dix-neuvième siècle lovés au creux des descriptions et évènement, délicat mélange entre poésie onirique et prose lugubre dont l’auteure sait si bien ponctuer ses récits. Et tient en cela la réussite de Fanie Demeule avec Highlands : une balance parfaite. Bien balancer les jets de sa plume pour nous offrir une atmosphère et une narration aussi prenante que confortable, sans trop s’enfoncer dans l’hommage pour nous offrir un récit résolument moderne sur la condition des femmes et l’émancipation (très subjective aux protagonistes) de l’individu.
Si vous ne connaissez rien aux terres écossaises, laissez Highlands vous convaincre qu’une fascination pour ces paysages aussi envoutants, mystiques et patibulaire, ainsi que la richesse de ses lores est la meilleure des drogues. L’écriture de Demeule saura vous emporter dans un voyage addictif qui aura tôt fait sonner le glas du manque une fois achevé.
Il suffit maintenant de parler de la lauréate et de son oeuvre. Maintenant, c’est elle qui parle d’elle-même, de son oeuvre, de l’Écosse et de fantasy !
Q: Fin du Salon du livre de Montréal 2022 ! Comment te sens-tu après cette édition ?
R: Très touchée, mais aussi reconnaissante et encouragée dans mes démarches.
En effet, je n’ai pas terminé d’écrire de l’imaginaire…
Q:En lisant ton livre, on réalise rapidement que tu as l’Écosse dans le sang. Cette fascination pour ces terres revient-elle de loin ?
R: Assez lointaine. Ça a commencé par une fascination pour l’Irlande en 2000
(fascination que je cultive toujours). J’avais 10 ans et j’écrivais mon premier
roman, une histoire de fantasy qui se passait en Irlande au Moyen-Âge. Cette
passion m’a rapidement portée à développer une fascination pour un autre pays
gaélique voisin : l’Écosse (et oui, l’Écosse est un pays dans mon cœur). J’ai eu
la chance d’y voyager deux fois : deux semaines en juillet 2016 et un mois en
décembre 2017 – séjour dont je me suis beaucoup inspiré pour écrire Highlands.
Q: Tes romans ont-ils, selon toi, toujours tenu du fantastique ?
R: Non, je considère que mes deux premiers romans ne le sont pas. Cependant, ils
empruntent certains traits au fantastique (fantômes, scènes oniriques, obsession,
etc.)
Q: Ce que j’ai (entre autre) toujours aimé de ton approche pour le genre littéraire c’est jusqu’à maintenant cet écart des spectacles hollywoodiens grands budgets ou des longs pavés de la littérature anglophone… mais ça, c’est seulement mon avis : comment décrirais-tu ton approche et pourquoi cette approche précisément ?
R: En quelques mots : récit fragmenté, elliptique, efficace, poésie sobre, gradation
d’intensité. Pourquoi cette approche ? C’est en partie ma manière de raconter,
intuitivement, et en partie parce que je veux créé des histoires captivantes dont
on n’a pas envie d’interrompre la lecture.
Q: Bon voyage au Japon ? J’ai vue une ou deux photos sur les réseaux, et ça semblait être magique ! Aussi prenant que les clichés totalement inspirants de l’Écosse trouvablent sur ton site internet ! Location d’un prochain ouvrage ?
R: Magnifique voyage ! Un pays vraiment magique. Je ne pense pas pour un
prochain ouvrage, mais il m’aura donné de l’inspiration pour le worldbuilding d’un
roman de fantasy que je veux écrire dans les prochaines années. Surtout les
régions montagneuses (villes de Takayama et de Shirakawago, Koyasan, etc.).
Q: Et que nous réserve l’avenir pour la lauréate ?
R: Un roman qui se passe en 1930 entre les Îles-de-la-Madeleine et Montréal ; un roman
de dark fantasy ; et entre temps des projets de scénarisation (notamment l’adaptation
de Mukbang en série).