Lors de la 18e édition de l’Otakuthon, le réputé compositeur et chef d’orchestre Jonathan Dagenais fait son retour à l’événement pour un concert spécial supplémentaire. Chef d’orchestre de l’Orchestre à Vents Non Identifié (OVNI) depuis 2005, du Ottawa Pops Orchestra depuis 2018 et de l’Orchestre de Jeux Vidéo (OJV) depuis 2015, Dagenais et l’OJV ont donné un concert sur la thème de Pokémon à l’Otakuthon 2023. J’ai eu la chance de le rencontrer le lendemain de la représentation de l’OJV pour discuter de l’orchestre, de son rôle au sein de celui-ci et de ce que l’OJV prévoit pour son avenir.
ImaginAtlas: En quoi consiste votre rôle dans l’Orchestre de Jeux Vidéo?
Jonathan: Mon premier rôle est en tant que directeur musical. En tant que chef d’orchestre, je dois m’occuper des répétitions, d’analyser mon répertoire de pièces, et de tout mettre en place avec les musiciens avant les concerts. Je dois aussi m’assurer qu’il y a une certaine cohésion artistique avec tout ce qui se passe, et que l’interprétation des pièces vise un haut niveau de raffinement.
Vous avez joué plusieurs fois à Otakuthon. Quels sont les points forts des concerts que vous donnez ici en comparaison à vos autres concerts?
Jonathan: C’est vraiment le hype [sic]. Il y a un hype [sic] très spécial, il y a une grosse salle et on voit tous les gens rentrer du fond, on se dit «wow c’est un gros show,» et tout le monde est content d’être là. Il y a un côté fantasy et festif très unique. On a aussi nos badges pour la fin de semaine, donc on peut aller voir d’autres trucs après et magasiner. En tout, on peut jouer et on peut avoir une belle expérience à la convention.
Vous avez dit que vous aviez une équipe d’arrangeurs. Comment est-ce que vous travaillez ensemble pour produire les arrangements des pièces de l’OJV?
Jonathan: C’est un long processus. Ça s’étale sur environ 2 ans. À la base, on se réunit [sic] tous les musiciens ensemble pour choisir un thème. Par exemple, un de nos prochains spectacles c’est NES/SNES, et on a eu cette réunion juste après la pandémie en 2021. Là, on choisit ensemble ce qu’on va jouer. Puis, on se réunit avec tous les spécialistes sur ce thème dans notre orchestre. Pour notre show Pokémon à Otakuthon, tout le monde dans l’orchestre n’est pas un expert Pokémon, mais il y a toujours certain.e.s qui sont vraiment passionné.e.s sur ce sujet. Ils nous aident à trouver les pièces des soundtracks originaux des jeux vidéo. Suite à ça, on a un comité d’arrangeurs, que je chapeaute; on assigne 2 ou 3 arrangements à ce qu’on appelle nos «prime arrangers », qui sont avec nous pour des années, et le reste on envoie en soumission. On a un formulaire libre à tous sur notre site web, et n’importe qui de partout dans le monde peut faire un arrangement pour nous. Le processus d’écriture dure 6 à 9 mois, et là on commence la révision. Tous les chefs de section de l’ensemble, notre libraire qui travaille la notation des pièces, et moi, on révise les pièces pendant un mois. Donc, ça prend au moins deux ans et on doit travailler beaucoup en avance.
Quels sont les défis liés à l’adaptation d’une bande sonore d’un jeu vidéo pour un orchestre? Est-ce que c’est difficile à arranger?
Jonathan: Ça dépend beaucoup du type de musique. Si on fait des jeux plus récents, c’est souvent un vrai orchestre symphonique qui joue et c’est facile à transposer, mais quand on s’en va plus retro, NES/SNES et Playstation par exemple, c’est plus difficile. Le 8-bit et 16-bit pour faire la musique sont très limités comparés à un orchestre, donc on doit travailler pour élargir 4 pistes ou 8 pistes de son. C’est aussi difficile de rendre une pièce cohésive. Par exemple, dans notre concert Pokémon, il y avait plusieurs pièces qui survolaient un jeu entier. Donc il y a le thème principal, les [dungeon battles], et plusieurs autres chansons collés ensemble, mais nous on aime avoir des transitions et explorer un petit peu plus. Nous encourageons nos arrangeurs à être créatifs et ne pas juste faire un [pot pourri] avec des mouvements séparés.
Comment est-ce que vous vous êtes joint à l’orchestre?
Jonathan: Je connaissais bien l’orchestre depuis longtemps, alors lorsqu’ils ils ont annoncé qu’ils cherchaient un nouveau chef, j’ai tout de suite appliqué pour le poste.
Pour le processus de recrutement, vous avez un lien sur votre site web pour les nouveaux membres. Comment est-ce que les auditions se passent?
Jonathan: On a un nombre fixe de musiciens dans chaque section. C’est comme dans une équipe de hockey; on ne peut pas avoir 4 [goalies]. Donc on a 9 à 12 clarinettes, 6 trompettes, 6 cors, 5 ou 6 saxophones, etc. Quand il y a un poste qui est disponible, on ouvre une audition et tous ceux et celles qui ont appliqué en ligne reçoivent un message qui dit qu’un poste est maintenant ouvert pour leur instrument, s’ils/elles sont encore intéressé.e.s à jouer avec nous. Après on tient des auditions, et on remplit le poste.
Comment le conseil administratif fonctionne-t-il?
Jonathan: On est un OSBL, un organisme sans but lucratif. Chaque année, on a un comité élu de nos membres qui se présentent pour une élection. On fait une petite réunion du conseil chaque mois pour organiser les concerts, les répétitions, les partitions, etc. Je fais partie du conseil par défaut. On discute et on peut faire évoluer l’orchestre. Une fois par an, on prend une fin de semaine et on discute de l’avenir de l’orchestre. Les gens du conseil ont le goût de faire du bénévolat et donner leur temps pour faire fonctionner la machine, ils sont vraiment contents de s’impliquer et très généreux.
Comment le processus de sélection pour le cosplay fonctionne-t-il?
Jonathan: C’est tout le monde qui veut faire du cosplay qui peut s’y joindre. On a un standard d’habillement, on veut que les membres de l’orchestre soient en noir ou en cosplay. Il y a beaucoup de gens qui aiment ça, surtout quand ça vient leur [sic] chercher . Moi aussi, je peux le faire. Il y a beaucoup de membres qui aiment Pokémon, donc beaucoup de personnes se sont portées volontaires cette fois.
Est-ce que vous allez faire un cosplay bientôt?
Jonathan: Je crois qu’on revient pour faire un concert de musique d’anime l’année prochaine, et peut-être je vais faire un cosplay. Comme je bouge beaucoup, il faut trouver un cosplay qui ne me limite pas pendant que je dirige l’orchestre.
L’inspiration majeur de chaque concert vient d’un jeu-vidéo, mais avez-vous d’autres inspirations?
Jonathan: On a ce qu’on appelle des “quêtes secondaires,” comme par exemple, on a fait une trame sonore de Lord of the Rings, et on va faire un concert animé. On a tout le temps des réunions annuelles, les assemblées générales artistiques, où on parle de ce qu’on a envie de jouer. On parle aussi de nos symphonies, des pièces de 35 à 50 minutes, qui [focussent] sur 1 jeu comme A Link to the Past. Mais notre inspiration vient toujours de ce qu’on discute.
Le 12 août, vous avez joué avec TurboQuest. Allez-vous jouer plus de concerts avec eux, ou avec d’autres groupes de rock?
Jonathan: Nous avons déjà fait déjà beaucoup de concerts avec des artistes invités, ou des membres de l’orchestre qui offrent leurs services. On a eu des chanteur.ses, on a eu une violoniste solo… TurboQuest, on a eu l’idée récemment, car 3/4 des membres de TurboQuest sont aussi membres de l’OJV. Pour Pokémon, on voulait tester pour voir ce que ça donne, une collaboration, parce que éventuellement, un de mes projets est de jouer un [show] complet avec TurboQuest, ou toutes les pièces ont du rock et un orchestre, symphonie et métal ensemble. On ferait du Castlevania, Legend of Zelda, etc, on jouerait dans tous les styles. Donc Pokémon était notre test pour voir si ça fonctionne, et hier ça super bien fonctionné.
Plusieurs de vos concerts sont inspirés des jeux vidéos de science-fiction et fantasy. Comment l’OJV capture-t-il ce sentiment d’un autre monde? Est-ce que les jeux fantasy se prêtent mieux à une interprétation?
Jonathan: Oui et non. Oui dans le sens que c’est évocateur; le sentiment de magie donne une certaine nostalgie, et on peut voir tout de suite que la musique de ce jeu est immersive. C’est très relié, le style d’un jeu et la musique qui est collée dessus. Pour des RPG comme Final Fantasy, la musique est tellement collée dessus et fantaisiste, c’est tout de suite directement reliée.
Quels sont vos jeux vidéos préférés?
Jonathan: J’étais beaucoup gamer quand j’étais plus jeune, et je ne jouais presque plus. Mais quand je suis devenu chef de l’OJV, j’ai recommencé à jouer. Mon jeu préféré c’est Final Fantasy 7, mais j’aime beaucoup le style rétro, comme les jeux Metroid ou Final Fantasy. Je joue beaucoup à Final Fantasy XVI, le dernier qui vient de sortir. Je suis aussi un grand fan de Baldur’s Gate 3 et des open world RPG comme Witcher 3, Horizons New Dawn, mais je suis très ouvert aussi, je joue à Diablo 4 pour me détendre. On aime aussi les jeux Mario Party, notre salon c’est un gaming party living room quand on invite les gens.
Quel concert de l’OJV avez-vous aimé le plus?
Jonathan: Le concert “Materia Symphony”, qui est une symphonie inspirée de Final Fantasy 7. C’est mon jeu vidéo préféré et j’ai tripé sur la musique quand j’étais jeune. Je ne pensais jamais que je dirigerais une symphonie complète sur Final Fantasy 7 dans ma vie. C’était écrit par Alexandre Choinière, qui est un de nos trombonistes basses et un de nos [top] arrangeurs. Il y avait aussi une chorale de 125 jeunes avec nous. J’ai aussi beaucoup aimé le concert indie qu’on a fait en 2016. C’était des pièces moins mainstream, mais c’était tellement de belles musiques.
Quelle est la partie préférée de votre travail avec l’OJV?
Jonathan: C’est difficile parce que tout est un highlight [sic] pour moi. Travailler avec des gens sur la musique de jeux vidéo, donner des concerts avec un orchestre, ce sont mes passions. Donc le highlight c’est d’offrir les concerts, mais plus que ça, c’est les répétitions, la proximité des gens… Partager cette passion-là avec eux est spécial. Puis les concerts comme Otakuthon, ou nos concerts normaux, des fois c’est une ambiance de show rock, les gens crient, ils applaudissent, c’est vraiment un moment de connexion avec une grande foule. C’est pour ça que j’aime faire le premier MC de tous nos concerts, j’aime beaucoup cette proximité.
Est-ce qu’il y a une raison pour laquelle vous partagez le MC avec vos musiciens?
Jonathan: Chaque fois qu’on fait un concert, on décide qui est le MC. Peu importe qui à ce rôle, je tiens à faire une intro et un outro, juste pour briser un peu le mur. Cependant, faire l’animation au complet, c’est du temps, et je préfère me concentrer plus sur la musique après l’introduction. Je pense que ça donne aussi une chance d’humaniser l’orchestre; ce ne sont pas juste leurs instruments, mais des personnes qui peuvent te parler des jeux.
Quels sont les thèmes de vos concerts à venir?
Jonathan: À Montréal, on a NES/SNES, notre prochain concert. Après ça on va faire un concert d’anime, puis après on s’en va avec la symphonie Elden Ring, qui se concentre sur Elden Ring, Bloodborne, et Dark Souls. On est aussi en train de penser à un concert Metroid-Vania, mais celui-là est encore en train d’être préparé.
Vous mettez des morceaux de vos concerts sur YouTube. Est-ce que vous allez diffuser un concert en entier?
Jonathan: On enregistre tout le temps nos concerts, mais depuis un an, on a une chaîne Twitch et on a le badge officiel. On fait des streams de nos répétitions avec un système à 3 caméras, c’est vraiment bien, et des fois on fait des streams de nos concerts. Par exemple, on a un [stream] de notre concert Pokémon et de notre Materia Symphony de Final Fantasy. On est vraiment bien équipés maintenant, on a un crew, 3 caméras, une table de montage, un micro et une caméra sur moi quand j’explique des trucs. C’est quelque chose qui se développe de plus en plus. Avec Twitch, il y a des choses nouvelles qui viennent, et on met toutes nos répétitions, sur YouTube il y a seulement des morceaux.
Vous avez mentionné les changements potentiels à venir pour l’orchestre. Est-ce que vous allez faire à un certain moment de la composition inspirée par les jeux vidéos?
Jonathan: Oui, mais ça serait difficile à intégrer dans nos shows. Les gens viennent pour la musique des jeux vidéos qu’ils reconnaissent. Moi, je compose personnellement, et ma musique est souvent teintée, les jeux vidéos ont une influence énorme sur mon langage musical. Mais ce serait difficile d’emmener ma musique dans l’OJV. Ce qu’on aimerait beaucoup à un moment donné est de participer à la bande sonore d’un jeu-vidéo, d’avoir la chance d’écrire de la musique nouvelle et la jouer pour la bande sonore.
Si Jonathan Dagenais précise qu’il n’est pas le seul à contribuer, il joue tout de même un rôle considérable dans le succès de l’OJV car c’est lui qui dirige le groupe, tant sur scène qu’en coulisses. Dagenais est l’un des nombreux passionnés qui entourent la scène de la fiction spéculative montréalaise, et l’influence de son travail est indéniable. L’OJV est l’une des principales présences de la scène musicale montréalaise “nerdy,” et pour une bonne raison. Avec des concerts basés sur tous les jeux vidéo auxquels vous pouvez penser, et aussi quelques autres, il y en a de la musique pour tous les goûts. Même si vous n’avez pas beaucoup joué aux jeux vidéo, je vous recommande vivement d’y aller, juste pour l’incroyable expérience sonore de leurs concerts.