Par Ila Ghoshal

 

La Ville de Mont-Royal, avec ses grandes maisons et ses pelouses bien entretenues, donne l’impression d’être un secteur cossu de la région de Montréal, un endroit parfait pour les familles influentes. Or, La chambre verte, le plus récent roman de l’auteure québécoise Martine Desjardins, nous présente plutôt une histoire sombre, lourde des secrets de la famille Delorme, dont la lignée de notables commence en même temps que la cité-jardin est créée. Paru aux Éditions Alto en 2016, ce roman gothique met en scène l’horrible couple de Louis-Dollard et Estelle Delorme, leur fils Vincent, la mystérieuse Penny Sterling et les trois «brebis sacrificielles» Morula, Blastula et Gastrula, des personnages curieux que découvriront cette année les cégépiens qui formeront le jury du Prix des Horizons imaginaires, puisque le roman vient d’être annoncé comme l’un des cinq finalistes de 2018, en plus d’avoir obtenu le Prix Jacques-Brossard de science-fiction et de fantastique en mai dernier!

 

Crédit : Ila Ghoshal

 

Dès le départ, le ton est donné par la narratrice, qui n’est nulle autre que la grande demeure où résident tous les personnages que je viens d’énumérer: la maison, principal élément fantastique du roman parce qu’elle influence parfois le récit, annonce la découverte du cadavre d’une femme dans la chambre forte de la maison. La morte a ceci de particulier que ses mâchoires sont solidement refermées sur une brique; celle-ci contient un objet soit maudit, soit béni que je vous laisse découvrir par vous-mêmes! À partir de ce point, la maison de La chambre verte revient sur le parcours de la famille Delorme, dont la terrible avarice leur a permis, au cours des années, d’acquérir une immense fortune, qui sera toutefois la cause de leur déchéance.

 

Publicité du 21 octobre 1918 – Montreal Gazette

 

Dans l’ensemble, j’ai vraiment aimé lire La chambre verte. J’avais d’ailleurs déjà lu le roman Maleficium de Martine Desjardins l’an dernier, lorsque j’ai participé aux activités du Prix des Horizons imaginaires 2017, en tant que membre du jury. Je connaissais donc déjà un peu le style de l’auteure: élégant, maîtrisé. J’ai trouvé que les personnages de ce roman-ci correspondaient bien à un certain humour noir que semble apprécier l’auteure, et qui est très présent dans l’œuvre. Voir aller Louis-Dollard et Estelle, deux personnages que Desjardins rend absolument détestables tout en sachant comment les garder captivants, alors qu’ils sabotent leur fortune malgré les interdits qu’ils s’imposent, ça m’a fait ressentir un plaisir un peu malsain… En effet, le personnage d’Estelle fait partie de ce que j’ai préféré dans ce roman, grâce au talent de l’auteure qui sait comment décrire et faire vivre des personnages grotesques sans les rendre illogiques. Par contre, j’ai trouvé, en comparaison, que Vincent, le fils du méchant couple, et dans une moindre mesure, Penny, la mystérieuse nouvelle logeuse, étaient moins intéressants à suivre comme personnages, comme s’ils manquaient un peu de profondeur par rapport aux autres figures qui peuplent La chambre verte. Comme s’ils étaient là surtout pour faire avancer l’intrigue du roman. Dans un autre ordre d’idées, j’ai trouvé très amusant le culte que les Delorme vouent à l’argent, et en quoi cette pseudo-religion affecte les membres de la famille jusque dans les petits détails de leurs habitudes quotidiennes. Par exemple, lorsqu’une des trois vieilles soeurs ne peut s’empêcher de se saouler à l’essence de vanille, parce que l’alcool coûte trop cher, ou quand la narratrice nous rappelle qu’elles ont été renvoyées du couvent parce qu’elles ont refusé de faire voeu de pauvreté! À cause de l’influence de la chambre forte – la célèbre chambre verte du titre – sur les Delorme et de la force de leur avarice, que même leurs sermons religieux prônent, je me suis demandé si l’auteure s’imaginait les habitants de Ville Mont-Royal comme ces êtres dérangés qu’elle a inventés; or, l’auteure n’est-elle pas elle-même de Mont-Royal… ? Je suis curieuse de savoir ce qui a pu lui donner toutes ces idées, en espérant que ce ne sont pas ses propres voisins! Martine Desjardins mélange probablement un peu de réalité à sa fiction, et elle réussit à nous faire visiter une version imaginaire de Ville de Mont-Royal, cette ville dans une autre ville, comme s’il s’agissait aussi d’une version presque réaliste.

 

Archives – Ville Mont-Royal

 

Révision : Daphnée Lopresti et Mathieu Lauzon-Dicso