Le 21 novembre, l’Espace Lis-moi MTL du Salon du Livre de Montréal était rempli. La série d’événements Dialogues en ricochets présentait Décomposer les sous-genres de l’horreur. Pour l’occasion, trois auteurs québécois s’y sont réunis pour discuter des sous-genres de la littérature horrifique : Martine Desjardins, Alexie Morin et Patrick Sénécal. 

Chaque auteur en a profité pour présenter son œuvre la plus récente, mais aussi pour échanger sur leur vision de ce genre littéraire. Au cours de la discussion, différents thèmes ont été abordés.

Photos © Karine Caron, Julie Artacho,Justine Latour

La relation entre filiation et horreur

Le premier sujet de la discussion tournait autour de la filiation et des relations familiales dans le genre horrifique. Les trois écrivains se sont tout de suite mis d’accord sur le fait qu’il s’agissait d’un vaste terrain de jeux pour les artistes du genre.

Patrick Sénécal expliquait que « l’horreur, on ne l’a pas toujours où est-ce qu’on l’attend ». En effet, c’est rarement dans un milieu familial que le lecteur moyen s’attend à tomber sur des phénomènes vraiment effrayants. Pourtant, selon l’écrivain, même si la famille devrait être comme un modèle de perfection et d’harmonie, « on le sait, tout le monde a des histoires de familles à raconter ». 

Alexie Morin était d’accord avec lui. Elle a ajouté que la psychologie avait son importance dans l’écriture de roman d’horreur pour créer un vrai sentiment de peur : « Il faut que tu partes de la perspective de quelqu’un. C’est une écriture très intime ». Le cadre de la famille se prêtait parfaitement à l’exercice. 

Martine Desjardins, pour qui la famille est au centre de son roman Le temps des sucres, était amplement du même avis. Elle a aussi souligné, à propos de la psychologie, qu’en général les auteurs préféraient suggérer pour amener la terreur plutôt que se lancer dans de grandes explications.

Les clichés de l’horreur

Les trois panélistes se disaient chanceux d’écrire de l’horreur parce qu’en littérature, il est plus facile d’éviter les clichés du genre. Lorsqu’on leur a demandé quel cliché leur était le plus insupportable, ils ont tous eu une réponse différente.

Alexie Morin mentionnait ne pas supporter quand les comportements des personnages sont systématiquement expliqués par la folie. Pour elle, c’est une solution de facilité, mais aussi un manque de respect envers ceux qui ont réellement des maladies mentales. Elle a aussi parlé des auteurs qui cherchent automatiquement à tout expliquer. Selon l’écrivaine, les non-dits font davantage peur que les explications, et le silence plus que le bruit.

Martine Desjardins parlait des faux suspenses. Elle déteste quand la suite des événements est trop prévisible et mal amenée dans l’histoire. Cela casse l’ambiance de subversivité suscitée chez le public. 

Patrick Sénécal, lui, n’aime pas quand les héros se transforment soudainement à la fin de l’histoire. Autrement dit, il considère que cela n’a pas de sens que les protagonistes arrêtent d’agir comme ils le feraient selon ce qui avait été dit au début de l’histoire : par exemple, le lâche qui devient spontanément le héros. Pour l’écrivain, il faut que la fin d’une fiction corresponde avec ce qui avait été préparé. Sinon, c’est un peu comme tricher.

L’humain et le monstre

Selon Martine Desjardins, tous les humains ont un monstre à l’intérieur d’eux. Bien que cette métaphore ne date pas d’hier, d’après l’écrivaine, elle s’applique encore très bien aujourd’hui. C’est d’ailleurs sur cette métaphore qu’elle a construit son roman Le temps des sucres. Elle décrit ce texte comme un « roman du monstre » qui décrit la solitude de ce dernier. Pour elle, « l’humain est le monstre par excellence ».

Alexie Morin était tout à fait d’accord avec cette idée. Selon elle, il n’y a rien de mal à s’attacher à des personnages fictionnels détestables ou ayant commis des actes répréhensibles. Elle a donné comme exemple Heathcliff dans Wuthering Heights qui, au fond, n’est que le résultat de plusieurs années d’abus en tous genres. 

Patrick Sénécal, quant à lui, croit que l’horreur est comme « un miroir de ce qu’on ne veut pas voir ». Cela peut être autant ce qu’on ne veut pas voir autour de nous que ce qu’on ne veut pas de nous-même. Chaque individu a une part d’ombre, mais celle-ci est souvent refoulée justement parce qu’elle est, au mieux, effrayante et au pire, violente. C’est exactement ce que le genre horrifique essaie de faire ressortir. Cela permet de soulever les problématiques des individus et d’une société de façon plus ou moins métaphorique.

Rien dans les opinions exprimées par les trois auteurs n’a suscité la controverse ni réellement surpris le public attentif. Cependant, cette discussion a permis de réaffirmer la légitimité de l’horreur comme genre littéraire à part entière. Elle a aussi contribué à humaniser ceux qui en écrivent en rappelant qu’être auteur de roman d’horreur ne rime pas forcément avec psychopathe, ou être dépourvu de sens de l’humour.