Par Francesca Robitaille
They Both Die at the End est un roman de science-fiction pour jeunes adultes d’Adam Silvera, paru en 2017 aux éditions HarperTeen. Il a tout d’abord capté mon attention avec son titre choquant lorsque je l’ai vu dans les photos de bookstagrammers à l’automne 2017, puis quand il a fait son apparition chez moi au Noël suivant (gros merci à mes parents). Les critiques étaient pour la plupart positives en dépit du titre qui révèle le punch de l’histoire. C’est fort probablement la principale raison pour laquelle le titre attirait autant les lecteurs : comment peut-on lire un roman dont on connaît la fin sans toutefois perdre de l’intérêt?
Très facilement, en fait.
Grâce à Mateo et Rufus, les personnages principaux, ce roman nous accroche dès les premières lignes et ne nous relâche jamais complètement. Ces deux jeunes, en fin d’adolescence, doivent subitement faire face à une nouvelle réalité : leur vie prendra inéluctablement fin au courant de la journée suivante. Ils se retrouvent pour la vivre ensemble à travers le réseau social Last Friend, destiné à relier les prochains morts – les « Deckers », comme on les appelle – qui recherchent une nouvelle connaissance. Les deux garçons sont avertis de tout cela par Death-Cast, l’organisme responsable de notifier les mourants. Outre cela, le monde de Mateo et de Rufus est relativement semblable au nôtre : l’économie s’est organisée autour de ce nouveau fait majeur pour offrir aux Deckers des « expériences de vie », telles que des sauts en parachute et des voyages aux quatre coins du monde, sans encourir le danger ou perdre du temps précieux.
L’histoire demeure heureuse et agréable malgré l’enjeu lourd qu’elle porte, et elle nous entraine dans un faux sentiment de sécurité. L’espoir d’une fin heureuse semble à portée de main; plus les pages se tournent, plus l’anticipation monte. L’expérience est très similaire à la première lecture d’un roman de John Green : quelqu’un va mourir, bientôt, et malgré cela, je me suis attachée aux personnages. Donc, je vais pleurer à un moment donné dans ma lecture, c’est certain, même si je ne sais pas nécessairement à quel moment exactement.
Ce récit poignant s’est incrusté tout au fond de mon cœur, et il y a placé côte à côte le sentiment de la perte et celui de l’espoir. Il m’a été un rappel qu’une perte n’a pas à être suivie par un remplacement, mais plutôt que quelque chose de tout aussi beau et unique attend ailleurs. Et pour répondre à la question implicite : oui, j’ai pleuré. Toutefois, en y réfléchissant, je ne pense pas que j’ai pleuré pour les raisons auxquelles je m’étais attendue.
La mort d’un jeune provoque une tristesse particulière, car on pleure toutes les possibilités qu’il n’expérimentera jamais. Dans le cas de Mateo et de Rufus, l’annonce de leur mort prochaine entraîne d’abord des sentiments négatifs comme la peur, la colère et la tristesse, et ce autant chez eux que chez les lecteurs. Or, malgré l’aspect terrible et implacable du système qui les avertit de leur mort, c’est ce même système qui leur permet de conserver l’espoir de finir leur vie en beauté. Leurs aventures ne sont pas toutes réussies, mais tous deux affrontent leurs peurs, font leurs adieux et découvrent des merveilles, ensemble, au plus profond d’eux-mêmes. Ultimement, ils réussissent à faire en une dernière journée ce que nous cherchons à accomplir durant toute notre vie : apprécier la vie et tous ses aléas.
La science-fiction tend souvent à avertir les gens de problèmes à venir : si on ne fait pas attention à ceci ou à cela, on finira dans la pire des sociétés. On nous abreuve de romans dystopiques, qui sont toujours bien présents dans les librairies. Je ne m’en plains pas, puisque certains de mes romans préférés mettent en scène des dystopies. Par contre, j’aime l’approche plus intimiste et optimiste d’Adam Silvera, qui réussit à sonner l’alarme et à nous rappeler que la vie peut nous échapper si on oublie de l’apprécier simplement pour ce qu’elle a à nous offrir, ce qui semble trop souvent le cas. Je crois d’ailleurs mieux saisir la portée de tout cela maintenant, puisque j’ai récemment été initiée à la « vie adulte » par un emploi classique du style 9 à 5, lundi au vendredi. Sans aller jusqu’à dire que je n’aime pas ce que j’y fais en général, il reste que c’est tout un choc de constater à quel point on peut facilement tomber dans un piège. J’ai réalisé que je ne prenais pas le temps d’apprécier ce que je faisais au travail, et pourtant, j’aime ce que je fais! J’essayais toujours d’aller plus rapidement, d’être plus efficace. D’être productive. Et soudain, les semaines sont devenues des mois, et laissée à moi-même, je cherchais où les jours étaient passés et je réalisais que je ne les récupèrerai jamais.
Mais je peux toujours sauver ceux devant moi.
Ainsi, They Both Die at the End n’est pas un roman triste; c’est un roman heureux, plein d’espoir pour ses lecteurs. Selon moi, c’est ce qui en fait sa plus grande beauté.
Un article très intéressant! J’ai beaucoup entendu parler de ce livre sur Booktube, mais j’ai toujours hésité à l’entamer par peur qu’il serait trop déprimant. Mais peut-être l’ai-je mal jugé…
Merci pour ce bel article Francesca, surtout en cette période de stress intense avec l’école pour moi.
J’adore le concept de ce livre (et son titre!). Je crois que se rappeler que la vie est, par essence, éphémère est quelque chose d’important dans notre société actuelle. Sinon, oui, le métro-boulot-dodo finit par nous bouffer.
C’est intéressant, cette question que tu soulèves à propos de la présence très importante – et pas nécessairement mauvaise en soi – des romans dystopiques, en particulier dans la littérature YA. Est-ce que tu penses qu’on est en train de vivre un renversement, que des auteurs se servent des codes de la dystopie « traditionnelle » pour amener leurs (jeunes?) lecteurs vers des possibilités plus optimistes ?
Parce que ce que tu dis de They Both Die at the End me donne cette impression : c’est un régime assez lourd (quand même, un réseau social qui annonce la mort à l’avance, inéluctablement…), mais malgré la lourdeur, les personnages semblent capables d’en arriver à un équilibre sain, presque heureux, non ?
Sur un autre réseau social que je ne nommerai pas (FB…!), l’auteur Jean-Louis Trudel évoquait la montée du « hopepunk » (en lien avec le « solarpunk »). L’optimisme serait-il en train de s’infiltrer dans les genres à venir ? Ça m’intrigue ! 🙂
https://www.theguardian.com/games/2018/oct/16/neon-corporate-dystopias-why-does-cyberpunk-refuse-move-on
Aussi, l’auteure Geneviève Blouin avait évoqué le sujet dans un billet récent, qui faisait écho à notre article sur Altered Carbone ! C’est donc particulièrement pertinent d’observer comment les genres « évoluent » au gré des phénomènes sociaux, en particulier dans la littérature pour la jeunesse et pour les jeunes adultes. Et j’espère bien que l’optimisme (mais pas sa version «gnagna» où tout le monde se sort indemne des pires événements, mais bien celle où on apprend, on grandit, on se souvient, etc. à travers les obstacles…) sera de plus en plus présent dans ces oeuvres.
Pour l’article de Geneviève Blouin : https://laplumeetlepoing.blogspot.com/2018/10/creer-des-fictions-de-gauche.html