Par Razvan Banica
En lisant le titre de mon article, vous pourriez croire que j’ai été époustouflé par le roman La poudre aux yeux de Joseph Elfassi, paru aux Éditions Stanké plus tôt cet automne. Que l’intrigue du roman a réussi, en d’autres termes, à créer l’illusion parfaite. Eh bien, non. À vrai dire, le roman m’a plutôt déçu…
Le résumé trouvé sur la quatrième de couverture va comme suit: «Le Québec s’apprête à se prononcer dans un troisième référendum. Le Canadien s’en va en finale de la coupe Stanley avec de fortes chances de gagner grâce au jeu d’un musulman controversé. Et puis il y a Raphaël Cohen et Maxime Tremblay, des producteurs de contenu qui se retrouvent soudainement avec un budget illimité pour réaliser leurs plus grandes ambitions médiatiques.» Je dois avouer que tout cela m’a d’abord beaucoup interpelé: un roman qui combine de l’histoire alternative, de la politique et ce qui semble être une bonne dose de mystère, un tel roman qui, en plus, se déroule dans mon Québec natal? Je ne pouvais demander mieux!
Par contre, force m’est d’admettre que j’en suis plutôt resté sur ma faim lorsque j’ai achevé la lecture du bouquin. Le roman ne s’ouvre pas dans un Québec totalement alternatif, mais bien dans une version parallèle assez proche, un genre de miroir de notre société. Certes, j’ai trouvé très intéressante la manière dont l’auteur aborde de nombreux enjeux, souvent problématiques, de la société actuelle québécoise comme la xénophobie, l’obsession pour le sexe, l’omniprésence des réseaux sociaux, les drogues, le nationalisme, la forte influence de la culture anglo-américaine sur la québécoise, etc., tout en s’inspirant de nombreux éléments de la culture populaire locale. Par exemple, les noms de famille des personnages principaux m’ont tout de suite rappelé deux figures culturelles emblématiques du Québec moderne, issus tant de la culture anglophone que francophone, soit Leonard Cohen et Michel Tremblay. Et ça fait du bien de voir les Canadiens en finale pour une fois (dans une œuvre de fiction, certes, mais hey! c’est un bon début…) De plus, les dialogues sonnaient vrai, et ça m’a plu de retrouver ce côté réaliste qu’apportait la présence du franglais montréalais dans le texte; en fait, ça donnait une certaine crédibilité au récit, et ça me poussait à reconnaître cet autre monde légèrement différent comme le mien. Bref, j’entendais les personnages parler comme le font les vrais Montréalais, dans un dialecte local que j’utilise moi-même bien souvent.
L’écrivain nous montre aussi, par le biais des personnages principaux notamment, le côté plus laid, disons-le, de la condition et des rapports humains: la jalousie, la lâcheté, la superficialité dans les relations, la dépendance aux drogues, etc. La leçon principale à retenir suite à la lecture du roman est que, comme société, nous sommes trop portés vers l’immédiat: plaisirs instantanés (one-night stands, bref high des drogues), information parcellaire et brouillonne, succès rapide, etc. En fait, le titre même, La poudre aux yeux, est une expression qui évoque bien cette approche thématique, celle du mensonge, de l’illusion, mais aussi du superficiel qui cachent la réalité. Elfassi nous expose ce qui arrive lorsque deux personnes reçoivent une somme d’argent faramineuse, alors qu’ils ne méritent pas un sou. Il nous montre comment le pouvoir et la richesse peuvent rendre fous, d’autant plus dans le contexte des résultats et de la jouissance instantanés. Le roman contient donc une critique très forte de l’ère numérique et de notre habitude à répéter les mêmes erreurs par manque de profondeur.
Malheureusement, tout cela n’était pas ce que j’attendais du roman… En fait, c’est le cadre parallèle du roman qui m’intriguait: j’aurais préféré en savoir un peu plus sur les différents événements qui, dans l’oeuvre d’Elfassi, ont entraîné le Québec à se prononcer positivement sur la souveraineté dans un troisième référendum. Aussi, d’après moi, beaucoup de questions et d’éléments mystérieux importants restent sans réponses ni explications jusqu’à la fin de La poudre aux yeux, ce qui n’a fait qu’alimenter ma déception. J’avais espéré quelque chose et j’ai plutôt reçu autre chose, qui n’était pas mauvais en soi. Imaginez que vous croquez dans un Kinder Surprise pour vite réaliser, après en avoir pris une bouchée, que c’était en fait un œuf farci… Oui, les deux peuvent être vraiment bons – dans le cas des œufs farcis, je les aime surtout lorsqu’ils débordent de mayo et d’ail! Miam! -, mais bon, je pense que vous voyez où je veux en venir… Alors, oui, les romans qui contiennent une critique sociale m’attirent, mais dans ce cas-ci, la quatrième de couverture m’avait fait croire qu’il serait question d’autre chose dans ce roman. Mais j’ai envie d’ajouter ceci: ne vous fiez pas qu’à moi. Le livre a bel et bien des points forts, et il est en soi très pertinent à lire de nos jours. J’aurais tendance à vous conseiller de le lire pour le message qu’il porte davantage que pour sa trame narrative ou son arrière-monde. Sur ce, si j’ai appris une petite «leçon», c’est que la prochaine fois que je lis le résumé d’une œuvre, je tâcherai de ne pas trop baser mes attentes dessus; je ne me ferai pas jeter de la poudre aux yeux!
Révision: Daphnée Lopresti et Mathieu Lauzon-Dicso
Aurais-tu tendance à dire que quand un roman s’annonce comme un livre de SF, d’anticipation, d’uchronie, d’univers alternatif, etc., tu t’attends à retrouver une plus grande présence du monde imaginaire qu’il contient ? Une plus grande visibilité ? Et dans ce cas-ci, ce serait comme si on avait écrit un roman “réaliste/mainstream” dans un cadre SF ? Ou dans d’autres mots, as-tu l’impression d’avoir lu un roman SF ou pas vraiment, malgré le contexte qui l’est ?