La popularité est souvent éphémère. C’est aussi vrai pour les fictions. Dans sa dernière contribution à la collection Les Contes Interdits, Yvan Godbout s’est lancé le pari de moderniser et de rendre horrifique le roman jeunesse The Secret Garden de Frances Hodgson Burnett. 

Paru en 1911, puis traduit en français 10 ans plus tard, ce roman jeunesse un peu oublié raconte l’histoire d’une petite fille plutôt arrogante qui, à la mort de ses parents, doit aller vivre chez un oncle étrange. Sur sa propriété, elle fait la découverte d’un jardin mystérieux. Au fil de ses explorations du jardin, la protagoniste apprend à corriger son arrogance et devient beaucoup plus gentille. 

Dans sa réécriture, Yvan Godbout reprend les grandes lignes de l’histoire originale, mais y apporte sa touche personnelle ainsi que quelques références stylistiques au cinéma d’horreur des années soixante-dix et quatre-vingt. Ce livre ajoute à ce conte une ambiance rappelant The Shining et The Amityville Horror, avec une grande maison étrange pleine de secrets, de drames et de fantômes.

Audace du sujet

Pourtant adapté à plusieurs reprises au petit comme au grand écran, The Secret Garden n’est pas considéré comme un conte classique intemporel comme peuvent l’être Le Petit Prince ou The Wizard of Oz, tous deux aussi ré-écrits pour Les Contes Interdits. En choisissant de mettre sa plume au service de la redécouverte de ce roman, Yvan Godbout a fait un choix audacieux. Ceci dit, ce désir de sortir des sentiers battus et de proposer quelque chose de différent ne rend pas ce roman moins intéressant.

Contrairement à la majorité des autres titres revisités par les auteur.e.s du collection, Le jardin secret risque moins de créer un déclic de reconnaissance chez un lectorat plus jeune. Pourtant, il attise la curiosité avant même de l’ouvrir, entre autres parce que le manoir sur la couverture du livre rappelle l’Hôtel Overlook dans The Shining. Il s’agit d’une grande maison lugubre dont les couleurs claires de l’extérieur contrastent avec les horreurs qui s’y passent dedans. De plus, l’écriture très cinématographique du roman de Godbout permet de visualiser les lieux de l’action avec à la fois une sensation de regarder un film d’horreur rétro et un Conte pour tous. Ce mélange peut sembler étrange. Pourtant, l’auteur arrive à le faire fonctionner.

Revalorisation du joual

Dans Le jardin secret, Yvan Godbout a décidé d’exploiter l’utilisation du joual dans les dialogues des personnages. Marilou, la protagoniste, ainsi que la majorité des personnages, s’exprime donc majoritairement dans un français populaire typique du Québec. C’est un choix littéraire déjà utilisé par d’autres auteur.e.s dans différents registres. Cependant, cela ne nuit pas au texte. Il s’agit d’une réinterprétation très bien pensée d’un aspect du texte de Frances Hodgson Burnett.

En effet, dans l’histoire originale, la protagoniste Mary Lennox est une petite fille mal élevée au mauvais caractère. Utiliser le joual pour la faire s’exprimer était un choix judicieux. Le contraste entre sa façon de parler et celle des gens qui l’entourent au manoir de son oncle ainsi que l’évolution de son langage au cours du récit montre subtilement l’évolution du personnage. De plus, cela permet une visualisation excellente des conversations dans le livre. 

Cependant, il est vrai que cela peut être contraignant pour ceux qui ne connaissent pas très bien le français québécois. Il faut être familier avec l’orthographe particulière de certains mots et être capable d’y associer le son adéquat. 

Horreur autant dans le réel que dans le surnaturel

Les romans de Yvan Godbout sont bien connus pour aborder des sujets violents et tabous sans le moindre filtre. Le jardin secret n’est pas une exception. Il y est question de négligence parentale, d’abus physiques et verbaux, d’intimidation, de séquestration et même de meurtre. Dans cette maison qui accueille Marilou après la mort tragique de ses parents, des fantômes font prendre conscience à la petite fille de l’importance de faire attention à ceux qui nous entourent, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut leur arriver.

Cela dit, ce ne sont pas les fantômes en soi qui sont effrayants, mais ce qu’ils représentent. Loin d’être des présences menaçantes en soi, les fantômes de ce roman agissent plus comme des esprits annonciateurs de messages qui désirent simplement se libérer. Ils sont des victimes de la lâcheté, de la honte et de l’abus des autres. Ils essaient de mettre en garde Marilou contre ce qui l’attend si elle n’est pas prudente ; elle risque de devenir une victime ou une agresseuse. 

Grâce à son audace et à l’adaptation habile des caractéristiques de l’œuvre originale, Yvan Godbout a su donner un nouveau souffle à une histoire moins connue. Ce Conte Interdit est certes moins sanglant que d’autres, mais tout aussi violent. Il ramène sur le tapis l’importance de bien traîter son entourage et d’affronter ses responsabilités plutôt que de fuir ou de se cacher.