Par Sabina Roman

 

La chair de Clémentine est le deuxième roman de Vincent Brault, qui est paru cet automne chez Héliotrope. C’est une œuvre où le froid transporte le récit et le guide. Au fil des chapitres, la température chute, les degrés tombent un à un, tandis qu’on apprend à connaître Gustave, le personnage principal; un être étrange et mystérieux, que dévoile une narration où se mêlent des éléments du genre policier et du fantastique.

 

C’est un livre fait de sensations, où le froid et le chaud luttent, dans un puissant corps à corps. En lisant le livre, j’ai parfois eu la sensation qu’on a lorsque le bout du nez gèle au point où la respiration en est légèrement affectée. Ou celle, un peu inconfortable, que peuvent avoir les mains, après s’être refroidies sans qu’on s’en rende compte, et qu’on constate seulement une fois bien au chaud à l’intérieur; une sensation forte, qui engourdit les doigts et empêche de les plier aisément… J’ai trouvé que le roman répondait harmonieusement à ces états, qu’il correspondait parfaitement à mes attentes de lecture et aux sensations que je ressens naturellement en cette fin-de-l’automne-ou-début-d’hiver, qui est marquée par le changement de la température aussi bien que par celui des mœurs. En effet, je me sens toujours moins apte à sortir dehors à ce temps-ci de l’année, lorsque le sol commence à geler, à craquer… J’ai plutôt tendance à m’enfermer chez moi (à me renfermer en moi?) au lieu de carrément affronter le froid et passer la journée à faire du ski. D’ailleurs, j’y vois un écho de Gustave, reclus, dont la solitude est causée par la crainte que ses pouvoirs incontrôlables provoquent chez les autres; Gustave est en effet potentiellement dangereux aux yeux des gens qui connaissent ses dons étranges…

 

Crédit: Sabina Roman

 

À mes yeux, La chair de Clémentine réussit à mettre en place des circonstances troublantes qui font bien avancer le récit, ainsi qu’un personnage vraiment intrigant, aux pouvoirs mortifères assez perturbants: par exemple, les animaux mourants se dirigent vers lui, tout naturellement, en prévision d’une mort douce, indolore. Il y a des éléments qui demeurent inexpliqués dans ce court roman, mais comme lecteurs, on les accepte tout aussi paisiblement que les bêtes allant vers Gustave, comme si celui-ci nous avait aussi subjugués. Peut-être s’agit-il là d’un autre de ses pouvoirs? Par ailleurs, au-delà des animaux malades, il semble aussi savoir repérer les humains sur le point de mourir: eux aussi, il peut les libérer en les serrant dans ses bras. Même si le rôle de Gustave m’a fait frémir, que son rapport avec la mort m’est d’abord apparu comme repoussant, d’autant plus qu’il agit ainsi depuis qu’il est tout jeune, un peu au hasard, et que j’ai du mal à relier l’enfance à la mort, j’ai fini par voir quelque chose de bon et d’intime dans ses enlacements d’étrangers. Vincent Brault allie réellement bien la morbidité à l’innocence pour créer autre chose de curieusement attirant!

 

Gustave vit certes dans la confusion, comprenant mal les rapports méfiants que ceux qui l’entourent entretiennent avec lui, notamment son père. Mais il lui arrive des moments de clarté, lors de connexions intenses avec certains êtres, notamment lorsqu’il prend les mourants dans ses bras. Je ne sais pas s’il est vrai de dire que Gustave réussit à trouver du réconfort de cette façon, à connaître un peu de chaleur humaine, mais j’aimerais bien le croire parce que comme lectrice, je veux que ce personnage solitaire et isolé du monde des vivants puisse avoir un semblant de vie, lui aussi. Car la chaleur réelle, de son côté, s’avère son ennemie depuis toujours, et ce n’est pas vers elle qu’il peut aller pour mieux se sentir. À moins qu’un changement s’opère lorsqu’il découvre comment toucher autrement? Je vous laisse le découvrir, si vous croyez pouvoir accepter l’étreinte de Gustave, ce que je vous recommande «chaudement», tandis que les nuits de novembre s’effilent…

 

Révision: Alina Orza et Mathieu Lauzon-Dicso