Grégoire Bouchard, figure emblématique de la bande dessinée québécoise, revient avec une nouvelle histoire autour de son pilote de guerre à la retraite Bob Leclerc dans la bande dessinée Opération Prince Québec. Plutôt que se tourner vers l’espace ou l’Atlantide, comme dans les deux derniers tomes de Les aventures de Bob Leclerc, dans ce volume, Bob doit lutter contre un complot dont le but ultime est l’éradication de la société francophone québécoise.

J’ai vraiment, vraiment essayé d’aimer cette bande dessinée. J’apprécie toujours une bonne histoire alternative, et l’exploration de l’oppression et des luttes que nos ancêtres Québécois francophones ont dû mener pour préserver notre culture est une partie très importante de notre histoire. Comme l’histoire se déroule en 1956, près de l’époque de la Révolution tranquille, je pensais qu’elle reprendrait certaines des critiques bien réelles formulées à cette époque, comme les réformes économiques ou la sécularisation. Je ne m’attendais pas à ce que les méchants principaux du roman soient des « asiatiques » (des communistes chinois) cherchant à anéantir la culture québécoise française à la demande des élites des gouvernements Canadien et Britannique. L’intrigue principale tourne autour de Bob Leclerc, qui sort de sa retraite pour bombarder un sous-marin Chinois destiné à détruire un navire — le Prince Québec — qui transporte des produits d’outre-mer essentiels à l’avenir des Québécois francophones (qui sont représentés comme les seuls Canadiens Français dans cette histoire). Ce faisant, les autres personnages affirment clairement qu’un Québec idéal n’est pas seulement français, mais explicitement blanc et catholique, et que le Québec est l’un des derniers bastions de la société « occidentale » — des affirmations que Bob Leclerc ne nie pas.

Quatrième de couverture d’Opération Prince Québec

Bien que l’intrigue en elle-même pourrait être tolérable, il m’a été quasiment impossible d’entrer dans l’histoire, parce que les représentations de personnages asiatiques m’ont constamment déstabilisée. Ces images, disséminées un peu partout dans la BD, semblaient tout droit sorties d’un film de propagande raciste, avec leurs visages jaunes, leurs dents proéminentes, leurs crocs acérés et leurs oreilles pointues. Même si cette œuvre est présentée du point de vue d’un personnage principal sujet aux préjugés de son époque — surtout compte tenu de son passé de pilote de guerre — j’ai trouvé ces caricatures très désagréables et difficiles à prendre au sérieux. Outre les rangées de soldats caricaturés défilant en rangs et menaçant de prendre le contrôle du Québec, seuls deux personnages chinois mineurs ont une apparence humaine et sont traités avec sympathie.

Même en situant une histoire du point de vue d’un personnage imparfait, il est important qu’un auteur et illustrateur fasse des choix plus soigneux sur les libertés artistiques prises. L’utilisation des termes racistes et des caricatures historiquement exacts peut fonctionner dans le contexte d’une intrigue historique, mais leur utilisation tout au long du livre est excessive à mon avis. Même si l’intention était ironique ou satirique, cet abordage n’y parvient pas sans un rebondissement qui contribue à illustrer le problème de ces idéologies.

Dans un prologue, on apprend que Leclerc raconte cette histoire au lecteur 100 ans plus tard, après l’érection d’un monument en son honneur qui le nomme un héros de « toutes les nations de la race blanche ». Les Chinois sont tout aussi monstrueux que dans la version de l’histoire que raconte Leclerc, mais ils sont aussi suffisamment faibles pour devenir les pions d’une conspiration plus vaste. Tout cela se rapproche dangereusement de certaines théories du complot qui causent encore du tort à de vraies personnes dans notre société actuelle.

Le seul indice que l’idéologie de ces personnages pourrait être une caricature des préjugés des années 50 vient de Florida Deslauriers, l’agent de liaison de Leclerc, qui le prépare à la mission qui l’attend. Entre les discussions franches sur les maladies mentales de Florida et ses cauchemars dans lesquelles l’espèce humaine dégénère en singes dans le futur et se moquent des Canadiens Français dans une exposition d’art surréaliste, ses diatribes intenses dégagent une certaine absurdité. Compte tenu de la structure du reste du récit, il est difficile de déterminer quels aspects de ses croyances sont vraiment satiriques.

Illustration © Grégoire Bouchard

Cependant, je ne veux pas donner l’impression que cette œuvre n’a aucune qualité. Hormis la représentation de certains personnages, le style artistique est agréable. Bouchard sait indéniablement recréer l’esthétique rétro-futuriste de la science-fiction, et son utilisation de lignes fines dans les ombres ajoute une texture au monde qui le rend plus réaliste. Son talent clair pour la création de paysages, notamment de falaises vertigineuses, m’a poussé à continuer de lire cette BD.

De plus, à certains moments où Bouchard plonge dans le passé de deux des agents soutenant la mission de l’OPQ — l’infirmière qui aide Deslauriers et le mécanicien qui répare l’avion piloté par Leclerc — j’ai ressenti une certaine affection pour eux. La crise de la mortalité est fondamentale, et l’histoire de leur rencontre et de leur désir commun d’avoir un but est bien racontée.

Nonobstant, les aspects positifs n’ont pas suffi à me faire aimer Opération Prince Québec. Cependant, peut-être que vous trouverez quand même une subtile subversion de l’idéologie des protagonistes, ou une ironie puissante qui en facilite la lecture.

Ce livre a été gracieusement fourni à ImaginAtlas en échange d’une juste critique.