La science-fiction Jeune Adulte a toujours été un genre que j’affectionne tout particulièrement. Panacea > Build 1.0 de Charli Drever fut ainsi le livre idéal pour commencer l’année à cet égard. Se déroulant en 2039 à Londres, ce thriller cyberpunk suit un groupe diverse d’adolescents qui se retrouvent entraînés au cœur de l’agitation politique du pays après l’adoption d’une nouvelle loi privant les immigrants de la plupart de leurs droits restants, notamment le droit de continuer de poursuivre leur éducation après l’âge de 16 ans.
L’histoire emploie plusieurs perspectives, ces dernières s’alternant entre elles au cours des chapitres du récit dans le but de montrer comment bon nombre de vies sont détruites à cause de cette loi nouvellement imposée. Ces points de vue suivent quatre adolescents immigrants qui réussissent à échapper à leur sort grâce au plan d’une intelligence artificielle, dotée de la capacité de prédire l’impact des actions humaines sur le cours de l’histoire. Développée par une hacker révolutionnaire, l’IA est responsable de la création de la « Panacée », un plan visant à venir en aide aux gens sanctionnés par la loi, et pour cela, a besoin d’humains pour mettre le plan en action.
L’intrigue principale est centrée autour de Taiye Ogadele (prononcé Tai-yeh). Bien qu’étant née en Angleterre, Taiye est considérée comme une immigrante, puisque sa mère est originaire du Nigéria. Quand son amie est battue par un soldat, Taiye riposte pour la sauver. Désormais condamnée à mort pour avoir blessé un soldat cyborg, elle doit fuir dans l’espoir de se rendre dans l’Écosse indépendante, la seule manière de s’échapper de la sentence. Charli Drever centre l’histoire autour de cet incident, formant une critique percutante du traitement des personnes noires et brunes par l’autorité policière. Comme les manifestations de Black Lives Matter en 2020 ont clairement démontré, la brutalité policière et le racisme sont des problèmes mondiaux qui doivent être abordés dans la fiction, y compris la littérature de l’imaginaire.
Parmi les autres personnages importants du récit se trouvent Alex, une immigrante de troisième génération d’origine irakienne et la jeune protégée de Taiye; Felicity, la sœur adoptive d’Alex; et Ruslan, un garçon biélorusse fréquentant le même collège que Taiye, et qui subit, lui aussi, les conséquences de la loi. Ruslan est embauché par l’IA afin de libérer Taiye, une joueuse essentielle dans l’exécution de la Panacée. La façon dont Drever alterne entre les différents personnages apporte un certain équilibre au récit, chacun d’entre eux ayant un temps égal dans le narratif. Court, vif et bien cadencé, chaque chapitre garde l’intrigue en marche tout en approfondissant la connexion du lecteur avec les personnages.
Le développement des personnages principaux de Drever est excellent mais je dois également féliciter l’auteur pour le travail fait sur Berry et Olly, les amis de Taiye et d’Alex. Sans nous offrir leur perspective à travers le roman, chacune d’entre elles est pourtant remplie de vie, l’auteur ayant su injecter assez de détails pour les élever au-dessus du rôle d’un simple personnage secondaire. Chacun a des passe-temps, des amis, des rêves et une famille. Les brèves mentions des loisirs comme la peinture de Taiye ou les rêves de Ruslan d’étudier à l’université gardent l’histoire ancrée à terre, contribuant à son réalisme, une fois de plus. Ces gens sont encore si jeunes et devraient mener une vie bien remplie, mais voient désormais leur futur compromis par une sanction gouvernementale qui opprime un grand nombre de personnes en Angleterre.
L’héritage diversifié des personnages apporte un contraste intéressant aux perspectives narratives, sans toutefois devenir le facteur déterminant dans leur interprétation du monde. Alex, ayant fait face à l’islamophobie et à des commentaires douloureux même avant sa rencontre avec la police, est naturellement en colère. Taiye est pleine d’espoir mais effrayée, Ruslan est cynique mais toujours prêt à passer à l’action, et Felicity est tout simplement terrifiée et ne veut nullement prendre part au plan.
Les amitiés, en particulier dans le groupe d’amis de Taiye, sont empreintes d’une authenticité touchante. Le groupe se soutient et s’aime inconditionnellement, et n’a pas peur de se taquiner et de faire des blagues, même dans les moments sombres. Leurs amitiés ne sont toutefois pas parfaites; plusieurs personnages ont des désaccords sur la bonne marche à suivre, sans toutefois laisser leur divergence d’opinion détruire leur relation. Plutôt que de choisir par défaut une mentalité « nous VS. le gouvernement », Drever opte pour une approche plus nuancée, laissant planer le doute sur la meilleure façon d’agir.
En parlant de nuance, Drever applique le stéréotype de la « minorité modèle » sur la mère de Taiye, Femi Ogadele, afin de souligner l’injustice du système anglais. Femi, réfugié d’une guerre civile ayant demandé l’asile en Angleterre deux décennies auparavant, est violemment arrêté pour le délit mineur d’emprunter de l’électricité – à un voisin qui lui avait pourtant fait une offre de son plein gré. Malgré ses années de service comme infirmière, elle est jetée dans un camp de réfugiés en attendant son procès. Tout au long de l’histoire, Drever met l’accent sur le souci que Taiye et Femi ont pour leur famille et sur leur peur de ne plus jamais se revoir.
La relation entre Taiye et Femi met en valeur le thème principal de cette histoire : l’amour. Leur amitié est ce qui pousse tous les adolescents à dépasser leur peur et à se rassembler. L’amour qu’ils ont les uns pour les autres et leur compassion envers les autres personnes vivant dans des situations similaires à travers le pays sont ce qui les motivent à se battre pour leurs droits.
L’amour dans cette histoire est explicitement lié à la politique de gauche. Ce n’implique pas simplement la fin des brutalités policières et la lutte contre le racisme anti-noir. Il mène à une politique d’acceptation radicale de toutes les personnes, qu’importe leur race, leur sexe, leur orientation sexuelle ou leur statut d’immigration. Il signifie l’entraide et l’acceptation de ceux qui étaient auparavant rejetés, comme les sans-abri et les drogués.
Même si l’histoire de Drever relève de la science-fiction, chaque élément technologique de cet avenir pas-si-lointain s’appuie sur la lutte de l’amour contre l’autoritarisme. L’Angleterre est devenue un état de surveillance, avec des drones qui survolent constamment le territoire et des soldats qui patrouillent dans les rues. Les raids d’immigration, qui ont conduit aux arrestations d’Alex et Femi, sont de plus en plus fréquents. Les téléphones ne sont qu’un autre appareil d’écoute, avec des algorithmes qui observent les gens.
L’IA qui recrute Ruslan et crée Panacea est la réponse à tous ces problèmes: une technologie prédictive puissante qui peut être utilisée pour saper le gouvernement. Bien que la technologie fut principalement utilisée pour le mal, Drever montre, à travers cette IA, qu’elle peut aussi être utilisée pour faire du bien. Ce n’est qu’un outil, un outil qui peut changer le monde s’il est guidé par les gens dotés de bonnes intentions.
Je vous préviens maintenant : bien qu’il y ait des moments de comédie, celle-ci n’est pas une histoire facile à digérer. C’est l’histoire d’une révolution qui, comme la plupart des révolutions, inclut de la violence et de la mort. Ce n’est certainement pas tout le monde qui se rendra jusqu’à la fin. Même s’il fait partie de la catégorie jeunesse, ce livre est vraiment mature et parfaitement convenable pour un.e lecteur.e adulte.
Panacea sera publiée le 9 juillet 2021 et je vous encourage fortement à vous en procurer une copie. Comme dans la vie réelle, cette révolution laisse des survivants qui porteront le flambeau et continueront à se battre pour la liberté au nom de leurs amis décédés. L’écriture est puissante, et Drever traite des thèmes lourds avec une touche habile et un engagement indéfectible envers la vérité. À notre époque, quand des lois sont adoptées qui menacent le droit des gens à manifester au Royaume-Uni, Panacea semble plus nécessaire que jamais, et je recommande vivement ce livre à tous ceux qui ont le moindre intérêt pour la politique, le YA ou les dystopies cyberpunk.