Par collectif

 

Alors que la fin de session s’amorce pour les étudiants des Horizons imaginaires, voici venu notre dernier article régulier de la saison, pour lequel deux étudiants de l’équipe ont chacun lu un livre paru cet automne aux Éditions de La Peuplade, une maison reconnue pour la facture visuelle de ses ouvrages qui est toujours à couper le souffle! Hao Chen s’est familiarisée avec le langage poétique d’Isabelle Gaudet-Labine, dont le recueil Nous rêvions de robots a l’originalité de lier la poésie à des thèmes bien connus et appréciés des récits de la science-fiction; Sylvain, quant à lui, a plongé dans l’univers troublant et tremblant que Mathieu Villeneuve a élaboré dans Borealium tremens, soit un Saguenay fantasmé et dérangeant à souhait…

 

Et si nos publications vous manquent déjà, sachez que nous ferons paraître un dernier petit mot vendredi prochain, qui fera le point sur nos récentes activités, ainsi que sur ce qui s’en vient en 2018 dans les territoires insolites des Horizons imaginaires! Entre-temps, suivez-nous sur les réseaux sociaux pour tout savoir de nos activités en cours, que ce soit sur Facebook ou sur Instagram!

 

Crédit: Hao Chen He

 

Un cauchemar humain

 

Par Hao Chen He 

 

C’est un après-midi banal, un début de soirée où la fin d’automne se fait sentir. Bloquée sur la route, les derniers rayons du soleil m’illuminant toujours la joue, j’attends. Je suis fatiguée, je veux me coucher. J’aimerais avoir un téléporteur pour arriver chez moi en un instant. «Quand vais-je arriver, quand vais-je arriver…» Pour me distraire, je décide de commencer à lire Nous rêvions de robots d’Isabelle Gaudet-Labine. Je relis sa dédicace, obtenue au lancement de La Peuplade: elle me souhaite un bon voyage dans le temps. Plutôt qu’un téléporteur, c’est maintenant une machine à voyager dans le temps que j’aimerais posséder. J’entame ma lecture.

 

Je n’y comprends rien…

 

Je suis déçue, je ne comprends rien au «Passé», première section de son recueil de poésie. Je lève les yeux et je réalise que je suis la seule voyageuse dans l’autobus en train de lire un livre – un livre papier, qui n’a pas été préalablement téléchargé sur une tablette. Autour de moi, les passagers sont rivés à leurs écrans, ignorant la beauté du ciel à l’extérieur. Ma voisine envoie des sourires virtuels à sa copine sans lui sourire pour vrai. Je replonge dans ma lecture: «Présent». Bon, là, je saisis mieux ce que l’auteure raconte. L’envoi de courriels, la présence sur les réseaux sociaux: voilà, c’est mon univers, je comprends enfin! Peut-être que la lecture ne sera pas si difficile que ça, finalement. Et les robots prennent forment. «Futur». Le rêve des robots se réalise. L’omniprésence de ceux-ci se fait sentir. Les humains sont devenus des robots, ou est-ce les robots qui sont devenus humains? Que vaut la vie quand la technologie disponible nous force à vivre? Malgré le fait que la lecture de ce recueil m’a pris moins d’une heure, elle a fait naître en moi de nombreux questionnements.

 

Au temps du «Passé», quelqu’un raconte son enfance passée dans un champ: je sens la terre sous mes pieds, je vois le coucher du soleil et je goûte au pain fait maison. La voix qui parle – Isabelle elle-même? – rêve d’être poète, mais c’est l’agriculture qui permet à sa famille nombreuse de survivre. La vie est difficile pour ses parents, qui risquent de développer des problèmes de santé à cause de leur métier. Elle rêve de machines qui faciliteront ce travail, car elles lui offriront un futur plus joyeux. L’espoir naïf propre aux enfants est présent dans cette section du recueil. Dans «Présent», elle est devenue une jeune femme qui vit dans une société où il y a une abondance de technologies avancées. La messagerie électronique permet une communication instantanée, mais elle raréfie également les contacts directs entre les individus. Les mots sont dénués de sens. La conversation est réduite à l’essentiel, soit au pratique seulement. Le monde est enfermé dans cette plateforme que nous surnommons Windows: «Par ces fenêtres on ne voit pas/le corps soulever la charrue/mais le code c-h-a-r-r-u-e» (p. 41). Les humains vivent dans le virtuel et regardent le monde à travers ces fenêtres. Tout est facilement accessible; aucun besoin de se déplacer. Par contre, la solitude règne. Faire l’amour est un moyen pour échapper à cette solitude. Puis vient le «Futur», alors que la poète vit finalement dans le monde dont elle a rêvé depuis sa tendre enfance, mais le monde n’est pas nécessairement devenu meilleur. J’ai l’impression qu’on y a commencé à oublier les intentions initiales… «Territoires/langues/coutumes/bazoukés d’argent» (p.66). Tout devient source de profit, et tout le monde veut en profiter. Son enfance dans les champs est un souvenir lointain, remplacé par une société faite d’individus, où rien n’importe plus que sa propre personne, «Devant je/derrière je/à gauche à droite je» (p.61). La technologie contrôle tout, même la vie. Le silence règne, et ironiquement, l’expression d’un soi original disparaît. La possibilité de vivre plus longtemps est offerte à tous, grâce à la régénération cellulaire. Qu’est-ce qui nous différencie alors des robots? Le froid, le silence, tout ce qui reste. Une identité propre à chacun, une idée mise à l’oubli.

 

Lorsque j’ai lu ce livre pour la première fois, j’ai eu beaucoup de difficulté à comprendre ce que l’auteure essayait de faire passer comme message. Par contre, après deux ou trois relectures, j’ai arrêté de chercher à comprendre. En me concentrant sur ce que le recueil me faisait ressentir, j’ai remarqué des choses que je n’aurais jamais vues si je m’étais fixée uniquement sur ce que l’auteure voulait que je sache; j’ai réalisé qu’on ne lit pas de la poésie comme on lit un essai! J’ai choisi d’avoir ma propre interprétation des mots. La séparation entre le «passé», le «présent» et le «futur» s’est alors avérée être un choix ingénieux. Cela permet au lecteur de clairement voir l’évolution de la technologie et l’effet que celle-ci a sur nous en tant qu’humains, à époques interposées. Aussi, les sous-titres qui identifient chaque section du recueil nous indiquent notre propre évolution face à la technologie. Dans le passé, nous nous retrouvons principalement sur la terre; dans le présent, nous mettons de la distance entre nous et la terre, comme un équilibre entre la vie et la technologie; enfin, dans le futur, la technologie nous captive complètement – elle fait de nous des captifs, envahit entièrement nos vies. Bref, Nous rêvions de robots est un recueil de poèmes qu’il faut prendre le temps de ressentir, à l’écriture ingénieuse et surprenante; je vous en recommande fortement la lecture!

 

Crédit: Sylvain Liu

 

Folie boréale – malédiction et démence du Nord

 

Par Sylvain Liu

 

C’est par une froide matinée d’octobre que j’ai reçu Borealium tremens, le premier roman de l’auteur québécois Mathieu Villeneuve. La couverture du livre est d’un bleu sombre qui rappelle les nuits d’hiver, lorsque résonnent les sinistres croassements des corneilles. J’avais froid à force de regarder le roman.

 

En tournant la page couverture, je me suis retrouvé plongé dans un scénario apocalyptique: une épidémie de tiques, des orignaux enragés qui menacent de renverser les imprudents qui osent s’aventurer seuls sur les autoroutes, et un déluge qui balaye toute la région du Saguenay… Toutes ces menaces n’éteignent cependant pas l’ardent désir qu’a David Gagnon de s’installer sur sa terre ancestrale, dans la maison en ruine que lui a léguée son grand-oncle, cette fameuse Maison Brûlée située au rang 7 de Saint-Christophe-de-la-Traverse.

 

J’ai tout de suite été captivé par le début de l’histoire. L’intrigue semblait plutôt banale, mais j’avais l’impression qu’en feuilletant les premières pages, je pouvais déjà ressentir la tension accumulée que les quelque 300 pages suivantes allaient libérer. Quelque chose allait mal tourner, mais quoi? J’ai continué ma lecture…

 

Nonobstant les terres gelées et stériles, le voisinage peu amical, les cadavres de corneilles qui pourrissent sur le rebord des fenêtres et les fissures entre les planches de bois qui laissent pénétrer dans la maison un vent glacial qu’on croirait venir de l’au-delà, David veut s’établir dans la Maison Brûlée avec l’intention d’y trouver la tranquillité qui lui permettrait de travailler sur son roman. Avec la petite ambition de devenir l’auteur le plus influent du Saguenay, le jeune homme s’attèle avec ferveur à cette tâche sacrée.

 

L’ambition du personnage principal m’a rappelé mon engouement profond pour l’écriture et mon grand rêve d’écrire un jour une histoire qui pourrait influencer des millions de lecteurs! Tout de suite, je me suis senti lié au protagoniste. Mes mains ont continué de tourner les pages. La suite de l’histoire, ainsi qu’une tension grandissante, m’ont peu à peu été dévoilées à travers une écriture à la fois stylisée et crue. Afin de mieux interpréter les voix qu’il entend dans sa tête et d’établir un contact avec les esprits de ses ancêtres qui semblent toujours rôder sur les terres de la Maison Brûlée, David Gagnon ne se prive pas de cocaïne, ce qui lui ouvre les portes de la perception – pour reprendre l’expression de Huxley. Le sol peu fertile lui rapporte aussi une modeste récolte de patates dont il se sert pour produire de la vodka dans la cave de la maison ancestrale. Afin de rendre justice à la région isolée du Québec où il s’est installé, une région qui devient un monde où le réel se mêle à l’irréel, l’alcool aux fantasmes, la cocaïne aux chagrins, le présent au passé et les vivants aux morts, David décide d’intituler son roman Borealium tremens, expression latine qui, par ses tremblements, évoque la folie boréale.

 

Malheureusement, les circonstances semblent tout faire pour s’opposer au projet de l’écrivain en herbe, voire l’anéantir. Tout le monde du village, du maire au curé, tente de le chasser de leur coin; les voix dans sa tête deviennent de plus en plus incompréhensibles; et une ancienne prophétie autochtone présageant l’actualisation d’une terrible haine ancestrale sur toute la région du Saguenay paraît être sur le point de se réaliser. Jamais David n’aurait pu imaginer combien le titre qu’il avait donné à son oeuvre était proche de la réalité qu’il vivrait malgré lui…

 

Il était deux heures du matin lorsque j’ai terminé ma lecture. J’ai rabattu la dernière page du roman, les mains moites de sueur, presque tremblantes. Je n’ai pas bien dormi cette nuit-là, et je vous souhaite de passer une aussi mauvaise nuit à votre tour!

 

Révision: YinNan Huang et Mathieu Lauzon-Dicso