Par Alina Orza, Amalia Greve Danielsen et Ila Ghoshal

 

Un écran, devant moi, assorti d’un clavier. Et une voix féminine se fait entendre, parlant d’un ton mesuré.

« Bonjour, Alina. Bienvenue dans Immergez-vous. Je m’appelle Irena et je suis ici pour m’assurer que votre expérience avec nous soit aussi bonne que possible. Chez Immergez-vous, nous sommes fiers de fournir les meilleures expériences possibles d’immersion dans des univers fictionnels. Nous avons évalué vos goûts personnels, mais nous hésitons entre deux versions d’une même expérience : nous pourrions vous faire plonger soit dans l’univers du roman Carbone modifié, un roman de science-fiction paru à l’an 2002 (années terrestres), œuvre de l’auteur britannique Richard Morgan, soit dans celui de la série télévisée basée sur ce livre, dont la diffusion a commencé en 2018 sur Netflix.

 

Pour déterminer quelle expérience vous convient le mieux, je vous invite à brièvement faire connaissance avec certains personnages de ces univers, avec lesquels vous pourrez interagir dans le cadre d’une conversation de groupe totalement sécuritaire. Pour l’amorcer, veuillez utiliser l’écran tactile devant vous. Puis, une fois la discussion bien entamée et que vous serez sûre de votre décision finale, vous n’aurez plus qu’à confirmer l’expérience désirée en l’identifiant à haute voix. Bonne discussion! »

Curieuse, je regarde l’écran. Ce qui ressemble à une application y est déjà ouvert; Fic-Chat, en grosses lettres lumineuses. Je vois que déjà, certains personnages sont en ligne. J’hésite quelques secondes avant de commencer à taper.

 

Crédit : Alina Orza

 

10 h 26

 

Alina : Bonjour, est-ce que quelqu’un pourrait me conseiller? Devrais-je choisir de m’immerger dans le roman Carbone modifié ou dans son adaptation sur Netflix?

 

[Takeshi Kovacs est en train d’écrire.]

 

Takeshi Kovacs : Je te conseillerais de choisir le livre parce que les gens — tu dirais sûrement « les personnages »… — présents dans le livre sont beaucoup moins clichés que ceux de la série. Ce qui motive notre comportement n’est peut-être pas toujours juste, mais au moins, ça maintient le suspense. De ce que j’ai pu voir de la série télé, les enjeux y sont traités de façon moins nuancée, ce qui rend la lecture plus intéressante, et de loin.

 

Alina : Ok, donc les personnages sont plus complexes dans le livre, c’est ça?

 

[Takeshi Kovacs est en train d’écrire.]

 

Takeshi Kovacs : Oui, surtout mon personnage. J’ai trouvé aussi qu’imposer le personnage de Quell dans la série, comme si elle était toujours vivante, change complètement la mission des Corps; notre but était d’anéantir toute rébellion, et cela rend certains aspects du roman moins nuancés. Et je trouve qu’ils ont trop essayé de me dépeindre comme un type sympathique pour le petit écran, simplement pour que les gens qui regardent la série soient plus à l’aise. Just let me be an ass!

 

Alina : Hahaha! J’avoue que les personnages un peu antihéros sur les bords sont tellement plus intéressants à lire…

 

[Takeshi Kovacs souhaite démarrer une visioconférence.]

 

Takeshi Kovacs : Don’t listen to this asshole… Si tu regardes la série, tu me trouveras tout aussi intéressant! Une série télé et un livre sont deux médias différents, et il faut comprendre qu’il y a beaucoup de passages à couper pour adapter un roman à la télé. D’ailleurs, chaque épisode dure au moins en moyenne 50 minutes, ce qui peut déjà fatiguer certains téléspectateurs. C’est donc normal que les scénaristes et les réalisateurs aient laissé de côté les éléments longs et ennuyeux… pour ne garder que le meilleur!

 

Alina : Ah, d’accord… Bien sûr, beaucoup d’adaptations cinématographiques et télévisées de romans font la même chose, en coupant dans le récit d’origine. Mais est-ce que ça ne revient justement pas à affirmer que les romans peuvent inclure davantage de détails, ce qui ferait d’eux le meilleur support? Ou plutôt, comme tu viens de le dire, c’est plutôt que les adaptations, souvent, peuvent se baser sur les meilleurs éléments et les faire ressortir?

 

Takeshi Kovacs : Oui, je sais que c’est impossible d’inclure tous les détails d’un livre dans une série, mais crois-moi : l’adaptation prend le meilleur du livre et, encore mieux, elle permet même d’ajuster les petits défauts qui sont éternels sur papier. Par exemple, dans notre série, je partage l’écran avec beaucoup plus de personnages féminins différents; ça me plait assez!

 

[Kristin Ortega est en train d’écrire.]

 

Kristin Ortega : Moi, je suis totalement d’accord avec Takeshi.

 

Takeshi Kovacs : Merci, Ortega !

 

[Kristin Ortega est en train d’écrire.]

 

Kristin Ortega : Je parle du vrai Takeshi, celui du livre!

 

[Takeshi Kovacs et Kristin Ortega sont en train d’écrire.]

 

Takashi Kovacs : Je me disais, aussi…

 

Kristin Ortega : Dans la série, moi aussi, je suis complètement différente! Je n’aurais jamais dit ces choses-là…

 

Alina : Quelles choses?

 

[Kristin Ortega est en train d’écrire.]

 

Kristin Ortega : Plusieurs choses! En fait, dans la série, je n’ai juste pas l’air de moi même. Je n’ai aucune idée pourquoi les scénaristes m’ont représentée de cette façon. J’ai l’impression qu’on m’a simplement réduite au stéréotype de la policière latina qui a un tempérament incendiaire.

 

[Kristin Ortega souhaite rejoindre la visioconférence.]

 

Kristin Ortega : Tu es surtout juste jalouse que mon rôle à moi soit plus important dans la série que le tien dans le livre! Même que la scénariste Laeta Kalogridis [problème de connexion]

 

[Kristin Ortega est en train d’écrire.]

 

Kristin Ortega : Bon… Mais pour revenir à ta question, Alina, le livre comme la série ont tous deux beaucoup de scènes d’action et, dans les deux cas, il y a un meurtre à résoudre. L’enquête demeure intrigante jusqu’à la fin.

 

[Lizzie Elliot souhaite rejoindre la visioconférence.]

 

Lizzie Elliot : Absolument! Et y a-t-il quelque chose de plus jouissif que de voir quelques Maths et des gangsters se faire donner une bonne raclée? À l’écran, je t’assure, c’est spectaculaire!

 

Alina : Des Maths? Qu’est-ce que c’est?

 

Lizzie Elliot : Maths, c’est le surnom qu’on donne aux Mathusalems, des gens tellement riches qui peuvent s’offrir une nouvelle enveloppe en un claquement des doigts dès qu’ils en ont envie. Ils sont considérés comme immortels, à cause de ça, d’où le nom biblique…

 

[Laurens Bancroft a rejoint la visioconférence.]

 

Laurens Bancroft : On parle de nous? (*rire arrogant*) Chère Alina, écoutez-moi, c’est très simple : la série télé, à laquelle j’ai bien accepté de participer, vaut plus que le détour… À première vue, elle semble peut-être plus « simpliste » que le roman, mais dites-vous que presque tous les détails que vous y verrez, que vous croirez insignifiants, sont en réalité étroitement liés à mon meurtre…

 

Alina : Hmm, ça a vraiment l’air mystérieux, je dois l’avouer… Mais je ne sais toujours pas ce que je devrais choisir!

 

[Trepp est en train d’écrire.]

 

Trepp : Sans aucun doute, tu devrais lire le livre : je ne suis même pas dans la série télé! Dire que je suis un des personnages favoris des fans du roman! La fameuse mercenaire, Trepp! D’ailleurs, plusieurs d’entre eux ont fait comprendre qu’ils auraient vraiment préféré m’y voir! Sans moi, je trouve que la série passe à côté d’une perspective importante sur l’immortalité.

 

[Takeshi Kovacs est en train d’écrire.]

 

Takeshi Kovacs : Ouais, et cette folle, Reileen Kawahara, n’est pas ma sœur, contrairement à ce qu’ils prétendent dans la série!

 

Alina : Hey! Avertis-moi, avant de lancer un spoiler!

 

Crédit : Alina Orza

 

[Poe souhaite rejoindre la visioconférence.]

 

Poe : Bien entendu, Mademoiselle, la série n’est peut-être pas aussi détaillée que le roman, ses personnages ne sont pas tous les mêmes, mais elle fait preuve de prouesses techniques des plus exquises! Les effets spéciaux y sont époustouflants, j’en suis bien la preuve!

 

Alina : J’adore les beaux effets spéciaux! Mais, dites-moi, qu’est-ce qui est mieux : laisser l’imagination faire le travail ou apprécier la vision du superviseur des effets visuels?

 

[Kristin Ortega est en train d’écrire.]

 

Kristin Ortega : Je crois qu’il n’y a rien de mieux que de laisser libre cours à notre imagination. Mais j’ai l’impression qu’on arrive au terme de la discussion, à te lire… Alina, as-tu fait ton choix?

 

Message vu [10 h 48].

 

Je quitte l’écran du regard, puis je déclare à voix haute : « C’est une décision difficile, bien sûr, mais je pense que oui. Je choisis l’expérience — »

 

L’écran s’éteint soudainement, et une série de bips commence à résonner dans le cubicule. Confuse, je regarde autour de moi, alors que les murs semblent fondre et que l’image d’un homme flottant dans une immense cuve d’eau apparaît. Simultanément, une voix commence à réciter : « L’aube allait pointer dans deux heures. »

 

Je ne comprends pas trop ce qui se passe. Je me penche vers mon écran pour appuyer sur le bouton d’aide, lorsque deux messages s’affichent :

 

Merci d’avoir choisi l’expérience Carbone modifié — roman. Nous espérons que vous apprécierez votre expérience dans Immergez-vous!

 

Merci d’avoir choisi l’expérience Altered Carbon — Netflix. Nous espérons que vous apprécierez votre expérience dans Immergez-vous!

 

Bon, visiblement, ils m’ont immergée dans les deux expériences en même temps. Je devrais probablement appeler à l’aide et signaler l’erreur technique.

 

Quoique… Je réfléchis. Peut-être que je n’ai pas à choisir? Je peux profiter des deux expériences en même temps! Pourquoi pas?

 

Satisfaite, je m’étends sur le fauteuil, j’installe le casque d’immersion sur ma tête et je plonge dans l’univers de Carbone modifié.

 

https://www.youtube.com/watch?v=dhFM8akm9a4

 

***Les Horizons imaginaires tiennent à remercier les éditions Bragelonne
pour les exemplaires du livre reçus en service de presse.***

 

Révision : Mathieu Lauzon-Dicso