Une nouvelle sortie signée Netflix dans l’univers transmédiatique du Sorceleur, une nouvelle impression mitigée. Fidèle à la politique de production de masse et de large engagement qui font les beaux jours de la plateforme, The Witcher: Sirens of the Deep nous offre une nouvelle incursion en demi-teinte dans l’univers d’Andrzej Sapkowski. Entre libertés créatives nécessaires et réutilisations trop simples de schémas éculés, l’adaptation se perd en chemin et finit par se noyer dans l’océan d’animés de fantasy déjà existants.
Produit par Lauren Schmidt Hissrich, à qui l’on doit déjà la série Netflix en prise de vue réelle mais aussi le spin-off Nightmare of the Wolf, ce nouvel opus est une adaptation de la nouvelle Une once d’abnégation tiré du recueil L’épée de la providence. Le récit se déroule dans le village de Bremervoord, sur la côte ouest du royaume de Cidaris. Geralt (Doug Cockle) y séjourne avec son compère Jaskier (Joey Batey) dans l’espoir de trouver un emploi qui lui rapporterait quelques pièces. Une opportunité se présente lorsque le roi Usveldt (Simon Templeman) lui demande d’enquêter sur des attaques perpétrées contre les bateaux pêcheurs de perles. Ce qui, à première vue, semble une simple querelle de territoire de pêche se révèle être une affaire politique bien plus complexe.
Si le film commence pratiquement in media res, avec un combat entre Geralt et un allamorax – terrible créature des profondeurs – il se concentre très vite sur le conflit politique existant entre les royaumes terrestre et sous-marin, entre humains et peuples de la mer. À l’origine de ces tensions, la collecte de perles, ressource principale de la ville de Bremervoord, qui prive les sirènes et autres peuples subaquatiques de leur source de nourriture. Et pour ajouter du piquant au conflit, une histoire d’amour interdite entre la sirène Sh’eenaz (Emily Carey) et l’humain Agloval (Camrus Johnson). Élément quasi-anecdotique de la nouvelle originale, cet amour occupe une place centrale dans le film en raison de la position privilégiée des protagonistes. En effet, Sh’eenaz est la fille unique du roi et de la reine des sirènes, alors qu’Agloval n’est nul autre que le fils du roi Usveldt de Bremervoord. On retrouve là des schémas très classiques du conte et de la fantasy, sur lesquels je reviendrai ensuite.
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L’intrigue est portée par des personnages qui, n’en déplaise à Sapkowski, apparaissent très manichéens. Qu’il s’agisse d’Agloval, de son père Usveldt, de Sh’eenaz ou encore de la sorcière des mers, presque tous les protagonistes se trouvent très binairement positionnés moralement avec peu de place pour le changement. Le seul personnage faisant exception est Zelest (Ray Chase), le fils bâtard d’Usveldt et ancien tortionnaire de Jaskier devenu capitaine, dont l’évolution très stéréotypée est néanmoins un net progrès comparé aux autres.
Globalement sans saveurs, les personnages de l’adaptation peinent à convaincre, à l’image d’Agloval, vilain désigné de la nouvelle, qui devient un prince amoureux un peu mou et manipulé très ostensiblement par son père. Usveldt, absent de la nouvelle, apparaît très clairement pour ramener le schéma classique du roi utilisant sans scrupule ses fils pour ses propres intérêts. Sh’eenaz, la sirène dont Agloval semble éperdument amoureux, reçoit elle aussi un éclairage très différent de la nouvelle. Alors qu’elle ne fait que de très brèves apparitions, toutefois décisives, dans le texte de Sapkowski, elle se voit attribuer un rôle plus large dans l’adaptation, participant malgré elle à la montée des tensions entre son peuple et celui de son amant. Au contraire, le très séduisant et ténébreux Geralt voit sa relation avec Essi (Christina Wren), poétesse et amie de Jaskier, réduite à peau de chagrin alors qu’elle occupait le devant de la scène dans la nouvelle. Ici, on privilégie le spectacle au détriment de la complexité du personnage de Geralt, qui se débat avec des émotions qu’il jure pourtant ne pas ressentir.
Au fond, ce nouvel épisode des aventures du sorceleur est une réécriture brutale de La Petite Sirène, le célèbre conte d’Andersen. Le texte de Sapkowski, comme ses autres nouvelles et romans, repose sur un savant mélange de réécritures de contes populaires, assaisonné à la sauce grimdark. On y retrouve bien l’histoire de la sirène éponyme qui cherche à séduire un prince à grands renforts de métamorphose et de sorcière des mers. Y figure également le stéréotype de l’amour interdit évoqué plus haut, ici entre sirène et humain, qui menace de détruire les vies des protagonistes. Cet amour, pour se concrétiser, exige un sacrifice que le prince ne semble pas prêt à faire. Jusque là, le film d’animation se révèle assez fidèle à ses prédécesseurs.
Mais on y décèle également une forte influence de l’adaptation du conte par les studios Disney. La sirène y est alors fille du roi sous l’océan, et le choix de son cœur est plus lourd de conséquences politiques que dans le conte original. En effet, un peu comme dans Roméo et Juliette de William Shakespeare, les deux amants appartiennent à des factions opposées, au bord de la guerre. L’avenir des deux camps dépend de leur union.
Mais Sirens of the Deep, c’est aussi de l’action, des combats du sorceleur contre des monstres, des prouesses guerrières et un barde qui chante. L’adaptation reprend une recette qui fonctionne et qu’on réutilise à outrance, au risque de servir une soupe réchauffée. On retrouve donc un Geralt au sommet de son art, à peine inquiété par les monstres qu’il affronte. Il est bien sûr accompagné de Jaskier, fidèle faire valoir, barde extraordinaire et comique désigné, qui pousse inévitablement la chansonnette à un moment du film. On retrouve d’ailleurs avec plaisir la distribution de la série en vue directe avec Anya Chalotra qui donne sa voix à Yennefer lors de ses rares apparitions et Joey Batey dans le rôle de Jaskier. Et même si Henry Cavill a quitté la production Netflix, la voix de Geralt reste familière, puisqu’il s’agit de celle de Doug Cockle, doubleur original de Geralt dans les jeux vidéo.
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The Witcher: Sirens of the Deep, c’est finalement un film d’animation divertissant et plein d’action, comme tant d’autres trouvables sur les plateformes de vidéo à la demande. Il se repose sur des schémas éculés, aussi bien du côté des contes et des récits de fantasy (amour interdit, magie, personnages manichéens, récit initiatique et sacrifice) que du côté de l’univers du Sorceleur (même distribution, barde hilarant et maladroit, combats de monstres et sorceleur séducteur) dans lequel on replonge pour une version plus sombre, quoique peu notable, du conte d’Andersen : la Petite Sirène au pays du Sorceleur.