Il ya a vingt ans jour pour jour, nous avons été introduit à Enkidiev et aux fameux Chevaliers D’Émeraude donnant à la populaire série son nom. Au moins 1,3 millions d’exemplaires des douzes tomes ont été vendus, faisant d’Anne Robillard l’une des auteur.e.s québécoises les plus connues. Et ce n’est pas pour rien. Robillard a marqué l’imaginaire de milliers de jeunes lecteur.rice.s dans les deux dernières décennies, mais surtout, elle a prouvé que les femmes avaient leur place  dans la fantasy. 

Il est facile, aujourd’hui, de prendre ce fait pour acquis car les femmes ont consolidé leur place dans la fiction spéculative en écrivant un grand nombre de romans les plus vendus et les plus appréciés du genre. Bien sûr, il y a 20 ans, nous avions aussi Le Guin, Hobb, Butler, Atwood, et Rowling. Malgré cela, ce sont des hommes qui occupaient la majorité de l’espace dans ma bibliothèque. Alors pour moi, c’est Robillard qui a pour toujours changé la façon dont je percevais la fantasy. 

La série se déroule sur le continent d’Enkidiev, composé de différents royaumes, au centre desquels se trouve le royaume d’Émeraude. La paix règne sur le continent depuis 500 ans, suivant une  guerre terrible contre l’Empereur Amecareth, le souverain des hommes-insectes d’Irianeth. Quand celui-ci décide à nouveau de conquérir Enkidiev, le seul espoir d’Enkidiev est à nouveau placé entre les mains des Chevaliers d’Émeraude, l’ordre de chevaliers magiciens qui a défendu le continent lors de la dernière guerre contre Amecareth. Le premier tome de la série, Le Feu dans le Ciel, débute lorsque la reine du royaume lointain de Shola arrive au royaume d’Émeraude et laisse au roi sa jeune fille Kira—qui s’avère être l’enfant de l’Empereur Amecareth. Les Chevaliers d’Émeraude vont prendre connaissance d’une prophétie disant que Kira sera chargé de protéger le porteur de lumière, sur le point de naître, qui aura le pouvoir de détruire à tout jamais la menace des hommes-insectes. 

Les Chevaliers d’Émeraude est une série absolument épique, combinant chevaliers, magiciens, dieux et monstres étranges habitant divers royaumes. Mais ce qui est le plus fascinant dans cette série, c’est la présence de femmes à des postes souvent réservés aux hommes, tant dans l’histoire que dans d’autres univers fantastiques. Prenez le chevalier, par exemple. Lorsque j’étais jeune, j’associais ce titre—ou le rôle de guerrier en général—à des personnages comme Lancelot ou Aragorn. La seule femme guerrière que je connaissais était Eowyn, et ainsi, au travers de mes yeux d’enfant, Les Chevaliers d’Émeraude, avec ses douzaines de femmes chevaliers, était totalement révolutionnaire (il faut noter qu’il n’y a qu’une seule femme dans la première genération de chevaliers, mais les tomes suivants ont plus que corrigé ce déséquilibre). En particulier, Bridgess, un chevalier de la deuxième génération, était l’un de mes personnages préférés de la série en raison de sa ténacité, son courage, et sa redoutable intelligence. Cette chevaleresse n’hésite jamais non plus à dénoncer le sexisme, même lorsqu’il vient de ses proches camarades ou de ceux qu’elle admire, ce qui m’a non seulement prouvé que la fantasy c’est pour les filles aussi, mais que nous pouvons aussi devenir les sujets principaux de récits épiques. 

En effet, les femmes occupent le rôle de chevaliers, de déesses, de souverains, au même titre que les hommes. Mais ce qui est encore plus important, c’est que les femmes ne sont pas définies par ces positions ou par une trope unique ; elles sont toutes des personnages complexes, avec leurs propres ambitions, craintes et valeurs. Après avoir lu tant de romans dans lesquels les femmes étaient reléguées en marge pour faire place aux grandes batailles des hommes, c’était libérateur de voir les histoires de ces femmes traitées avec soin et importance.

Je me souviens des moments où mes amies et moi lisions ces romans et à quel point nous étions attachées aux personnages dans lesquels nous pouvions enfin nous reconnaître. Ce sont ces moments-là qui m’ont donné de l’espoir, qui m’ont fait croire que les histoires que je commençais à inventer avaient du potentiel et n’étaient pas moins importantes parce qu’elles étaient centrées sur une héroïne plutôt que sur un héros. Vingt ans plus tard, c’est une véritable joie et un grand soulagement de voir d’innombrables auteures à l’avant-garde des genres spéculatifs. Si j’ai un jour la chance d’être comptée parmi elles, je le devrai à Anne Robillard. 

Pour célébrer les vingt ans des Chevaliers d’Émeraude, une nouvelle édition des romans sera publiée à partir de l’automne 2023, en plus du lancement d’un tout nouveau tome (un préquel, ou tome 0 comme le dit l’annonce officielle). J’espère que cela introduira une nouvelle génération de lecteur.rice.s au merveilleux monde d’Enkidiev.