Par Adario Chirgwin-Dasgupta et Yin Nan Huang
Parce que l’équipe d’apprentis rédacteurs du blogue culturel des Horizons imaginaires souhaite en apprendre davantage sur les différents métiers des professionnels qui œuvrent au sein des cultures de l’imaginaire, et parce qu’ils veulent faire leur part et participer à faire connaître le travail de chacun à d’autres néophytes comme eux, ils lancent aujourd’hui une nouvelle série d’entrevues spéciales! Dorénavant, le premier article du mois sur le blogue culturel sera une entrevue, dont la réalisation amènera les étudiants de l’équipe à s’entretenir avec des éditeurs, des libraires, des directeurs littéraires, des illustrateurs, des traducteurs, des chercheurs, des organisateurs d’événements, etc., du Québec et d’ailleurs, qui auront accepté de partager avec eux quelques trucs du métier, ainsi que leurs visions de la science-fiction et du fantastique!
Nous sommes donc très heureux de lancer cette série aujourd’hui, avec deux personnalités bien connues du milieu de la science-fiction et du fantastique au Québec (SFFQ), soit Ariane Gélinas et Guillaume Voisine, tous deux éditeurs de la revue littéraire Brins d’éternité! Adario et Yin Nan, les ont rencontrés récemment lors du lancement du no 49 de la revue, qui a eu lieu le 24 février dernier à Montréal.
Adario Chirgwin-Dasgupta : Comment présenteriez-vous Brins d’éternité à de nouveaux lecteurs, en particulier à des cégépiens?
Guillaume Voisine : À la base, Brins d’éternité est une revue, spécialisée dans la publication de nouvelles de science-fiction, de fantastique et de fantasy. La revue se veut la plus professionnelle possible, mais elle demeure ouverte aux auteurs qui en sont à leurs premières publications. On aime découvrir de nouveaux auteurs et apporter quelque chose d’inédit au milieu, sans se cantonner aux écrivains déjà bien établis. Elle pourrait donc intéresser des cégépiens qui cherchent où soumettre leurs premiers manuscrits.
Ariane Gélinas : On a également la chance de travailler avec des illustrateurs qui en sont parfois à leurs premières œuvres. Bref, on est ouverts, à tous les niveaux, aux collaborations avec des artisans qui font leurs premiers pas dans le milieu. On propose aussi une revue indépendante, et le mot est important pour nous : comme on n’est pas rattachés à une maison d’édition, nos critiques sont réellement responsables de leurs opinions, et on ne se sent donc pas tenus d’orienter nos lecteurs vers les publications d’un éditeur en particulier.
Guillaume Voisine : Autre chose du côté historique, ça fait presque 15 ans que la revue existe. Ce n’est donc pas un projet qui vient juste de commencer! On a un processus et un lectorat bien établis.
Yin Nan Huang : Comment sélectionnez-vous les œuvres que vous publiez?
Ariane Gélinas : On sélectionne nos textes de façon anonyme. Cela assure une meilleure chance aux auteurs de la relève, puisqu’on évalue uniquement l’écrit. Dès qu’il y a une personne de l’équipe qui aime un texte, on en parle. La discussion autour des textes est donc très ouverte, et c’est toujours comme cela qu’on a fonctionné.
Yin Nan Huang : Même si la revue se spécialise autant dans les nouvelles de science-fiction, de fantastique et de fantasy, y a-t-il un genre que vous préférez personnellement?
Guillaume Voisine : Personnellement, oui! Dans l’ordre, ce serait la science-fiction, le fantastique et la fantasy.
Ariane Gélinas : Moi, c’est d’abord le fantastique, puis la science-fiction et la fantasy.
Guillaume Voisine : Mais on va quand même publier de la fantasy! (Rires de tous.) Juste un peu moins, et c’est principalement parce qu’on en reçoit moins. J’ai l’impression qu’à la base, c’est un genre qui est peut-être moins adapté à la nouvelle. Je dirais que c’est surtout dû à la distance que le genre a tendance à établir avec la réalité. Contrairement à la science-fiction et au fantastique, la fantasy est souvent complètement en dehors du réel, la plupart du temps dans un univers complètement différent du nôtre, et c’est plus difficile à instaurer dans un texte qui est très court. Malgré cela, mes préférences personnelles n’entrent pas nécessairement en jeu dans la sélection des textes, et je suis quand même capable d’évaluer un texte de fantasy, même si personnellement, ce n’est pas un genre qui m’intéresse particulièrement.
Yin Nan Huang : Diriez-vous que vos goûts personnels ont quand même une influence sur la sélection des textes, et y a-t-il une grande différence entre vos goûts de lecteurs et ceux que vous avez comme éditeurs?
Ariane Gélinas : Ta question me fait penser à une chose qu’a dite Joël Champetier, qui nous a quittés en 2015, malheureusement. Il disait qu’une des contributions d’un directeur littéraire d’une revue, c’était de donner sa « coloration » à la revue. En ce sens-là, il se peut qu’il y ait une petite incidence de nos goûts, puisque Guillaume et moi avons les mêmes préférences. Notre « coloration » risque donc d’aller davantage vers la science-fiction et le fantastique, mais on fait un effort pour que notre travail reste le plus objectif possible.
Adario Chirgwin-Dasgupta : Et si on parlait des origines de Brins d’éternité, et de comment vous avez repris la revue en charge?
Guillaume Voisine : La revue a été fondée par l’auteur Mathieu Fortin en 2004 comme fanzine, soit comme revue amateure. Il l’a dirigée tout seul pendant deux ans. Au terme de ces deux années-là, il m’a contacté et m’a demandé si je voulais reprendre le flambeau. J’ai accepté, mais j’ai décidé de m’entourer de personnes. Il y avait Carmélie Jacob, Sabrina Raymond, Geneviève Fournier-Goulet et Audrée Wilhelmy dans la première équipe. C’est un an plus tard qu’Ariane s’est ajoutée à l’équipe.
Ariane Gélinas : À la fin de 2007, pour être exacte. Carmélie Jacob, qui était la directrice artistique à l’époque, a quitté ses fonctions, et je l’ai remplacée. Mais Carmélie est restée dans l’équipe de la revue à titre de correctrice pendant plusieurs années.
Adario Chirgwin-Dasgupta : Est-ce que le contenu de la revue a changé lorsque vous avez repris le flambeau?
Guillaume Voisine : Brins d’éternité a toujours été une revue qui publiait des nouvelles, avec des articles en fin de numéro. Il y a toutefois certaines chroniques qui n’ont pas été reprises, dont la « Boule à Mythes ».
Ariane Gélinas : La chronique « Boule à Mythes », c’était une idée intéressante de Mathieu Fortin. Les articles mettaient en vedette un auteur qui avait publié un roman paru cinq ans plus tôt, souvent dix, et qui était amené à parler de son « vieux » livre, sorti des boules à mites…
Guillaume Voisine : Mais ça ne cadrait pas vraiment avec la façon dont on gérait la revue.
Ariane Gélinas : On n’a plus vraiment de chroniques avec des thèmes spécifiques, mis à part « Le cabinet du Docteur Bonin », une idée de Luc Dagenais, le directeur de la section articles. On publie plutôt des nouvelles, des commentaires de lecture et des entrevues.
Guillaume Voisine : Bref, ça a évolué, et maintenant, on a plus tendance à aller vers les essais plutôt que les chroniques, peut-être parce qu’au moment où on a repris la revue, on était tous des étudiants en littérature à l’université, dans la vingtaine, et ça semble avoir influencé notre approche qui tend vers le texte plus formel, plus universitaire.
Adario Chirgwin-Dasgupta : Comment était la charge de travail pour faire fonctionner la revue, au début?
Guillaume Voisine : C’est sûr que ça a été beaucoup de travail, puisque quand on commence un projet comme ça, tout est à apprendre. Maintenant, c’est peut-être un peu moins de travail, parce qu’on est habitués, on a des processus et on sait comment chaque chose fonctionne. On n’a pas besoin de réinventer ce qu’on doit faire chaque fois qu’on doit sortir un nouveau numéro. Mais au début, oui, c’était beaucoup, beaucoup de travail, au point où je ne crois pas que je ferais ça maintenant!
Ariane Gélinas : Aussi, chaque fois qu’on a dû recruter un nouveau membre pour différentes fonctions, peu importe les compétences intellectuelles et l’expertise de la personne, ça prend toujours beaucoup de temps pour s’adapter. Et honnêtement, ça fait plus d’une dizaine d’années que Guillaume et moi sommes à la revue, alors pour nous, c’est devenu un peu comme une seconde nature, un biorythme! On sait toujours lorsqu’une revue doit partir en impression, sans avoir besoin d’un calendrier de production, contrairement à la plupart des revues! C’est tellement intégré! Et on travaille très bien ensemble, ayant développé une méthode de télétravail, qui rend la tâche plus facile; après tout, Guillaume étant à Montréal, moi à Trois-Rivières, Internet simplifie tout.
Guillaume Voisine : Ariane et moi, on s’écrit pratiquement tous les jours!
Ariane Gélinas : Avec le temps, on est forcément devenus amis. La revue est donc réellement un projet d’amitié, avec deux autres membres principaux, Alamo St-Jean et Luc Dagenais. Ça fait tellement longtemps qu’on travaille ensemble que si l’un de nous annonçait qu’il partait, j’y penserais aussi.
Adario Chirgwin-Dasgupta : Pensez-vous devoir faire une autre transition vers une équipe qui prendrait la relève?
Guillaume Voisine : Rendus là, on verra. Ce serait bien que le projet continue et qu’on reste impliqués dedans. Pour l’instant, ce n’est pas encore dans les plans, mais c’est sûr qu’on aimerait que la revue continue après nous.
Yin Nan Huang : Vous pensez continuer à gérer la revue pendant combien de temps?
Ariane Gélinas : Je pense que ça va dépendre du désir d’enfants de la copine de Guillaume! (Rires)
Guillaume Voisine : Honnêtement, oui, c’est sûr qu’il y a ça.
Ariane Gélinas : Je dis ça parce que ça ne m’arrivera pas : je suis plutôt du genre à vouloir des enfants chats!
Guillaume Voisine : C’est clair que pour les deux prochaines années au moins, ça continue de mon côté, en terme de participation. C’est assuré!
Ariane Gélinas : On veut vraiment que la revue continue. Je ferais peut-être une petite dépression si Brins d’éternité n’existait plus… La revue représente une façon importante de m’impliquer dans le milieu culturel, et je trouve que c’est nécessaire pour moi de mettre du temps dans un projet de ce genre. Par contre, toujours former de nouvelles personnes est assez exigeant. Ce serait donc peut-être plus intéressant de confier le mandat à une nouvelle équipe, avec son effervescence, avant qu’on n’en soit plus capables. Ça reste quand même assez exceptionnel que l’équipe actuelle soit en grande partie celle qui était là il y a 10 ans!
Guillaume Voisine : Cependant, comme Brins d’éternité était un fanzine lorsqu’on a pris la relève, les gens du milieu de la SFFQ avaient tendance à penser que le projet ne durerait pas. Il y a un historique de fanzines qui meurent après avoir changé d’équipe. On espère que ça n’arrivera pas avec Brins d’éternité s’il faut changer l’équipe; quoique je ne pense plus qu’on publie toujours un fanzine maintenant!
Ariane Gélinas : Ça pourrait être intéressant de noter qu’on est un « prozine ». On s’assure de donner un cachet à nos auteurs, mais on ne peut pas les payer autant que ce que d’autres revues offrent, parce qu’on n’est pour l’instant pas subventionnés, mais c’est quand même dans nos intentions de le devenir. Pour notre no 50, nous espérons donc obtenir de petites subventions, et faire un pas de plus vers la professionnalisation.
Adario Chirgwin-Dasgupta : À ce sujet, pour nos lecteurs, pourriez-vous préciser quelle est la différence entre un fanzine et un prozine?
Guillaume Voisine : C’est de la terminologie : un fanzine est un magazine fait par des amateurs, par des fans. C’est ce qu’on était au début : des personnes qui n’ont aucune expérience en termes de publication et d’édition, mais qui veulent se lancer dans un projet de revue, normalement sur un sujet ou un genre qu’elles aiment. Avec le temps, plus le fanzine avance vers la professionnalisation, plus il peut commencer à payer ses auteurs et à avoir une meilleure qualité éditoriale au niveau de l’objet, du papier, etc. C’est là qu’on commence à tomber dans la catégorie des prozines. La différence avec un magazine professionnel, souvent, c’est le niveau de rémunération et l’ampleur de la distribution.
Mathieu Lauzon-Dicso (enseignant) : Comment fonctionne la rémunération de vos collaborateurs, en plus des auteurs?
Guillaume Voisine : On rémunère les auteurs et les illustrateurs, mais on ne rémunère pas les critiques. On rémunère les essayistes, mais les critiques, souvent, on peut leur fournir des services de presse.
Ariane Gélinas : Pour moi, l’essai, c’est de l’art, et tous les artistes qui œuvrent à la revue sont rémunérés, mais pas les autres collaborateurs. On aimerait cela le faire; on sait que c’est le cas chez d’autres revues.
Mathieu Lauzon-Dicso (enseignant) : Est-ce que vous pensez que si vous commenciez à rémunérer les critiques, est-ce que ça vous obligerait à en offrir moins dans vos numéros?
Guillaume Voisine : C’est sûr que si on commençait à procéder comme ça, on risquerait de nuire au contenu de la revue. C’est une des raisons pour lesquelles on ne le fait pas en ce moment.
Yin Nan Huang : Seriez-vous en mesure d’expliquer les dépenses générales que peut engendrer la publication d’un numéro régulier de la revue?
Guillaume Voisine : Les coûts d’impression tournent autour de 800 $ pour 150 exemplaires. Pour l’expédition, ça varie entre 200 $ et 300 $. Idéalement, on veut produire un peu plus d’exemplaires que ce dont on a besoin, mais on ne veut pas non plus avoir un surplus de réserve trop large. Et il y a d’autres petits frais comme les enveloppes, des cartouches d’imprimante, des choses comme ça. C’est quand même négligeable sur une année.
Ariane Gélinas : Il y a aussi les cachets faits aux artistes.
Guillaume Voisine : Effectivement! Ça coûte environ…
Ariane Gélinas : 400 $ par numéro!
Guillaume Voisine : Non. On est à cinq auteurs… Avec les illustrateurs, mettons 200 $.
Ariane Gélinas : 300 $ (Pause et échange de regards.) … 225 $!
(Rires.)
Guillaume Voisine : Si tu insistes! Bref, si on fait la somme de tout, ça revient à environ 1 500 $ en général par numéro, et il y en a trois par année.
Ariane Gélinas : Ce qui nous oblige donc à avoir 1 500 $ pour assurer un roulement de base.
Adario Chirgwin-Dasgupta : Est-ce que les ressources financières ont déjà été un problème par le passé?
Guillaume Voisine : Pour l’instant, même si on ne roule pas sur de gros surplus, tout va bien. La revue n’a pas de problème d’argent.
Ariane Gélinas : Deux exemples qui montrent que ça va bien sont qu’on est passés à la reliure allemande, ainsi qu’à la couverture couleur. Si les difficultés financières étaient trop grandes, on n’aurait jamais pu faire ces deux choses-là.
Guillaume Voisine : Il y a 5 ou 6 ans, la revue était agrafée. C’était que des pages, agrafées au milieu…
Ariane Gélinas : Ça avait l’air d’une espèce de missel! C’était beige, avec des rabats…
Guillaume Voisine : Ça coûtait beaucoup moins cher faire ça, au lieu d’avoir un dos carré. Le passage à la nouvelle reliure a entraîné une augmentation substantielle des coûts, mais c’est beaucoup plus professionnel et ça s’empile bien mieux!
Adario Chirgwin-Dasgupta : Est-ce que vos artistes sont rémunérés également?
Guillaume Voisine : La seule différence, c’est pour les illustrateurs de la couverture, qu’on paie un peu plus cher. Sinon, c’est le même montant pour tout le monde. Ce n’est pas un gros cachet, c’est surtout symbolique, mais on arrive quand même à payer tous les artistes.
Ariane Gélinas : Et si nous recevons les subventions prochainement, la première chose qu’on augmentera sera les cachets des artistes. Bien avant de nous donner un salaire!
Guillaume Voisine : Parce qu’on ne se paie pas.
Ariane Gélinas : Et les lancements, les déplacements, tout est à nos frais. Parce que c’est notre passion!
Guillaume Voisine : C’est complètement bénévole.
Yin Nan Huang : Donc en dehors de la revue, quelles sont vos professions?
Guillaume Voisine : On est tous multidisciplinaires! Je suis aussi auteur, même si j’écris un peu moins ces temps-ci. Professionnellement, je suis informaticien; c’est ça qui paie mon loyer! En dehors de Brins d’éternité, je fais aussi des critiques et je fais de la direction littéraire.
Ariane Gélinas : Dans mon cas, je travaille principalement dans le milieu de la littérature, spécialement les littératures de l’imaginaire. En plus de Brins d’éternité, je suis aussi auteure de quelques dizaines de nouvelles et de romans. Je fais aussi des critiques pour la revue Les Libraires et Lettres québécoises : la revue, c’est vraiment une de mes passions! D’ailleurs, ça s’est réellement manifesté en 2007 avec Brins d’éternité, qui a été la première revue à faire naître ma passion! Ça fait aussi trois ans que je travaille comme coordonnatrice d’une revue d’art visuel et de poésie, qui s’appelle Le Sabord; c’est mon gagne-pain principal. Mais je travaille aussi comme contractuelle, donc je fais de la direction littéraire, parfois pour Le Sabord, parfois pour Les Six Brumes. Ce sont différents mandats qu’on peut me confier, dans le milieu de l’édition. Je donne parfois des cours à l’université, même si le milieu de l’édition me fait vibrer davantage. Par contre, quand j’ai de bons groupes, à qui j’enseigne le fantastique et la science-fiction, j’aime vraiment ça, mais il faut savoir qu’une bonne énergie de groupe, ça se construit!
Adario Chirgwin-Dasgupta : Comment procédez-vous pour trouver les illustrateurs de la revue?
Ariane Gélinas : Souvent, pour les illustrations de couverture, je vais visiter des sites Web d’artistes que j’aime et je vais tenter de visualiser si leurs œuvres peuvent donner des pages couvertures intéressantes. C’est facile de trouver des illustrations de très grande qualité, mais qui ne pourront pas s’adapter pour donner une bonne couverture de revue : on a besoin d’espace dans le haut de la page, sur les côtés, etc., pour faire une page dynamique. Il faut que l’image soit magnifiée par le montage, avec l’ajout du titre de la revue, des noms d’auteurs : tout ça est parfois difficile à faire, et c’est quelque chose que j’ai appris de manière autodidacte. On ne fonctionne pas vraiment avec les commandes — je cherche vraiment des œuvres qui existent déjà. Mais pour l’intérieur des revues, c’est différent : ce sont des commandes. Les nouvelles sont envoyées aux illustrateurs, qui dessinent ensuite ce qu’ils veulent en s’en inspirant. Cependant, à partir du no 50, nous aurons aussi des œuvres d’artistes de l’imaginaire, et les illustrations se retrouveront entre les nouvelles, imprimées pleine page, sans que tout cela soit rattaché au contenu des textes. Et tout sera idéalement en couleur! On souhaite délaisser l’illustration limitative.
Adario Chirgwin-Dasgupta : Vos revues sont donc vraiment des pièces de collection.
Guillaume Voisine : On essaie, mais honnêtement une revue, ça a une obsolescence assez rapide. On remarque qu’une revue qui a été publiée il y a quatre ou cinq ans, personne ne veut vraiment acheter ça; c’est quelque chose qui est plutôt éphémère. D’où l’idée de tirer un surplus qui soit le plus petit possible.
Yin Nan Huang : Si le contenu des nouvelles d’un ancien numéro d’une revue est encore novateur et pertinent, pourquoi pensez-vous que les gens préfèreraient quand même se procurer un livre paru la même année?
Guillaume Voisine : Je ne sais pas exactement pourquoi. C’est quelque chose de culturel, je crois. On observe juste qu’une revue qui date de trois ans, c’est juste moins intéressant pour le public qu’un roman paru il y a trois ans. Et il faut savoir que même si une revue en général peut être considérée comme un classique, un seul numéro en particulier ne peut pas vraiment être un « classique » en tant que tel, sauf peut-être un numéro spécial, mais voilà.
Ariane Gélinas : D’ailleurs, on le mesure beaucoup avec Dix ans d’éternité, une anthologie des meilleures nouvelles de la revue parues dans les numéros sortis durant les dix premières années de Brins d’éternité. Le livre a été publié en 2014 aux Six Brumes, et il continue de se vendre aussi bien en 2018 qu’en 2014, ce qui est assez révélateur des préférences des lecteurs pour le livre plutôt que pour les magazines.
Adario Chirgwin-Dasgupta : Pour finir, puisque le temps file, une question sur… le temps! Combien vous en faut-il pour la réalisation d’un numéro?
Guillaume Voisine : Honnêtement, en termes d’heures, je ne pourrais pas le dire exactement. On sort un numéro tous les quatre mois, et ça nous prend pas mal ces quatre mois-là pour préparer le numéro. Il y a plusieurs étapes à suivre durant cette période. En tant que directeur littéraire, je reçois en premier des textes qui sont soumis par des auteurs. Ces textes, je les transmets ensuite au comité de lecture, qui doit décider si un texte devrait être accepté ou non. Si c’est le cas, on écrit ensuite à l’auteur pour transmettre la décision; si le comité refuse, on énumère les raisons, alors que si le texte est accepté, on énumère les aspects qui peuvent être retravaillés selon divers paramètres. À ce moment, une série d’échanges commence avec l’auteur. Après avoir retravaillé sa nouvelle, l’auteur m’envoie une nouvelle version, que je relis, et sur laquelle je laisse de nouveaux commentaires et d’autres corrections. Le processus se répète, et il peut alors y avoir jusqu’à cinq ou sept échanges de ce type avant qu’on arrive à un point où on accepte la publication du texte dans l’état où il est. Par contre, il faut quand même que je transmette cette version retravaillée aux réviseurs linguistiques, qui doivent passer le texte au crible pour corriger les erreurs de syntaxe, de lexique, etc. — c’est une révision très pointue. Le texte est alors retourné à l’auteur, qui me renvoie une version finale, que j’achemine à Ariane pour qu’elle fasse le montage. Je fais ensuite le suivi avec chacun des auteurs pour leur faire signer les contrats, pour produire les notices biographiques et obtenir une photo.
Ariane Gélinas : Il faut noter que les fonctions de directeur littéraire se partagent entre les membres du comité de lecture, parce que cette tâche est une lourde charge de travail. Pour une nouvelle de taille moyenne qui doit être retravaillée plusieurs fois, le temps qu’il faut y consacrer peut dépasser huit heures! Le processus de correction prend autant de temps; nos deux correctrices doivent d’ailleurs réviser le contenu des critiques, donc ça peut prendre plusieurs jours; la revue compte 128 pages, après tout! Ensuite, quand on arrive au graphisme, ça prend quatre jours complets, environ trente heures, avant d’avoir un PDF digne de ce nom pour l’envoyer aux relecteurs. En tant que directrice artistique, je dois contacter les illustrateurs, leur envoyer les textes à illustrer, faire des commentaires sur les illustrations, à moins qu’elles soient impeccables, et puis j’insère le tout dans mon dossier pour le graphisme. Pour le montage, idéalement, ça me prendrait un chalet pour m’isoler pendant quatre jours — j’aurais besoin de m’exiler pour me consacrer à la tâche! Il y a ensuite l’étape de la relecture des épreuves, qui est effectuée par Guillaume, les autres membres de l’équipe, un relecteur d’épreuves et moi : on prend le PDF page par page, ligne par ligne, et on voir s’il y a des anomalies. Moi aussi, je me relis comme graphiste, avec mon œil zélé, pour être certaine qu’il n’y a rien à bouger. Même si certaines choses ne sont pas graves, comme devoir déplacer une photo de deux millimètres, personnellement, ça me dérange assez pour le faire! Après ça, il y a l’étape de l’organisation d’un lancement, qui n’est pas aussi simple que ça en a l’air. Il faut prendre le temps de réserver les lieux, de convoquer les gens au lancement. Puis, avant que Guillaume ne range les exemplaires en réserve, il faut distribuer ceux qui vont aux abonnés, ce qui peut prendre une semaine. Bref, c’est du travail!
Yin Nan Huang : Merci beaucoup pour toutes ces informations! C’était passionnant de découvrir tout le travail que vous faites pour assurer le succès de Brins d’éternité!
Révision : Mathieu Lauzon-Dicso
1 Comment