Par Alina Orza
« Sommes-nous seuls dans l’univers? »
Cette question préoccupe l’humanité depuis toujours (oui, oui, on a ici un cas rare de sujet amené très sérieux malgré son immense généralité!) Même si la question dépasse la littérature de science-fiction, c’est grâce à ce genre que certaines des réponses les plus exigeantes ont été formulées, en particulier depuis l’Âge d’or du genre, qui en a fait un de ses principaux enjeux. En effet, depuis les années 1930-1940, d’innombrables œuvres ont porté sur l’existence de vies extraterrestres et des interactions que les aliens pourraient entretenir avec la race humaine. Pourtant, bien que plusieurs scénarios ont été proposés pour raconter les premiers contacts interespèces, peu d’auteurs (donc de lecteurs?) semblent s’être penchés sur la manière dont les humains communiqueraient avec les aliens. Étant donné la diversité et l’abondance des langues terrestres, quelles seraient les chances que des visiteurs extraterrestres puissent parler une langue qu’il nous serait possible de décoder? J’ai souvent remarqué, en lisant ou regardant des œuvres de SF, que ce problème est réglé « artificiellement », grâce à une technologie suffisamment avancée pour éluder la mécompréhension, lorsque ce n’est pas la race extraterrestre qui réussit, sans aide, à décoder le langage humain avec facilité, tant il est « simpliste » par rapport au sien. Toutefois, une branche particulière de la science-fiction a fait de la barrière linguistique son thème de prédilection, et ces œuvres explorent les possibilités qui en découlent avec finesse. Les théoriques linguistiques y servent de bases scientifiques pour proposer des fictions anticipatives centrées sur la communication, sur la langue et ses usages. Il s’agit de la « linguistique-fiction », comme l’identifie le linguiste Frédéric Landragin dans sa collection d’essais Comment parler à un alien? Langage et linguistique dans la science-fiction, parue chez Le Bélial’ en octobre 2018.
Comment parler à un alien, comme son titre l’indique, traite des chances que l’humanité a de réussir à communiquer avec des extraterrestres, dans l’éventualité d’un premier contact. Par le biais de théories linguistiques et d’exemples tirés de romans de science-fiction (ou plutôt, de « linguistique-fiction »), Frédéric Landragin nous amène à reconnaître que parler à des aliens serait un peu plus complexe que ce que plusieurs auteurs de science-fiction et encore plus de films hollywoodiens nous laissent croire. Le sujet est captivant, et la couverture de l’ouvrage donne très envie de s’y engager!
Malheureusement, pour moi, la lecture de ce recueil a été une expérience un peu… agaçante. Malgré une prémisse intéressante, il m’a semblé que le tag-line de « science-fiction » n’a été qu’une excuse pour deviser de linguistique, la science-fiction servant alors essentiellement d’exemple et non de sujet. Je ne veux pas sous-entendre par là que la science-fiction occupe une place de deuxième rang face à la linguistique dans le livre, mais simplement que j’ai eu du mal à comprendre pourquoi ce genre littéraire a été utilisé pour discuter de linguistique plutôt que, disons, la fantasy. La science-fiction semble en effet propice à l’étude de la linguistique, car elle permet la création et de ses langues à partir de rien; les auteurs peuvent établir leurs règles et les faire jouer à leur guise pour qu’elles viennent soutenir la trame narrative. Cependant, la création de nouvelles réalités linguistiques peut tout aussi bien se faire dans d’autres genres. De plus, il existe tellement de langues sur Terre, sans compter de vraies langues artificielles, comme l’espéranto, mais dont la plupart des gens n’ont jamais entendu parler : qu’est-ce que la « linguistique-fiction » apporte de plus que ce que les langues réelles ne réussissent pas déjà? J’aurais aimé l’apprendre, mais si l’ouvrage l’explique bel et bien, je ne l’ai malheureusement pas compris.
De plus, j’ai trouvé que l’écriture elle-même n’était pas engageante en dépit de sa structure simple et facile à comprendre. Les paragraphes interminables n’aidaient en rien à retenir mon attention et finissaient trop souvent en autant de séances de lecture abrégées, sur trois longues semaines, une éternité pour finir un recueil de 200 pages (ouf!). Les chapitres sont tous séparés par des aspects différents reliés à la linguistique, puis en sous-sections traitant de sujets plus pointus sur chacun des aspects : par exemple, la morphologie fait l’objet d’une sous-section dans le chapitre traitant des différents constituants d’une langue. L’organisation des chapitres était parfois un peu confuse, car l’auteur a privilégié une approche basée sur les éléments de linguistique plutôt qu’une organisation centrée sur les thèmes du chapitre. Par exemple, à mon avis, une approche chronologique aurait peut-être été de mise dans le chapitre sur l’évolution des langues naturelles, plutôt que celle autour des notions de linguistique, ce qui m’aurait rendu le chapitre plus simple à suivre et à comprendre.
Un autre gros problème pour moi a été la longueur et la répétition des explications. Des sous-sections explicatives occupaient souvent de trois à quatre pages, avec des paragraphes d’une demi-page de long : cela les rendait difficiles à finir et j’en retenais peu souvent le contenu. Il m’est arrivé plus d’une fois de lire une sous-section, pour en arriver à la fin sans me souvenir ce qu’en était le sujet! Je ne suis pas sûre que ce soit seulement causé par le manque de pratique… Cependant, j’ai noté que pour contrer cela, l’auteur se répétait très souvent, au point où je finissais bien par me souvenir de certaines choses, que je le veuille ou non. Par exemple, le roman L’Enchâssement, premier roman de Ian Watson, est tellement mentionné que j’ai maintenant l’impression de l’avoir déjà lu. On en arrive à croire que Frédéric Landragin a une réelle affection pour ce livre. Cela m’agaçait au début, mais je comprends maintenant que l’auteur ne faisait que nous taquiner et essayait de nous rendre un peu fous, à force d’y revenir. N’est-ce pas…?
Toutefois, malgré ses défauts, je dois admettre avoir trouvé Comment parler à un alien? assez intéressant par moments. C’était ma première lecture théorique sur la linguistique, et j’ai pu apprécier les thèses de Chomsky, dans lesquelles des principes mathématiques sont appliqués à l’étude du langage, et celles de Sapir-Whorf, pour qui la langue parlée par un peuple change sa perception du monde. J’ai seulement trouvé dommage qu’elles aient été présentées comme des modèles que les œuvres de « linguistique-fiction » infirmaient (du moins, c’est ce que j’ai cru comprendre); cependant, j’ai aimé le fait que l’auteur ne se soit pas attardé à les expliquer trop longuement, contrairement à d’autres principes linguistiques expliqués ailleurs dans le livre.
Heureusement, Frédéric Landragin sait aussi faire preuve d’humour dans le choix de ses sujets, ce qui allège considérablement le ton parfois trop « académique » du contenu. Par exemple, dans mon passage favori, au chapitre 2, il est question d’hypothèses qui expliqueraient pourquoi la langue orale est vite devenue indispensable – des théories portant des noms évocateurs tels que « hé-ho », « ouah-ouah », « cui-cui », « peuh-peuh », « la-la », « ding-dong », « ho-hisse » et « pff » et qui, même si elles sont rejetées par Frédéric Landragin comme n’étant pas « bien convaincantes », m’ont fait rire pendant un bon cinq minutes dans l’autobus. J’ai également bien aimé pouvoir lire certains extraits de romans de « linguistique-fiction » présentés par l’auteur; ils m’ont même donné envie de lire le reste des œuvres – j’en ai d’ailleurs ajouté plusieurs à ma liste de souhaits pour Noël! Qui sait, je donnerai peut-être même sa chance à L’Enchâssement…
En fait, je pense que je ne faisais tout simplement pas partie du lectorat cible pour ce livre. Tout d’abord, je ne suis pas une grande lectrice de non-fiction. Ce n’est tout simplement pas un genre qui a tendance à m’attirer a priori, à moins que le sujet traité m’intéresse énormément, ce qui, malheureusement, n’était pas le cas ici. En choisissant ce livre, j’avais espéré que la lecture d’un nouvel essai me sortirait de ma zone de confort et me donnerait une nouvelle perspective sur une discipline que je connais très peu. Or, j’ai eu du mal à me retrouver dans le livre et à me mettre au diapason avec l’auteur, n’ayant lu presque aucune des œuvres mentionnées par l’auteur, ce qui m’a déçue. La « linguistique-fiction » est une branche plutôt spécifique de la SF, et les œuvres qui semblent s’y rattacher demeurent malgré tout très nichées, pour un lectorat particulier dont je ne fais pas vraiment partie. L’une des seules œuvres mises en évidence dans l’essai et dont j’avais entendu parler est Premier contact – mieux connue en anglais sous le titre Arrival –, le long-métrage de Denis Villeneuve. Et même s’il était très populaire il y a un an ou deux, là encore, je ne l’ai pas encore vu! J’aurais d’ailleurs aimé découvrir plus d’œuvres n’ayant pas été rédigées par des auteurs anglo-saxons, des œuvres dont le public cible est plus jeune, voire des œuvres écrites par des auteurs québécois… Bref, une plus grande variété, qui aurait augmenté les chances pour que monsieur ou madame Tout-le-monde puissent retrouver quelque chose de familier. Mais peut-être que la « linguistique-fiction » forme un corpus trop restreint pour que cela soit possible : à la lecture de Comment parler à un alien?, c’est l’impression que j’en ai.
Cependant, malgré mon expérience plutôt décevante, ne vous découragez pas à lire cet essai! Si la linguistique vous intéresse ou si vous voulez en apprendre davantage sur l’impact des études sur le langage dans la science-fiction, n’hésitez pas à vous lancer dans la lecture de Comment parler à un alien? – on ne perd rien à essayer quelque chose de nouveau, n’est-ce pas? Et si ce n’est pas pour vous, eh bien, au moins vous en saurez un peu plus sur la linguistique et pourrez impressionner vos amis pseudo-linguistes durant les Fêtes, en mentionnant Chomsky et Sapir-Whorf – croyez-moi, ça fonctionnera!
***Les Horizons imaginaires tiennent à remercier les éditions Le Bélial’
pour l’exemplaire du livre reçu en service de presse.***
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