Par Awa Hanane Diagne

 

Pour son premier article dans la revue en ligne des Horizons imaginaires, Awa nous a préparé cette entrevue où on parle des « vraies affaires » avec l’artiste D. Mathieu Cassendo, une voix forte qu’on est franchement heureux d’entendre de plus en plus souvent dans le milieu de la SF au Québec !

 

Après avoir lu l’article (et le reste du dossier « Linguistik, des ailleurs qui (se) parlent 😉 ), on vous invite donc sérieusement à aller faire un tour dans ses univers : nous, on en est toujours pas revenu… !

 

Awa : Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs des Horizons imaginaires?

 

D. : Je suis Dimani (il/elle/iel), l’enfant d’une femme et d’un homme qui en sont à leur deuxième pays-domicile et descendant.e des personnes qui ont contribué à la première république Noire. J’exerce le métier de bédéiste professionnelle depuis 2016 en signant mes œuvres D. Mathieu Cassendo. À part de ça, je suis artiste pigiste, illustratrice. C’est avec des petits comic strips appelés Les D. Zaventures que je me mets plus actif dans le monde de la BD. Ma présence sur internet m’a permis de publier d’autres dessins accompagnés de blagues sur des plateformes féministes et de tomber sur une maison d’édition. Après avoir rompu avec cette maison d’édition qui a publié La Petite Suceuse en version papier, je continue, tranquillos, à dessiner des trucs que je trouve sympathiques.

 

Crédit: D. Mathieu Cassendo

 

Awa : Dans votre bande dessinée La Petite Suceuse, certains personnages s’expriment dans une langue où se mélangent le français québécois, l’anglais et le créole. Que visiez-vous par l’usage de cette alternance codique (ou « code-switching ») comme procédé littéraire?

 

D. : À la base, j’pourrais pas dire que je suis la scénariste la plus raffinée. Par choix, j’écris comme je parle. Ce serait mentir d’essayer d’intellectualiser la chose et de prétendre un engouement au métissage du dialecte montréalais. Des fois, mon vocabulaire est cute, d’autres fois il l’est moins. Les personnages que je crée sont chacun une partie de moi, donc je suppose que c’est inévitable qu’ils empruntent ma manière de parler.

 

Awa : De quelle manière l’identité métisse de Magdalena, à la fois humaine et hémagi, influence-t-elle sa position dans la société québécoise du futur? De la même façon, cette double identité influence-t-elle aussi sa façon de s’exprimer?

 

D. : L’identité de Mag l’isole beaucoup. Je n’ai pas pu l’élaborer comme il faut dans ce premier chapitre, mais elle est la seule Hémagi ayant un parent comme elle et l’autre parent humain. C’est difficile pour elle de s’accepter pleinement à cause des préjugés qu’elle a internalisés. Les citoyen.ne.s québécois.e.s sont, en grande partie, soumis aux Hémagis, mais anti-hémagis aussi. Étant identifiée seulement par son background Hémagi, en plus de travailler dans un domaine où elle se doit d’imposer son autorité, Mag se retrouve à être méprisée par des humains. Ça ne lui donne pas tant l’envie de fraterniser avec son humanité. Si on fait hyper attention, on peut remarquer que Magdalena se parle souvent seule. Même quand elle converse avec quelqu’un, il s’agit plus d’un monologue avec un témoin qu’un échange. Elle est bornée et coincée dans sa propre perspective, et on peut le voir à sa façon de communiquer. Mais concernant la grammaire et le vocabulaire utilisés, la réflexion n’est pas si deep. Mon intention était de la faire sonner comme une personne très jeune, mais qui a l’âme très vieille.

 

Crédit: D. Mathieu Cassendo

 

Awa : Quel est le message spécifique que vous souhaitez communiquer aux lecteurs en mélangeant des dialectes, des registres et des langues?

 

D. : Je n’envoie pas de messages. Ou, en tout cas, pas par exprès. J’ai remarqué que le dialecte que j’utilise n’existe pas par écrit dans la littérature québécoise. Je me rappelle de te-des-Nègres, un roman écrit par Mauricio Segura, un Nord-Montréalais d’origine latine. Chaque fois que je lisais « mwen pa sawè », mes paupières se plissaient comme pour analyser chaque lettre afin de savoir d’où ça sortait et qui parlait comme ça. Selon les notes de bas de page, c’était du créole haïtien dont la traduction était « je ne sais pas ». Pourtant, je n’ai jamais entendu aucun.e haïtien.ne le dire de cette façon. Les seules versions que je connaisse sont « mwen pa konnen» ou  « mandé’m » (qui peut être traduit par « C’t’à moi que tu demandes ça? ») Peut-être que « sawè » existe dans une région de l’île ou peut-être est-ce du très vieux créole. Qui sait? Pas moi.

 

Est-ce que je cherche à valider le franglais créole du Grand Montréal? À prouver l’existence des gens qui parlent comme moi? Ou peut-être à le rendre littéraire?

 

À la page 15 de La Petite Suceuse, le premier phylactère a été « corrigé » en langage « correct ». La phrase originale était « Euh, non… Y’a pas de “justement Anto” qui se donne. », puis elle a été modifiée pour « Euh, non… Y’a pas de “justement Anto” qui tienne… » Ce changement est dégueulasse, à mon avis. C’est aussi une des raisons dans la longue liste qui explique pourquoi j’ai quitté feu mon éditeur.

 

Mais ce remaniement est assez particulier. Ça me fait me questionner sur la raison qui pousse l’invisibilisation du créole montréalais. Parce que, tu sais, c’est assez commun de lire des ouvrages québécois avec du joual. Même que c’est célébré. Pourquoi ne pas célébrer tous les dialectes?

 

C’est sûr qu’il y a divers facteurs qui expliquent les fautes de correction dans ma BD. Pour le trip, j’annonce qu’il y en a au moins 40, la grande majorité étant des ajouts de points d’exclamation. Le travail de correction a mal été fait, et j’ai failli à ma job de vérifier les modifications. La seule conteuse haïtiano-québécoise que j’ai lue qui inclut un mélange du créole comme je le connais et du français d’ici, c’est Dyaman (En)poli dans Man Jozèf et la police.

 

Crédit: D. Mathieu Cassendo

 

Awa : Est-ce que les enjeux linguistiques vous interpellent dans votre processus de création?

 

D. : Ouais, man. Je ne parle pas couramment le créole haïtien, mais j’y suis attaché. C’est une langue riche avec une histoire fabuleuse. Qu’il soit mal perçu n’est rien d’autre qu’une répercussion du racisme à l’égard des haïtien.ne.s. Avec l’aide de conseillères, j’écris de longues scènes seulement dans cette langue. Dans les médias de divertissement où le créole est proéminent, il s’agit souvent de scènes de comédie, de commérages ou d’amour. Dans la vraie vie, les haïtien.ne.s font plus que faire des blagues, talkshit et se dire des mots doux. Y’a clairement un potentiel qui n’est pas utilisé, et je veux l’utiliser.

 

Je dois avouer qu’un des enjeux linguistiques qui me laisse de glace, c’est la protection de la langue française. Je n’ai pas d’empathie pour une langue qui a été l’un des outils ayant servi à déraciner mes ancêtres.

 

Awa : Est-ce que le langage a un impact sur votre travail créateur au-delà de l’écriture, comme en dessin? Diriez-vous qu’il y a un langage qui ne s’exprime que dans le visuel?

 

D. : Je ne me suis jamais posé la question.

 

Crédit: D. Mathieu Cassendo

 

Awa : D’après vous, la science-fiction a-t-elle un rôle à jouer dans l’évolution des mœurs sociales?

 

D. : J’fais partie des gens qui ne croient pas que l’art a constamment un rôle à jouer dans quoi que ce soit. À mon sens, le sci-fi est un véhicule pour rêver à l’avenir. Ou bien cauchemarder, tiens. J’pense pas qu’on puisse réinventer les mœurs sociales avec la lecture récréative. On est limité, même corrompu par notre existence et par comment on vit en société. Ce qui est facile et qui peut être intéressant à faire, c’est de poser un mindset du présent dans une réalité du futur. Les lectrices et lecteurs peuvent alors découvrir un monde sans trop être dépaysé.e.s. Ça peut être drôle comme exercice, même. Dans ce que je consomme en sci-fi, je remarque une normalisation des nouveautés et une habitude de l’être humain à se mettre instinctivement au-dessus de la technologie. Je pense au film Le Cinquième Élément (1997) où Korben Dallas est hyper blasé de tout. Ou dans I, Robot (2004) où Del Spooner a un méga dédain pour les machines. On peut voir des comportements similaires dans les AniMatrix (2003) ou dans Métroporisu (2001)

 

Quand on y pense, on est déjà aussi connecté à la technologie que dans les films que j’écoutais dans ma jeunesse. Il fut un temps, ç’aurait été magique de penser qu’en gossant pendant quelques minutes sur un ordinateur ultra sophistiqué qui fitte dans ma main, je puisse silencieusement faire apparaître un livreur de sushis à ma porte. Bon, ça prend une trentaine de minutes avant qu’il se manifeste, mais quand même, on se comprend.

 

J’ai le feeling que… quand le sci-fi souhaite passer un message moralisateur, il vire en terroir des étoiles. On dirait qu’il y a cette peur de se déconnecter des autres, des humains. Mais ce qu’on constate de nos jours, c’est comment on est encore plus connecté avec les gens peu importe où ils se trouvent. C’est une superbe chose pour les personnes appartenant à des groupes marginalisés ou qui sont isolées où elles vivent.

 

La technologie actuelle et future change définitivement la manière de voir les choses; avec le flux d’informations qui circule maintenant, être fermé d’esprit est un choix. La science-fiction ne peut qu’être un reflet de ce qu’on sait déjà vivre.

 

Crédit: D. Mathieu Cassendo

 

Awa : Croyez-vous que la science-fiction se prête bien au développement de nouvelles formes de communication, comme l’écriture inclusive ou l’apparition de pronoms non-genrés?

 

D. : Si tu peux lire sur des Gundam, des créatures génétiquement modifiées, des extraterrestres, tu peux bien lire sur des personnes trans binaires et non-binaires. Ouais, le sci-fi peut être un bon véhicule pour introduire l’écriture non-genrée, mais ce serait une erreur de la limiter à ce genre. Le truc, c’est que les personnes trans sont réelles. Elles ont autant besoin d’être visibles dans les récits de fiction, que la non-fiction, puis le fantastique, la fantasy, la poésie, les polars, etc. Ça prend juste que les auteur.e.s et autrices se déniaisent. Les lectrices et lecteurs s’adapteront. Ces gens-là, ce sont des junkies des mots; ils vont s’y faire et en redemander.

 

Awa : Pour finir, pouvez-vous nous dire si vous préparez de nouveaux projets en lien avec la science-fiction et le fantastique?

 

D. : Je travaille sur une série de bandes dessinées qui seront disponibles en ligne en plus d’avoir une version papier. Ce sera pas mal des exercices de création. Mon imagination me dégouline par les oreilles, et je ne serai pas satisfait seulement avec la suite des aventures des Hémagis. Pour être mis au courant, il faudra me suivre sur les internets ¯\_(ツ)_/¯