« Les contes interdits» est une collection de romans de différents auteurs reprenant des contes de fées classiques et les adaptant dans le genre horreur-contemporaine. Simon Rousseau, créateur de celle-ci, a lancé en 2016 un des premiers romans de la collection : «Peter Pan», une adaptation du conte «Peter et Wendy». Dans cette version, Hook, transformé en policier en arrêt de travail forcé se lance à la recherche des enfants disparus d’une ancienne fréquentation. Ces derniers ont été kidnappés et emprisonnés sur une île perdue au fond du Québec par un jeune homme qui refuse de vieillir et son groupe de drogués. Ce jeune homme, persuadé que boire le sang de ses victimes lui permettra de conserver sa jeunesse, c’est Pan.
Dans l’œuvre de James Matthew Barrie, Peter est l’archétype du héros. C’est un enfant gracieux dont le charme tenait principalement à sa belle dentition infantile qui dirige une troupe d’autres petits garçons à travers des jeux sur l’Île de Nulle-Part et qui libèrent ses amis des griffes (ou plutôt du crochet) du capitaine Crochet. Il fait preuve d’un grand courage et de leadership lorsqu’il délivre ses amis des pirates sans hésiter une seconde.
De plus, Peter démontre beaucoup de ruse en se déguisant et en optant pour une stratégie fine afin de défaire une partie des pirates. Il les fait descendre un à un dans la cabine pour les éliminer discrètement. Par ailleurs, comme tous les héros de contes, Peter a une quête : il veut se trouver une mère pour lui et pour les autres garçons perdus, rôle qu’ il désire d’abord offrir à Wendy.
À l’inverse, dans l’adaptation de Simon Rousseau, Peter Pan, rebaptisé simplement Pan, est un des deux antagonistes de l’histoire. Il a à peu près le même âge que Wendy, mais quelque chose ses yeux rieurs laissent transparaître une âme étant demeurée bien plus jeune que celle de la jeune femme. Le passé de Pan est d’autant plus difficile : non seulement il est orphelin, mais il a été enlevé pour servir d’esclave sexuel à des pédophiles. Dans un passage, le lecteur découvre un Pan enfant se faisant sexuellement abuser par un pédophile en échange de quelques billets pour son proxénète. C’est cette absence d’enfance et d’innocence qui a plongé le personnage dans la folie avec les années.
Dans sa réécriture, Simon Rousseau réutilise de façon très habile les caractéristiques du personnage en dépeignant une version pervertie et malsaine du héros classique (le tout dans un contexte contemporain). Par exemple, la peur de vieillir est toujours présente chez le personnage, mais travaillée différemment. Dans le roman, c’est à partir du moment où les premiers signes de puberté sont apparus chez lui qu’il a perdu le seul traitement de faveur auquel il avait eu droit ; le seul soin qu’il recevait. Si Pan refuse de vieillir, c’est aussi parce que les seuls adultes qu’il a connus sont ceux qui l’ont maltraité et qu’il n’a pas envie de devenir comme eux. Ce passé douloureux a fait de lui un être cruel qui cherche par tous les moyens d’obtenir le pouvoir de domination qu’il n’a jamais eu sur les autres, mais aussi de retrouver son enfance qu’on lui a volé.
Pour s’aider, il utilise une drogue hallucinogène appelée « La Poussière » pour rendre les jeunes qu’il ramène sur son île dépendants. Le leadership qui caractérise le héros de James Matthew Barrie est artificiel dans cette version : Pan utilise la drogue pour maintenir les autres sous son contrôle. Sans elle, il n’a aucun moyen de les convaincre de rester. Wendy, elle, refuse de prendre la poussière et reste donc insoumise à l’ancien esclave sexuel. En plus, au lieu d’aider les enfants perdus, Pan est celui qui les pousse dans une situation destructrice et qui les coupe de leurs familles.
Cette déconstruction malsaine du mythique Peter Pan rend le lecteur perplexe. Autant il est mal à l’aise devant l’obscénité et la cruauté du personnage et se révolte devant le traitement qu’il inflige à ses victimes pour se venger d’un crime qu’ils n’ont pas commis, autant il ne peut s’empêcher d’être malheureux pour lui. Quelque part, avec le genre d’enfance que Pan a eu, il est possible de comprendre aisément les origines de son comportement irrationnel. Sa naïveté d’enfant métamorphosée en obsession de la jeunesse éternelle est très bien exploitée tout au long du roman. L’objectif de Simon Rousseau de réinventer le protagoniste de «Peter Pan et Wendy» dans une perspective horrifique est atteint.