Par Amalia Greve Danielsen

 

Comme promis, me voilà de retour de mon long et excitant périple sur Selckin-2 qui, vous l’aurez deviné, est la planète où se déroule l’histoire d’« Un monde à l’éternité », le second tome du Jeu du Démiurge de Philippe-Aubert Côté, paru aux éditions Alire en 2015. Et pour mieux me lancer dans ma réflexion de ce roman, quoi de mieux que d’aborder avant tout son univers biomécanique à l’originalité foisonnante ? Comme je l’ai déjà mentionné dans ma chronique du premier tome, ce monde est très développé, au point où il peut d’abord sembler trop imposant et complexe lorsqu’on commence à s’y aventurer pour la première fois dans le tome précédent. En effet, on sent qu’il y a beaucoup de recherche documentaire et de préparation derrière l’écriture du roman, et que l’auteur a voulu innover lors du worldbuilding : par exemple, les règnes végétal et minéral y fusionnent avec la technologie, et cela aboutit à un large éventail de créations uniques, comme les arbres-machines qui donnent l’intelligence aux Mikaïs et les bioqubs, qui sont en fait de petits ordinateurs cubiques sertis de composantes organiques. Même si le bestiaire de Philippe-Aubert Côté est bien rempli, j’ai trouvé qu’il incorpore ses nouveautés à un rythme bien calculé et qu’il réussit ainsi à nous les présenter sans nous étourdir. J’imagine que l’auteur s’est assuré de nous les servir ainsi pour nous faciliter le voyage : en effet, une fois que j’ai entamé ma lecture du second tome, je n’étais plus du tout dépaysée. Comme j’avais déjà lu le premier tome, je me sentais déjà en territoire connu, que j’avais hâte d’explorer à nouveau.

 

Crédit : Amalia Greve Danielsen

 

Grâce aux deux histoires parallèles du Mikaï Takeo et de l’Éridani Nemrick, qui cherchent chacun à sa façon à découvrir les secrets que  Rumack a laissés derrière lui, j’ai l’impression que, comme lectrice, j’ai pu être témoin de nombreux moments cruciaux qui ont façonné le monde où évoluent les personnages. Par ailleurs, j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à force de constater à quel point la culture japonaise, d’après moi autant sous sa forme traditionnelle que contemporaine, s’immisce dans plusieurs aspects de la société futuriste du roman. C’est notamment le cas avec les noms donnés aux personnages : deux exemples, Takeo et Sackurah, conservent la « sonorité » de prénoms typiquement japonais ; le premier renvoie d’ailleurs à l’idée de « masculinité », tandis que le second,  « Sakura », signifie « cerisier »). L’auteur est demeuré cohérent, car il a usé de la même approche pour plusieurs noms de lieux et pour désigner des animaux présents dans son univers, comme les neko-chiens, de petites créatures domestiques mi-chats, mi-chiens ; et comme « neko » signifie « chat » en japonais, le nom est clair ! En plus des jeux de mots sur les noms, j’ai senti la présence de la culture nippone dans quelques-unes des coutumes qu’observent les deux peuples de Selckin-2. Effectivement, j’ai remarqué qu’à l’image de ceux de plusieurs des mangas et des animés japonais dont je suis si friande, les personnages de Philippe-Aubert Côté utilisent les mots « grand-père » ou « grand-mère » lorsqu’ils s’adressent à des personnes âgées, sans qu’il y ait forcément de lien de parenté entre eux. Ces similitudes entre la culture japonaise et celles des Éridanis et des Mikaïs m’ont amenée à me demander si les références étaient simplement issues d’un intérêt personnel de l’auteur pour l’empire du Soleil levant, s’il souhaitait donner un certain ton « exotique » au roman, ou bien si la culture japonaise s’inscrivait dans la trame historique du Jeu du démiurge, comme si les usages et les moeurs du Japon avaient survécu dans le temps et avaient persisté tout au long de l’évolution des humains jusqu’à leur état d’Éridanis. En tout cas, on pourrait très bien imaginer un manga adapté du roman !

 

Crédit : Amalia Greve Danielsen

 

À me lire, on aurait peut-être tendance à croire que l’essentiel du roman réside dans le riche arrière-monde imaginé par Philippe-Aubert Côté, mais j’ai été heureuse de retrouver les personnages principaux du premier tome et d’assister à la suite de leur progression jusqu’à la fin du deuxième tome. Par exemple, Takeo mûrit visiblement au cours du roman et il n’est plus le fauteur de trouble qu’il était dans le premier tome : alors qu’au début de l’histoire, il se laissait souvent emporter par sa colère et se bagarrait constamment, il a su devenir plus calme et calculé. Par exemple, sans faire usage de ses poings, il réussit à convaincre le Prince de venir se protéger des radiations, au moment où ils effectuent la traversée du rift de Hokage ; ça peut sembler anodin, mais j’ai compris que c’était tout un exploit pour lui ! Aussi, malgré le grand nombre de personnages secondaires, l’auteur réussit à donner une réelle profondeur à chacun, ce qui me confirme que Philippe-Aubert Côté a d’autres talents que celui d’être un bon créateur d’univers ! Sackurah, une Mikaïe modifiée par les Éridanis qu’on avait déjà rencontrée dans le premier tome, en est une preuve en soi : grâce à la narration en flashbacks de son enfance, qui n’alourdit pas le récit principal, j’ai pu à la fois m’attacher à elle et comprendre ses motivations.

 

Cependant, plus je tournais les dernières pages du livre et que de nombreuses révélations étaient faites au sujet du Démiurge Rumack et des plans secrets des Éridanis, j’avoue que j’ai été un peu déçue par la fin du roman, surtout parce qu’elle m’a donné l’impression de m’avoir laissée en plan avec quelques questions (sans réponse). Me voilà à présent en train de me demander [attention, attention, spoiler alert !] ce qui est réellement arrivé aux quelques Éridanis qui se sont échappés avec la navette, d’imaginer comment ils pourraient survivre maintenant qu’ils sont seuls et d’anticiper ce qui se trame autour du nouveau vaisseau éridani qui approche de la planète… Faudrait-il prévoir un troisième livre ? J’ose croire que oui, et je l’attends avec impatience !

 

***Les Horizons imaginaires tiennent à remercier l’auteur
pour l’exemplaire du livre qu’il nous a offert
lors du Congrès Boréal 2017.***

 

Révision : Yin Nan Huang et Mathieu Lauzon-Dicso