Par Dorsa Afshin

 

En 18 ans d’existence au Québec, j’ai toujours de la difficulté à croire que ce n’est que la semaine passée que j’ai enfin lu mon premier roman du fameux auteur québécois Patrick Senécal! Et c’est à grâce à son 4e roman, Aliss, paru aux Éditions Alire en 2000, que je commence à découvrir cet auteur.

 

Cette brique de 500 pages raconte les aventures d’Alice Rivard durant un mois, des aventures déclenchées par sa décision de lâcher ses études au cégep et de partir vivre en appartement à Montréal. En essayant de rattraper un portefeuille et de le remettre à son propriétaire, qu’elle ne connaît pas, Alice se retrouve à une station de métro qui ne lui est aucunement familière et qui la mène à un quartier bien curieux dont elle n’a jamais entendu parler: Daresbury. Elle réalise bien vite que, tout comme au fameux Pays des merveilles où voyage son homonyme dans le roman de Lewis Carroll, à Daresbury, rien ne semble avoir de sens; l’illogisme y règne en maître! Or, pour accomplir sa mission de devenir une surfemme, qu’elle dit être l’équivalent du surhomme de Nietzsche, Alice devient «Aliss» et décide de s’installer dans ce quartier insolite. Ce qu’elle y vit l’entraîne alors dans la dépendance aux drogues, dans diverses aventures sexuelles et dans une intense obsession pour le personnage de la Reine Rouge, ainsi que, au bout du compte, dans sa quête pour trouver la bonne question.

 

Crédit: Dorsa Afshin

 

Mon premier réflexe après avoir fini le roman Aliss a été de réécouter le film d’animation que les studios Disney ont sorti en 1951, lui-même basé sur l’œuvre originale de Lewis Carroll. Pourquoi? Tout simplement parce que Senécal reprend l’histoire popularisée par Disney et la transforme en une version moderne où rien ne censure l’horreur frissonnante et la sexualité qu’y placarde l’auteur. J’aurais sans doute aussi dû lire Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, puisqu’Aliss se réfère souvent à cet essai philosophique et souhaite en appliquer les préceptes, assez maladroitement semble-t-il durant le mois qu’elle passe dans la métropole. Elle y découvre ce qu’il faut accomplir pour devenir un Surhomme, ou une Surfemme dans son cas… Sauf que je n’ai pas eu le temps ni la motivation de lire cet ouvrage!

 

Mais en visionnant à nouveau le film, qui a marqué mon enfance, j’ai réalisé qu’il y a des similarités très frappantes entre les deux œuvres. Notamment, en ce qui concerne les personnages, il me semble que Chess, l’homme maigrichon qui voit tout, qui est partout et qui sait tout, donc qui serait omniscient, représente bien le Chat de Cheshire! Quant à Charles, l’homme qu’Alice poursuit à la course dans le métro, tout au début de l’histoire, est bien évidemment l’équivalent du Lapin blanc. Lorsqu’on en apprend davantage sur lui, Charles semble finalement être assez différent de l’animal en retard du roman pour enfants, car on découvre que le bonhomme a des tendances pédophiles, mais dans les deux cas, on a affaire à des personnages vraiment nerveux, qui attirent de jeunes filles «innocentes» dans un monde qui bouleversera leurs existences…  Je commenterais bien toutes les autres équivalences que j’ai cru discerner chez chacun des personnages, sauf que je vais plutôt vous laisser le plaisir d’essayer de les deviner à votre tour, et on pourra en discuter dans les commentaires!

 

Et au-delà des personnages, des bouts de l’histoire en tant que telle des Aventures d’Alice au pays des merveilles et du film résonnent par moments dans l’intrigue d’Aliss. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’élément déclencheur des deux œuvres est vraiment similaire. Dans les deux cas, la protagoniste se lance impulsivement à la poursuite d’un étranger et se retrouve dans un lieu mystérieux. Et c’est justement à cause des similitudes entre les deux œuvres, sans aucun doute délibérées, que je trouve que la fin d’Aliss est plutôt prévisible. Mais bon, je ne veux pas donner l’impression de vouloir faire la jeune femme intelligente qui se trouve très bonne d’avoir prédit la fin, car la seule raison pour laquelle j’ai pu déduire le dénouement, c’est en me souvenant de la fin d’Alice aux pays des merveilles… Pour ceux qui veulent tout savoir, à la fin… il se passe des choses que vous découvrirez en allant lire le roman! (sélectionnez la partie en blanc pour voir!)

 

Ainsi, malgré la fin qui avait moins de punch que ce à quoi je m’attendais, les péripéties tout au long du roman étaient fantastiques! En effet, Senécal établit un état de suspense très tôt dans le récit et il réussit à le faire durer jusqu’à la fin; sa capacité à surprendre ses lecteurs par des détails grotesques, qui ont l’air de déborder de chaque page du roman, a fait en sorte que ma lecture s’est terminée bien trop vite! Lorsque Chair et Bone, deux docteurs diplômés de McGill, convient Aliss à venir prendre le thé, ils l’invitent aussi à les aider pour l’une de leurs séances d’interrogation. La méthode qu’ils ont pour extraire de l’information des gens est horrifiante, et donne autant de frissons que si l’on entendait des ongles gratter un tableau en continu, à un pouce de l’oreille!

 

Crédit: Dorsa Afshin

 

Je me dois aussi de mentionner les jeux textuels que Patrick Senécal met de l’avant dans le roman et qui rythment la narration, qui m’ont donné l’impression de réellement me sentir dans la peau d’Aliss. Par exemple, lorsque la jeune femme essaie pour la première fois les Micros et les Macros, deux drogues aux effets particuliers, on voit que Senécal s’est amusé à jouer avec les caractères du texte, afin de renforcer les effets des drogues. Quand Aliss essaie une Micro, le texte devient minuscule, et on ressent alors la vulnérabilité du personnage. Par contre, peu après, quand elle prend une Macro, la narration ne se fait qu’en lettres majuscules, pour montrer le sentiment de pouvoir et de contrôle que la substance donne à Aliss.

 

Bref, maintenant, je comprends parfaitement pourquoi Patrick Senécal est un auteur aussi populaire. Il a un style style d’écriture et il raconte des histoires qui, selon moi, lui permettent de se démarquer grandement des autres romanciers actuels. Par contre, et je suis sûre que vous l’avez déjà compris si vous non plus ne connaissiez pas le roman, certains passages d’Aliss, qui ont permis à la peur et à la surprise de m’envahir entièrement, ne sont peut-être pas à faire lire à n’importe qui, y compris certains adultes! Bref, si vous avez le cœur faible et que vous êtes du genre à défaillir en voyant une goutte de sang, ce livre n’est probablement pas le choix le plus judicieux pour votre prochaine lecture, même si je l’ai personnellement trouvé excellent! Et maintenant que j’ai été témoin de ce que peut produire le style Senécal, j’ai très hâte de me lancer dans un autre de roman d’horreur ou de fantastique noir de cet auteur.

 

Révision: Alina Orza et Mathieu Lauzon-Dicso

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