Comptant aujourd’hui trente-sept romans et quinze spin-offs, la collection Les contes interdits regroupe différentes réécritures de contes et légendes en romans d’horreur modernes. Parmi les premiers romans, on retrouve Peter Pan de Simon Rousseau. Quelques années plus tard, dans des registres un peu différents (dark erotic and dark thriller), ont été publiés La princesse au petit pois de Josée Marcotte et Ali Baba et les 40 voleurs de L.P. Sicard. Ce dernier a aussi publié Dr. Ward : Sculpteur de mémoire, un spin-off de son roman La Belle au bois dormant. La collection n’est pas à l’abri des controverses. C’est ce dont Yvan Godbout s’est inspiré pour écrire son auto-fiction Auteur maudit, maudit auteur.

La nature de l’âme humaine est complexe, et parfois incompréhensible. Comment une personne peut manipuler un groupe d’individus jusqu’à leur faire accepter les pires traitements ? Dans son roman Bambi, Maude Royer renverse les rôles et transforme la forêt protectrice du roman de Felix Salten en microcosme dont les bases reposent sur le mysticisme et la folie. Le Grand Prince de la Forêt, protecteur et aimant, devient un gourou sadique qui prétend pouvoir ramener l’esprit des proches disparus de ses adeptes dans le corps d’animaux à travers des rituels tous plus sinistre les uns que les autres ; attouchements sexuels, viols, sacrifices d’humains et d’animaux, et nécrophilie. 

Le personnage de Maude Royer n’a rien à voir avec la figure bienveillante du roman original. Léandre est une figure manipulatrice et destructrice qui, coincé dans son mysticisme, se sert des autres pour atteindre son idéal : l’immortalité. Il est persuadé que ces rituels et sacrifices vont lui permettre de devenir éternel. Ce qui est difficile à comprendre et qui rend cet antagoniste encore plus terrifiant, c’est qu’il est impossible de savoir s’il est psychotique ou psychopathe. Autrement dit, il est impossible de savoir s’il a conscience de la gravité de ses actions ou s’il le sait, mais que cela lui est égal. 

Liam est le protagoniste et réécriture du célèbre faon. Il a perdu sa mère à six ans et passe sa vie à tenter de comprendre ce qu’il lui est arrivé. Cette quête reste un de ses points faibles et une des raisons qui le pousse à rester dans la secte même s’il n’arrive pas à adhérer complètement aux idées du gourou. Charline (qu’il rencontre au début de la trentaine), la femme qu’il aime, est la deuxième raison. C’est elle qui l’a convaincu de la suivre. Elle, désespérée de savoir ce qui est arrivé à son frère, accepte beaucoup plus facilement le mode de vie de la secte.

Même s’il a toujours ce léger espoir de découvrir comment sa mère est décédée et de la revoir au moins une fois, Liam reste lucide à propos de la secte et ne se soumet jamais complètement. On sent aussi la détresse du personnage lorsqu’il essaie de raisonner Charline, la femme qu’il a suivie par amour, ainsi que les autres membres de la secte. Comme Cassandre dans les Troyennes d’Euripide, il sait que ce qu’il voit n’a aucun sens et que ce qu’il apprend au sujet de Léandre est vrai, mais il est incapable d’en persuader ceux qui l’entourent. 

Jusqu’à la fin, les adeptes de la secte, ayant complètement perdu leur esprit critique et leur jugement, continuent de soutenir l’idéologie transmise par leur chef. Même devant l’évidence, ce dernier nie tromper ses disciples et soutient qu’il les a seulement aidés à le croire.

Sachant qu’il s’agit d’un roman d’horreur, le lecteur peut se dire que tout est permis et que ce que le gourou avance est vrai puisqu’il n’est pas rare que les auteurs de romans horrifiques utilisent des éléments surnaturels ou paranormaux pour servir leur récit. Pourtant, la conviction forte du protagoniste qui s’oppose formellement au gourou fait douter. Mettre en scène une secte dans un roman de folk horror, c’est commun. Cependant, dans celui-ci, Maude Royer amène le concept plus loin en développant la personnalité du gourou et en repoussant les limites de l’horreur quant à ses méthodes pour retenir ses adeptes et leur faire croire à son idéologie. La plus grande question qui demeure en suspens reste : comment cet homme a-t-il pu s’enfoncer si loin dans son mysticisme ? 

Dans le roman, le lecteur retrouve une essence d’horreur psychologique puisqu’il est directement entraîné dans la tête du protagoniste. Bien que le narrateur soit externe, le récit se fait du point de vue de Liam comme si le lecteur pouvait voir les mêmes choses que lui. Comme le protagoniste, le lecteur est plongé dans cet environnement extrêmement toxique avec la seule envie de crier aux membres de la secte : « Réveillez-vous » !

Le lecteur est tenu en haleine jusqu’à la dernière ligne. Jusqu’au bout du roman, on remet en question les différents éléments du discours tenu par différents personnages. Qui dit vrai ? Est-ce réellement possible ?