Le dimanche 28 avril, lors du dernier jour du Festival littéraire international Metropolis Bleu 2024, a eu lieu l’événement A fatal couple : horror fiction and dystopia. La conférence sur le lien entre la dystopie et l’horreur, animée par Ingrid Bejerman, a fait salle comble : les 110 sièges disponibles étaient occupés et le fond de la salle rempli de spectateurs. Quatre auteures ont été rassemblées pour discuter de leur expérience avec l’horreur et la dystopie. Parmi les participantes se trouvaient Mariana Enríquez, Fernanda Trías, Bora Chung et Éléonore Goldberg : quatre écrivaines de différentes régions du monde dont le travail tourne autour de l’horreur.

Une réalité pire que la fiction

Le principal point ressortant de cet échange est que la réalité est souvent plus terrifiante que la fiction. L’auteure Mariana Enríquez mentionnait qu’aucune histoire qu’elle avait écrite ne lui avait faite peur même avec du recul. Selon elle, son passé en Argentine sous le régime dictatorial, son premier contact avec le sentiment de terreur, a été plus effrayant que la fiction qu’elle écrit. Cette ambiance, pouvant être considérée comme dystopique, qui régnait sur le pays à l’époque et cette presque impossibilité de réellement comprendre ce qui se passait ou d’en sortir ont été, pour elle, ses inspirations.

Fernanda Trías, originaire de l’Uruguay et dont la présence au festival a été rendue possible grâce au travail de l’ambassade, a eu une expérience assez similaire. Sous le régime politique totalitaire dans les années 70, le pays a connu une période sombre. L’auteure expliquait que la stratégie de ses parents devant la situation consistait à faire comme si cela n’existait pas et que c’est ce non-dit qui avait été, pour elle, son premier contact avec le sentiment de terreur. Elle ajoutait que, sans nécessairement vouloir reproduire ce sentiment dans sa pratique d’écriture, il était toujours omniprésent. 

© Magdalena Nitchi

Le cinéma au service de la littérature 

Un autre élément qui peut ressortir de cette discussion est que le cinéma a eu un grand impact sur le développement artistique de ces écrivaines. Lorsque l’animatrice leur a demandé quelles avaient été leurs premières influences, les quatre invitées ont toutes fait référence à un film sur lequel elles sont tombées par hasard quand elles étaient petites et qui les a marquées. 

Par exemple, Bora Chung a mentionné un film d’horreur coréen qu’elle a découvert quand elle était petite : The women who chases the killer butterfly. Il s’agissait d’un film avec le typique fantôme coréen aux longs cheveux noirs qui revient du monde des morts pour se venger de la femme de son maître. En le revoyant plusieurs années plus tard, elle a compris la perspective féministe du film (pourtant écrit par un homme), qui critique le comportement toxique de certains hommes qui vont préférer mettre la faute sur les femmes plutôt que de reconnaître leurs torts. Il s’agit d’une référence directe à des comportements réels qui, s’ils ne sont pas contrôlés, transforment le monde en dystopie. Encore une fois, cela prouve que la meilleure inspiration pour créer une fiction d’horreur est puisée dans la réalité.

Éléonore Goldberg, elle, expliquait qu’elle avait été marquée par un film dont elle n’a jamais réussi à retrouver le titre. Encore aujourd’hui, elle le cherche pour mettre un nom sur cette influence involontaire. L’action se déroule dans une sorte de manoir gothique hantée par l’esprit d’une femme dont le portrait est accroché au mur. La particularité terrifiante de ce fantôme est le trou béant au milieu de son visage. En effet, elle est tombée par hasard sur ce film quand elle était petite alors qu’elle était expatriée avec sa famille en République démocratique du Congo (qui s’appelait encore « Zaïre » à l’époque) où les mélanges entre invasions à domicile et crimes violents étaient fréquents. L’écrivaine a expliqué que cette image qu’elle a découverte dans un contexte de vulnérabilité physique et psychologique la suit encore maintenant.

Malgré la courte durée de l’échange entre les quatre auteures, le public a pu comprendre que les épreuves que subissent une personne peuvent être transformées en matériel de création (volontairement ou involontairement) et que le monde est bien souvent plus dystopique que la fiction.