Par Kai Ming Wang
Sommes-nous seuls dans l’univers? La réponse à cette question a, depuis toujours, fasciné bien des esprits et tourmenté celui de plusieurs autres. Nombreux sont les gens qui ont essayé de trouver une explication à la solitude que connaissent les humains, seuls face à la noirceur infinie de l’espace. Que retrouve-t-on au-delà de l’étendue sombre entourant notre planète bleue? Existe-t-il d’autres planètes semblables à la nôtre? Et si oui, qui s’y trouvent? Des êtres intelligents, pourvus de conscience? Sont-ils hostiles? Ont-ils déjà essayé de nous contacter? Ces questions éveillent l’intérêt, ravivent les théories les plus farfelues et alimentent notre fascination insatiable à l’égard de l’existence des peuples extraterrestres. Séduit par la possibilité que de petits bonhommes verts vivent sur Mars ou encore que des créatures se meuvent dans les profondeurs glaciales d’Europe, l’humain a, plus d’une fois, essayé d’entrer en contact avec une civilisation extraplanétaire, mais en vain. Devant cet échec cuisant, l’humain se résout à accepter ce qui passe pour une évidence: qu’il est dépourvu de la technologie lui permettant de communiquer avec les êtres lointains de l’espace. Ou plutôt, que ces «entités» ne soient pas encore suffisamment évoluées pour lui répondre? Voire… Que nous sommes réellement seuls?
Or, dans La Forêt sombre de Liu Cixin (traduction française chez Actes Sud, 2017), la vie intelligente existe ailleurs que sur Terre et elle n’est pas nécessairement dotée des meilleures intentions. Ce deuxième tome d’une trilogie fait suite au Problème à trois corps et met en scène une humanité en pleine crise face à l’arrivée prochaine de la flotte trisolarienne, un peuple extraterrestre fuyant sa planète sur le point de s’autodétruire, ce cataclysme résultant des mouvements chaotiques de son système planétaire à trois étoiles. Pris dans cette guerre interespèce inévitable, le Conseil de Défense Planétaire met en place le projet «Colmateur», un programme dont le but premier est de nominer quatre individus ayant pour tâche d’élaborer une stratégie secrète afin de contrer l’invasion prochaine des Trisolariens. Disposant d’un budget quasi illimité, ces quatre personnes devront surmonter les obstacles mis en place par le peuple trisolarien et réussir leur objectif à tout prix, puisque le sort de l’humanité dépend d’eux. L’auteur chinois développe, avec La Forêt sombre, la riche et complexe intrigue de sa série culte et dévoile aux lecteurs le côté obscur des civilisations extraterrestres, le tout en s’appuyant sur une théorie pour le moins effrayante qui renvoie au paradoxe de Fermi.
Énoncé pour la première fois en 1950 lors d’un déjeuner entre quatre collègues scientifiques, le paradoxe de Fermi (du scientifique du même nom) s’interroge sur l’existence des civilisations extraterrestres et sur leur emplacement dans l’univers. L’emphase est mise sur une seule question, constituant le pilier fondamental du paradoxe: « Si les civilisations extraterrestres existent réellement, pourquoi n’en avons-nous pas découverte une jusqu’à présent? » La Voie lactée est grande, et l’univers infiniment plus, mais si notre système solaire est effectivement considéré comme l’un des plus jeunes systèmes planétaires existant au sein de notre galaxie, ne pouvons-nous pas supposer qu’il existe des systèmes dans lesquels la vie aurait eu amplement le temps de se développer? Suivant cette même piste de réflexion, nous pouvons également présumer que parmi toutes ces exoplanètes fourmillant de vie, un faible pourcentage pourrait, hypothétiquement, abriter une forme de vie intelligente. Non? Et aussi minime soit-il, ce pourcentage correspond malgré tout à un nombre non négligeable d’astres pouvant potentiellement héberger la vie. Alors, si tel est le cas, ces êtres extrasolaires ne devraient-ils pas déjà être passés par chez nous? Dans ce cas, où sont-ils? La civilisation humaine est encore à un stade embryonnaire, tandis que les technologies de la communication et le transport moderne n’ont fait leur apparition que dans les derniers siècles; il est donc très plausible d’envisager que des civilisations extraterrestres, sur des planètes beaucoup plus vieilles que la nôtre, ont eu le temps de développer les technologies nécessaires au voyage à travers le vide intersidéral. Comment expliquer ce silence? Essaie-t-on d’entrer en contact avec nous ou, au contraire, a-t-on peur de se montrer à nous?
«L’Univers est une forêt sombre dans laquelle chaque civilisation est un chasseur armé d’un fusil. Il glisse entre les arbres comme un spectre, relève légèrement les branches qui lui barrent la route, il s’efforce de ne pas faire de bruit avec ses pas. Il retient même sa respiration. Il doit être prudent, car la forêt est pleine d’autres chasseurs comme lui. S’il remarque une autre créature vivante – un autre chasseur, un ange ou un démon, un bébé sans défense ou un vieillard boiteux, une magnifique jeune fille ou un splendide jeune homme, il n’a qu’un seul choix : ouvrir le feu et l’éliminer. Dans cette forêt, l’enfer c’est les autres. Une éternelle menace. Chaque créature qui dévoile son existence est très vite anéantie. Voici la cartographie de la société cosmique. C’est la réponse au paradoxe de Fermi.» (pages 417-418)
Être la proie ou le prédateur. Tuer ou être tué. C’est dans ce contexte qu’émerge la théorie de La Forêt sombre. Selon cet axiome, l’univers serait comparable à une forêt sombre qui, bien que regorgeant de vie, est constamment enveloppée dans un silence mortel; chaque espèce se cache, de peur qu’une autre plus puissante ne l’élimine si sa présence était perçue. Si tel est réellement le cas, alors les différentes civilisations de la galaxie dissimulent volontairement leur présence aux autres dans le but de ne pas être éliminées. L’annihilation d’une civilisation par une autre serait donc systématique, mais pourquoi? La théorie stipule que ce comportement est dû au fait qu’aucune civilisation n’est en mesure de s’assurer si les autres représentent une menace ou non. La destruction d’une autre population se fait donc uniquement à titre préventif. Alors, nos vaines tentatives de communiquer avec des extraterrestres et d’annoncer notre présence au reste de l’univers s’avèrent-elles non seulement un échec cuisant, mais aussi un appel risqué à se faire oblitérer?
Chez Liu Cixin, la réponse est claire: il propose un aperçu diabolique de ce que la Terre vivrait si l’appel était entendu. L’humanité est affaiblie, divisée entre ceux qui souhaitent rester sur Terre et ceux qui préfèrent oublier leurs racines et fuir loin de la planète bleue. Le roman explore les différentes facettes psychologiques de l’être humain en proie à une détresse implacable, en contexte de survie. Le triomphalisme et le défaitisme deviennent les deux seules options de survivance. Vaincre ou fuir. Et lorsque les Trisolariens contrôlent le progrès technologique sur Terre et qu’ils supervisent chaque mouvement de la civilisation terrienne, il devient dès lors impossible pour l’humain d’organiser une quelconque opération militaire sans avertir ses ennemis.
Prions pour que tout cela ne soit que fiction et non réalité. L’existence des peuples extraterrestres est encore loin d’être un fait établi et peut-être même n’existent-ils tout simplement pas? En attendant de trouver des preuves concluantes dans le but de confirmer ou de réfuter nos hypothèses, nous ne pouvons que nous rabattre sur les théories créées par l’imaginaire des gens. Peut-être une civilisation extrêmement avancée a-t-elle déjà existé auparavant? Peut-être s’est-elle autodétruite avant d’avoir eu la chance d’explorer l’espace intersidéral? À moins que l’humain ne soit tout simplement pas capable de la voir et qu’elle soit toute proche de nous, à nous observer et à nous étudier comme si nous étions des animaux dans un vivarium? Si peu de réponses pour tant de questions; l’humain est encore incapable de tout comprendre, mais une chose est sûre : nous sommes en train d’apprendre.
Révision : Olivia Shan