La princesse au petit pois de Josée Marcotte est une réécriture du conte éponyme de Hans Christian Andersen, parue en 2022 et appartenant à la collection des Contes interdits. Celle-ci compte aujourd’hui plus d’une trentaine de romans. Elle a commencé en 2016 avec la publication de Peter Pan par Simon Rousseau. La collection explore différents sous-genres horrifiques tels que le gore (comme dans ce dernier) ou encore l’horreur/Si-Fi comme dans La Belle au bois dormant, ou encore sa suite Dr. Ward ; Sculpteur de mémoire de L. P. Sicard. Dans le cas de La princesse au petit pois, l’auteure inverse les rôles. Au lieu d’un prince à la recherche d’une véritable princesse (caractérisée par une grande sensibilité), Josée Marcotte met en scène Raphaël Roy, cadre d’une entreprise de jeux vidéo, qui se met à la recherche d’une actrice aux nerfs et au corps suffisamment solides pour interpréter le rôle féminin dans un jeu vidéo d’évasion sadomasochiste.
Dans ce roman, le premier élément horrifique réside dans le traitement que l’auteur fait de la sexualité en jouant, entre autres, avec la notion de consentement. Dans le scénario du jeu, bien que les acteurs soient consentants, le personnage féminin est violé et c’est dans son objection à l’acte que réside l’objet d’excitation. Ceci-dit, tous ceux qui font partie du projet sont consentants et personne n’est retenu de force. Par exemple, Jasmine, la première actrice engagée sur le tournage du jeu, décide de quitter la production parce qu’elle se sentait trop inconfortable avec le niveau de violence du scénario. Sa décision est respectée et elle n’est pas contrainte de poursuivre. À priori, la notion de consentement est donc respectée par les autres membres de l’équipe de production. L’auteur rappelle ainsi que le BDSM, comme toute pratique sexuelle, nécessite un accord mutuel entre tous ceux qui sont concernés. Pourtant, d’un autre côté, dans les films pornographiques que le protagoniste reçoit de son patron, rien ne permet de prouver que les femmes sont consentantes et/ou même qu’il s’agit d’actrices. Le lecteur en vient même à se demander si Bernard Vautrin (dit Bernie), le patron, sait réellement ce qu’est le consentement. Cette notion constitue donc un paradoxe dans le texte de Josée Marcotte.
Directement en lien avec le traitement de la sexualité, l’évolution psychologique de Raphaël Roy est fascinante. Grâce à lui, Josée Marcotte renouvelle le schéma évolutif de transformation d’un personnage sans histoire à psychopathe. Au fil du roman, le cadre si prometteur bascule de plus en plus dans la violence et a conscience qu’il perd le contrôle de lui-même. Il se fait peur lui-même jusqu’à ce qu’il devienne complètement insensible. Si Raphaël Roy et celui du prince dans le conte d’Andersen se rejoingnent sur l’objet de leurs quêtes respectives (la femme parfaite qui acceptera de souffrir pour se montrer digne de son rôle), le personnage de Josée Marcotte, au lieu de s’adoucir avec l’arrivée de cette femme dans sa vie, se durcit et s’enfonce encore plus dans son univers sombre.
Le second élément horrifique est le lien entre le monde réel et le monde virtuel. C’est en regardant une vidéo pornographique violente transmise par Bernie, lui-même adepte de pornographie extrême, que Raphaël Roy se découvre un intérêt marqué pour le BDSM violent. C’est donc du matériel virtuel qui a éveillé en lui ces désirs et ses pulsions. De plus, ignorant les changements dans la psyché de son employé, Bernie lui confie la réalisation d’un jeu vidéo d’évasion sadomasochiste, le mettant en contact direct avec cet univers particulier. Le lecteur est souvent amené à douter de lui, n’ayant jamais la certitude que ce dernier sait faire la différence entre la fiction et la réalité et, si oui, entre le bien et le mal.
C’est aussi en prenant contact avec cet univers si particulier que Raphaël rencontre Michèle (la figure de la princesse) qu’il engage comme actrice pour le jeu. Il commence une liaison avec celle-ci qui l’encourage à se laisser aller ses pulsions sexuelles violentes. Leur relation est construite sur le désir de faire mal et d’avoir mal. Cependant, puisqu’elle est consensuelle, bien qu’elle soit hors norme, le lecteur semble l’apprécier jusqu’à la fin du roman tant elle est construite d’une manière particulière. Tout au long de l’histoire, le lecteur développe une attitude conflictuelle envers les personnages en s’attachant à eux malgré leur côté sombre, mais en les détestant également pour le mal qu’ils infligent de leur propre gré ou sans s’en apercevoir.
Bref, en explorant les limites du sadomasochisme et en permettant au lecteur de réfléchir sur le lien entre réalité et monde virtuel, Josée Marcotte donne une couleur beaucoup plus sombre au conte classique de Hans Christian Andersen. Les personnages très nuancés sont aussi attachants qu’effrayants et nous rappellent également que les apparences peuvent être trompeuses.