Dans le cadre des activités du Prix des Horizons imaginaires 2018, les étudiants du jury étaient invités à rédiger une courte critique littéraire de leur roman favori parmi les cinq œuvres finalistes. Le texte lauréat cette année est « La dystopie rénovée » de Razvan Banica (Collège Marianopolis), qui fut annoncé comme tel lors de la remise du prix le 5 mai dernier, au Congrès Boréal. Sa critique porte sur le roman Rénovation de Renaud Jean, paru aux Éditions du Boréal.

 

En plus de voir son texte publié aujourd’hui sur le blogue culturel des Horizons imaginaires, Razvan se voit ainsi assuré d’une place sur le prochain comité de sélection du Prix des Horizons imaginaires, qui décidera des titres finalistes de la 4e édition du prix. Ce concours, qui sera proposé aux prochains jurés, permet d’assurer la présence des étudiants dans diverses instances organisationnelles des Horizons imaginaires — ici, le comité de sélection. Il nous apparaît important que la sélection des œuvres finalistes se fasse avec un représentant étudiant à la table, car après tout, qui de mieux pour savoir ce que les jurés aimeront lire qu’un juré de l’édition précédente!

 


 

Imaginez-vous dans un appartement, seul, dans l’obscurité totale. Vous ne vous rappelez absolument rien, au point où vous n’êtes même pas conscient de l’état amnésique dans lequel vous vous trouvez. On sonne à la porte; deux hommes sortis de nulle part entrent chez vous et se mettent à tout démolir. Ils rénovent votre demeure. « De quel droit » leur demandez-vous? Ils daignent à peine vous montrer une feuille dont le contenu serait une autorisation de la Ville pour effectuer ces travaux; votre signature s’y trouverait, au bas… Le document stipulerait que les deux hommes ont tous les droits pour poursuivre ce qu’ils ont entrepris. Seul hic, du moins à vos yeux : la feuille est visiblement vierge, mais vous semblez être la seule personne à ne pas voir ce qui y est écrit! C’est ainsi que débute Rénovation, premier roman de Renaud Jean, paru aux Éditions du Boréal en 2016 et l’un des cinq finalistes au Prix des Horizons imaginaires 2018.

 

Black Mirror. Ça vous dit quelque chose? Voilà à quoi l’intrigue de Rénovation me fait penser : à un possible épisode de la série télévisée britannique, où tout a l’air à la fois normal et anormal, où les personnages, plongés dans une amnésie totale, semblent aussi réels qu’artificiels. Le roman fait écho au cadre dystopique de la série, en nous amenant à suivre un homme, anonyme, tout au long de sa progression sociétale dans un monde étrange mais familier. Telle une âme tourmentée, inquiète, le personnage suit son parcours, vraisemblablement tracé à l’avance et ponctué d’épreuves, qui consistent en autant d’événements banals aux yeux des gens qu’il rencontre. Il les raconte et les commente en tentant d’y chercher un sens quelconque, entre l’allégorie et l’euphémisme, mais la raison d’être des obstacles qu’il rencontre lui échappe, puisque plus rien ne semble avoir de sens… Par exemple, les deux rénovateurs mentionnés plus haut viennent de deux pays différents : le Japon et la Suède. Plus tard, alors qu’eux aussi évoluent dans la mécanique sociale du travail, ils sont remplacés par un Chinois et un Indien. J’y vois évidemment un reflet de notre monde où, de plus en plus, émergent de nouveaux modèles économiques qui remplacent les puissances précédentes, comme l’Europe, les États-Unis et le Japon. Suite au hasardeux incident du début impliquant les deux rénovateurs, les jours passent; ensuite, ce sont les mois et, finalement, les années. Le monde autour du notre narrateur change, il « se rénove » constamment, jusqu’à en devenir méconnaissable pour ceux qui, comme le personnage sans nom, n’ont pas été entraînés dans la marche de la rénovation. Sans trop vous en dévoiler, disons que notre homme se retrouve « salarié sans salaire » chez YOLO Aventures, une corporation exploitant un parc d’attractions en constante expansion. Entouré de visiteurs et d’employés, mais toujours seul, il demeure pris dans une immense foire touristique Dieu sait où, dans un pays dont il ignore tout, dans la peau d’un homme qu’il ne se souvient pas vraiment avoir été… Il persiste à exister, seul individu lucide à être conscient des changements autour de lui. Rénovation fait ainsi siennes certaines tendances de la dystopie, en proposant un monde abstrait, bizarre, impossible… mais familier.

 

Crédit photo : Mathieu Lauzon-Dicso

 

Le travail, la solitude, le désir de sortir du cycle souvent vicieux de la quotidienneté, ce sont tous des thèmes que Renaud Jean exploite d’une manière assez simpliste mais efficace, par petites touches, ce qui m’a permis de mettre le livre de côté de temps en temps pour mieux réfléchir aux mots et aux idées que je venais d’absorber. Le style de l’auteur évoque une sorte de maladresse contrôlée et colorée, ce qui m’a fait voir son roman comme une sorte de bande dessinée avec de petites notes humoristiques glissées ici et là. La structure même de Rénovation en fait un vrai caméléon littéraire. Que vous aimiez la science-fiction, l’absurde ou la nouvelle littéraire : peu importe, vous vous y retrouverez d’une manière ou d’une autre. Avec à peine 135 pages, ce court récit peut se lire en une bouchée, ce qui est parfait pour les longs trajets de bus monotones autant que les soirées « préexamens » lors desquelles les tendances procrastinatrices se font sentir. Terrez-vous dans un coin avec le livre, faites le vide et quelques pages plus tard, vous serez plongé dans un rêve lucide qui aurait pu être le vôtre…

 

Bref, Rénovation revisite le genre de la dystopie, sous un angle qui m’est apparu comme différent de celui que proposent des classiques comme 1984 de George Orwell. Le style absurde, simpliste et allégorique du Renaud Jean a réussi à me transporter dans un monde amnésique, vraisemblable et inconnu. Maintenant, à savoir s’il s’agit d’un rêve ou d’un cauchemar, d’un songe ou de la réalité — à vous de le voir…

 

Révision : Mathieu Lauzon-Dicso