Nauetakuan/Ńauetakuan (prononcé [la:we:ta:kwǝn] par les gens de Pessamit) est un mot innu-aimun signifiant « le bruit s’entend de très loin » . Étant donné l’importance de la langue innu-aimun dans cette histoire, j’ai pensé qu’il était approprié de commencer par définir Nauetakuan, d’autant plus car Natasha Kanapé Fontaine commence ce roman en faisant la même chose.

© Magdalena Nitchi

J’ai eu la chance d’entendre Kanapé Fontaine parler de ce livre lors d’une causerie organisée par la librairie Saga. Juin étant le mois de l’histoire autochtone du Canada, j’ai pensé que ce serait une bonne occasion de discuter de ce livre. Le protagoniste de Nauetakuan, Monica, est une jeune femme Innu qui déménage à Montréal pour essayer de combler un vide dans son cœur, mais qui se retrouve dans une quête pour comprendre son identité autochtone.

Dès le début du livre, je suis tombée amoureuse non seulement des personnages créés par Kanapé Fontaine, mais aussi de leur communauté. L’histoire débute quand Monica visite l’exposition d’une artiste autochtone au centre-ville de Montréal et se retrouve submergée par ses émotions à la vue des œuvres affichées. C’est là qu’elle rencontre miraculeusement Katherine, une femme autochtone de la réserve algonquienne Kitigan Zibi. Bien que Monica soit originaire de Pessamit, une ville Innu nordique, les deux femmes se lient rapidement d’amitié malgré leurs différences.

La gentillesse et l’ouverture de Katherine à propos de sa propre vie inspirent Monica à s’ouvrir à elle. Le dialogue coule naturellement entre eux et le rire ponctuant le texte de Kanapé Fontaine invite le lecteur à prendre part à leur complicité. En utilisant l’humour et des rires presque identiques pour chaque personnage, Kanapé Fontaine souligne la rapidité et la facilité qu’ils ont de se connecter entre eux.

Natasha Kanapé Fontaine

Désormais meilleures amies, Katherine est la compagne parfaite pour Monica dans son voyage spirituel. J’ai apprécié la façon dont Monica voyage au début dans des différentes régions du Canada et du Mexique afin de découvrir la vie d’autres groupes de Premiers Peuples, avant de retourner chez elle. À travers ce voyage, Natasha Kanapé Fontaine a pu dépeindre la diversité des Premiers Peuples de l’Amérique du Nord, tout en leur reconnaissant des expériences communes.

Les vives descriptions des scènes artistiques et culturelles florissantes des Premiers Peuples m’ont fascinée. Même si je ne suis pas autochtone, je peux clairement comprendre pourquoi Monica était si profondément affectée par chaque endroit visité. La beauté de ces scènes et les œuvres d’art décrites seraient irrésistibles pour tous, encore plus pour quelqu’un provenant d’une culture semblable.

Un autre aspect intéressant du livre est la fluidité de la sexualité des personnages. En effet, Kanapé Fontaine semble délibérément éviter de mettre des étiquettes sur leur sexualité. Ce choix ne semble pas homophobe, mais plutôt décolonial ; au lieu d’employer des termes tels qu’hétéro- ou homosexuel, inventés par les Européens et imposés aux peuples autochtones pendant la colonisation, Kanapé Fontaine permet à ses personnages d’exister simplement tels qu’ils sont. Une partie importante du voyage de Monica est sa relation étroite avec deux personnes: Oscar, un homme de la Colombie-Britannique, et Maria Elena, une femme du Mexique. Monica partage des moments d’intimité émotionnelle et physique avec tous les deux, et aucune de ces relations n’est minimisée. Les liens de Monica avec d’autres peuples autochtones, qu’ils soient romantiques ou platoniques, font partie de son processus de guérison.

Monica est également poète, et j’apprécie beaucoup la façon dont la poésie et les rêves ont été incorporés dans le texte. Chaque fin de chapitre contient un poème ou un rêve prosaïque. Le symbolisme de ces passages reflète les événements du chapitre et leur marque sur Monica. Ayant publié plusieurs recueils de poésie, Natasha Kanapé Fontaine maîtrise l’art de la poésie, brouillant les frontières entre la réalité et la fantaisie lors de certaines séquences oniriques. Le lyrisme est préservé tout au long du texte, permettant ainsi une lecture très agréable du livre.

© Johnathan Waller

Les éléments « fantastiques » de Nauetakuan tirent leurs origines du voyage spirituel de Monica. Ce dernier implique une connexion à la spiritualité autochtone, celle-ci laissant ses traces dans la vie de Monica. Par exemple, un amant toxique de Monica, Sebastian, est fréquemment lié à l’imagerie du corbeau. D’autres personnages l’appellent « the Crow », et plusieurs passages impliquent qu’il a le pouvoir de se métamorphoser en cet oiseau charognard. Cependant, cela n’est jamais directement déclaré, et Monica ne le voit pas vraiment se transformer en dehors de ses rêves. C’est simplement un sentiment profondément enraciné dont témoignent de nombreux personnages. En plus de ses rêves vifs, Monica entend et voit parfois des choses que les autres autour d’elle, même Katherine, ne discernent pas. Celles-ci peuvent être interprétées comme des hallucinations ou, comme le livre semble le suggérer, comme des communications provenant des esprits.

Cependant, j’éprouve une certaine difficulté à classer ce livre dans la fiction spéculative, même dans une catégorie comme le fantastique, qui vise à brouiller les frontières entre les genres. Lors de la causerie à la librairie Saga, Kanapé Fontaine a mentionné que la spiritualité autochtone est souvent considérée comme un fantasme, alors que celle-ci est très réelle pour l’auteure, et l’est également pour beaucoup d’autres personnes. Pour les Premiers Peuples, les esprits sont réels, tout comme les événements inexpliqués qui se produisent sur la terre. Par conséquent, une personne autochtone lisant cette histoire considérerait le tout comme un récit factuel de ce qui s’est réellement passé. Monica elle-même se débat avec cette distinction au début de l’histoire; elle ne comprend pas ses visions et craint d’être en quelque sorte déconnectée de la réalité. Cependant, son pouvoir ne consiste pas à rejeter ces visions apparemment surnaturelles, mais à les utiliser pour la guider dans la quête de soi-même.

© Le Manic

Le titre du livre, Nauetakuan, peut faire référence à beaucoup de choses, y compris les visions de Monica. Les sons qui arrivent à Monica de très loin pourraient s’agir de sa propre spiritualité, un appel à retourner dans sa ville natale, le traumatisme des pensionnats qui ont affecté plusieurs générations de sa famille, ou même, littéralement, le tonnerre et la foudre. L’imagerie de la tempête est présente tout au long du livre, reflétant les conflits internes de Monica et des autres personnages. Le ton poétique et fluide du roman est encapsulé dans le titre; Nauetakuan incarne véritablement cette histoire.

Je vous recommande fortement Nauetakuan si vous souhaitez en savoir plus sur les peuples autochtones du Québec, en particulier les Innu. L’histoire utilise le français, l’innu-aimun et l’anglais dans le but de créer un mélange multiculturel poétique qui reflète la diversité du Québec. Le livre de Kanapé Fontaine oscille entre le fantastique et un voyage spirituel profond, et est une lecture absolument captivante. En tant que Canadienne, je pense qu’il est essentiel de continuer à soutenir les personnes des Premiers Peuples qui revendiquent leur patrimoine, et cela implique notamment la promotion des belles œuvres d’art autochtones, comme ce livre.