Cocto Citadelle, le premier volume de la série NeoForest de Fred Duval, représente parfaitement l’un de mes sous-genres préférés de science-fiction : les histoires post-apocalyptiques qui se déroulent dans un décor proche de la fantaisie, des centaines d’années après qu’une catastrophe ait altéré le monde. Cette bande dessinée se déroule dans les ruines de « l’Ancienne France », après qu’une crise climatique ait entraîné un retour de la féodalité. Le plus important des petits royaumes en ce temps est la Citadelle de Cocto, gouvernée par le comte éponyme.
Cependant, des troubles se préparent à la Citadelle : le comte Cocto s’est blessé lors d’un tournoi de cyclisme/joute, et les machinations politiques d’autrui l’empêchent de se soigner facilement. Son héritière, la rebelle Blanche, est partie dans les grandes forêts à la lisière du royaume pour un séjour en camping entre amis. Quelque chose de plus profond se prépare dans la forêt : la terre elle-même commence à s’écarter des modifications génétiques rigides et des schémas de croissance imposés par Cocto. Le comte pourra-t-il retrouver sa fille à temps et assurer la sécurité de son royaume, ou sa citadelle tombera-t-elle ?
La construction du monde de Duval est magistralement réalisée. Le mélange d’anciennes et de nouvelles technologies résulte en un monde à la fois éthéré et bien ancré. Les chevaliers se promènent à vélo et des hybrides porc-humains créés par clonage constituent une partie importante de la main-d’œuvre paysanne. Il existe également une variété d’autres créatures, y compris des licornes et des fées, dont la présence est bien expliquée. Les nouveaux monarques qui gouvernent le pays ne sont pas héritiers par droit divin, mais plutôt des personnes riches et puissantes qui ont accès à une technologie de pointe, les rendant presque immortels. Je ne veux pas trop en dévoiler, mais j’ai été impressionnée par la solution à la crise climatique proposée par Duval permettant aux forêts de se refaire.
J’ai aussi apprécié le ton de la narration dans la bande dessinée, qui rappelle les contes de fées. Le style met en valeur les éléments fantastiques de l’histoire, tout en donnant aux lecteurs un aperçu de son noyau moral. Dans le climat politique actuel, les histoires qui portent sur la division des classes et sur la prise en compte des ressources utilisées pour soutenir le société sont particulièrement pertinentes. L’exploration de ces thèmes par Duval dans un cadre qui hybride le passé et l’avenir est particulièrement intéressante. Duval a magistralement créé une histoire imaginative qui chevauche la frontière entre la fantasy et la science-fiction.
Philippe Scoffoni, l’artiste qui a travaillé avec Duval sur cette bande dessinée, donne vraiment la vie à ce monde. Son style est vraiment détaillé, offrant des arrière-plans luxuriants et des personnages magnifiquement rendus. Son style rappelle les bandes dessinées d’aventures classiques et il y a de l’action dans chaque panneau, même ceux qui ajoutent à l’ambiance et établissent la scène. J’ai particulièrement apprécié les paysages et les panneaux plus larges; ses représentations de la vaste forêt – et de la brutalité des humains qui la coupent à nouveau pour alimenter leur vie – m’ont coupé le souffle. La riche palette de couleurs vertes que Scoffoni utilise dans la forêt est accrocheuse et donne l’impression que les personnages entrent vraiment dans un monde féerique.
Mon seul bémol est que les personnages de NeoForest pourraient être plus intéressants. Blanche est une jeune adolescente rebelle classique, un peu naïve mais déterminée à défier les souhaits de son père. Cocto est une figure d’autorité devenue trop à l’aise dans sa position. Il a des passe-temps intéressants, mais ceux-ci ne sont pas vraiment explorés car le livre se concentre sur sa survie. Même les intrigants politiques qui travaillent dans les coulisses et qui ont des conceptions visuelles intéressantes, n’ont pas de motivations claires au-delà de vouloir s’approprier les ressources massives du comte. Il y a aussi des indices sur ce qui se passe dans le reste du monde – par exemple, le comte accueille plusieurs invités étrangers – mais aucun des personnages secondaires n’a la chance de briller ou de donner au lecteur une perspective plus large sur le système politique.
Peut-être que Duval est un peu trop ambitieux : jongler avec toutes les perspectives des personnages et villains principaux, et établir le monde de manière si complète dans un court volume est une tâche herculéenne. Cependant, j’aurais aimé voir au moins une scène qui étofferait certains des personnages et leurs relations. S’il se penche plutôt sur la fable morale avec des personnages archétypaux, Duval aurait pu l’indiquer plus clairement dans le livre.
Dans l’ensemble, ce premier tome est un début prometteur. Les complots interconnectés qui couvrent des enjeux politiques et des problèmes écologiques sont assez convaincants, et les personnages peuvent facilement être développés dans une suite. L’intrigue de l’histoire et les illustrations m’ont définitivement donné envie de poursuivre Les Animas, dont le deuxième volume est encore à paraître. Si vous recherchez une bande dessinée richement illustrée avec un bon message environnemental, ce livre est pour vous.