Par Daphnée Lopresti et Sabina Roman

 

Et voilà, un dernier entretien, qui sera aussi le dernier article du dossier spécial que les étudiants du blogue culturel des Horizons imaginaires ont souhaité faire en hommage à l’auteur Joël Champetier. C’est avec Hugues Morin qu’on clôt le dossier, un auteur de nouvelles et d’essais qui a été très proche de Joël Champetier et qui a accepté très généreusement de nous ouvrir une petite fenêtre sur la relation tant professionnelle qu’amicale qu’ils ont entretenue.

 

Au nom de tous nos coéquipiers, nous souhaitons donc remercier les nombreuses personnes qui nous ont aidés dans la réalisation de ce dossier, ainsi que vous, chers lecteurs, qui y avez accordé un peu de votre temps. Le travail fait pour ce projet nous a permis de mieux connaître un grand auteur de science-fiction, de fantastique et de fantasy du Québec et de constater jusqu’à quel point son œuvre et sa personnalité ont servi de piliers à l’imaginaire d’ici. Après tout ce que nous avons appris à son sujet, nous regrettons de ne pas avoir pu le rencontrer en personne; heureusement, il y aura toujours ses livres, et la persistance des souvenirs heureux.

 

Voici donc ceux de Hugues Morin…

 

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots pour ceux et celles qui, parmi nos lecteurs, ne vous connaissent pas déjà?

 

Je suis un auteur de nouvelles littéraires, et je fais aussi des critiques ou essais à l’occasion. J’ai commencé par la publication de nouvelles de fantastique dans des fanzines, entre 1991 et 1998, principalement ici, au Québec, mais aussi en France et en Belgique. Parallèlement à ces publications de jeunesse, j’ai aussi publié dans des revues professionnelles comme Solaris et, à l’époque, imagine…À partir de 2001, j’ai définitivement abandonné la scène fanique et me suis tourné vers la science-fiction et le polar. Depuis, je publie d’une à trois nouvelles par an, dans des revues comme Alibis et Solaris. En 1997, j’ai aussi dirigé et coécrit un livre de référence sur Stephen King, publié aux éditions Alire.

 

Crédit photo : Hugues Morin

 

Dans quel contexte avez-vous rencontré Joël Champetier la première fois?

 

La toute première fois, c’était via son roman La Taupe et le dragon, sur lequel je suis tombé par hasard dans une librairie de livres usagés. Quelques mois plus tard, je suis allé au kiosque de Québec-Amérique pour lui faire signer cet exemplaire usagé et ça l’a amusé; tout de suite, dès ce premier contact, je l’ai trouvé ouvert et sympathique. Après quelques rencontres, nous étions devenus amis.

 

Comment décririez-vous l’influence de Joël Champetier sur le milieu littéraire québécois? On nous parle souvent de sa grande générosité et de son ouverture envers les jeunes auteurs; en quoi cela a-t-il contribué à l’essor de la littérature d’ici?

 

La contribution de Joël à la scène des littératures de l’imaginaire est immense. Premièrement, grâce à ses œuvres, puisqu’il a réussi avec brio à publier d’excellents romans autant en science-fiction qu’en fantastique et fantasy et ce, pour les lecteurs adultes et les lecteurs jeunesse. Deuxièmement, Joël était probablement le directeur littéraire le plus enthousiaste et généreux du milieu. À ce titre, il devait lire et commenter des dizaines de textes reçus à Solaris, semaine après semaine. Joël disait toujours que l’écriture, le fait d’écrire, d’aligner les mots, ne lui était pas venu facilement, au début. Il avait un don pour encourager les débutants, parce qu’il s’est lui-même senti encouragé à ses débuts dans le milieu – notamment pas Élisabeth Vonarburg, une autre légende qui n’a jamais compté son temps pour encourager les auteurs débutants dans le milieu. Ce genre d’encouragement – qui ne passe pas juste par des mots gentils, mais bien par un travail dédié et constructif sur les textes qu’il recevait et annotait, ce qui prend du temps – est d’une importance cruciale dans le développement des jeunes talents. Ça dépasse la simple tape dans le dos, ça donne des techniques, des idées, des conseils, pour faire avancer le jeune auteur. C’est très stimulant pour un jeune auteur d’échanger ainsi avec quelqu’un d’aussi compétent, ouvert et généreux que Joël l’était. Quand on débute, ces premières rencontres avec les professionnels sont déterminantes. La contribution de Joël ne peut évidemment pas se chiffrer, mais plusieurs auteurs publiés régulièrement aujourd’hui lui doivent beaucoup à ce niveau. Enfin, il ne faut pas oublier la contribution de Joël au rayonnement des littératures d’ici par ses participations à des congrès et événements ailleurs dans le monde, en milieu anglo-saxon comme francophone.

 

Crédit photo : Hugues Morin

 

Plus personnellement, de quelle façon avez-vous eu l’opportunité de travailler avec Joël Champetier? Ses idées, son style ou sa chaleur vous ont-ils déjà influencé d’une façon ou d’une autre?

 

L’influence de Joël – sa manière de penser, son humour, ses conseils, sa connaissance des ramifications de l’écriture, son amitié – a été déterminante pour moi. En fait, toutes les nouvelles que j’ai publiées en professionnel au cours des 15 ans précédant son départ l’ont été avec sa collaboration comme directeur littéraire. Ce n’était parfois qu’un mot, une idée, un commentaire, mais cette collaboration faisait de moi un meilleur écrivain à chaque occasion. Je me souviens, par exemple, d’avoir lu une version de travail du scénario de La Peau blanche chez lui, et d’en avoir parlé avec lui par la suite, et ce simple échange – sur l’adaptation, sur le fait d’écrire pour être joué et entendu au lieu d’être lu – était en soi une leçon d’écriture, de narration, de dialogues. Échanger sur l’écriture avec Joël était toujours intéressant.

 

Laquelle des qualités de Joël Champetier devrait-on le plus se rappeler et perpétuer dans la prochaine génération d’auteurs, selon vous?

 

Comme écrivain, son originalité, sa versatilité, son humour subtil, et la qualité de sa plume. L’intérêt de l’œuvre de Joël repose certes sur la qualité de ses histoires, mais quand on lit plusieurs de ses livres, on se rend compte qu’il ne se répétait jamais, qu’il explorait toujours de nouveaux thèmes, de nouvelles manières de raconter ses histoires, mais que malgré ces explorations, chaque histoire demeurait du pur Champetier. Par exemple, il pouvait passer du fantastique à la Stephen King (La Mémoire du lac) à l’espionnage de style Robert Ludlum (La Taupe et le dragon) en gardant sa propre voix, sa propre approche. Autre exemple, il décide de mettre en scène un aventurier malgré lui qui ne veut que revenir chez lui (Les Sources de la magie), qui se distingue complètement des typiques héros qui recherchent l’aventure. C’était ça, l’originalité de Joël, et c’est le genre de truc qui est subtil, qu’on ne remarque pas toujours si on ne lit qu’un roman ou deux. Tout au long de son œuvre, Joël s’est toujours amusé à jouer avec les conventions littéraires et cette approche très personnelle rend son œuvre intemporelle, et toujours intéressante à lire ou à relire.

 

Comme directeur littéraire et animateur du milieu, son ouverture d’esprit, sa patience et sa rigueur. Ce n’était pas parce qu’il encourageait les jeunes et était généreux de son temps et de ses conseils qu’il sacrifiait la rigueur de l’histoire. La cohérence interne des personnages et de l’intrigue ont connu un excellent promoteur en la personne de Joël, ce qui a certainement permis l’émergence d’œuvres plus intéressantes suite à ses interventions, autant comme directeur littéraire que panéliste lors de discussions dans des congrès, par exemple.

 

Crédit photo : Hugues Morin

 

De quelle façon, d’après vous, l’héritage littéraire de Joël Champetier rayonne-t-il le mieux actuellement? Y aurait-il quelque chose à faire pour que son rayonnement persiste dans le futur?

 

La littérature de F&SF au Québec rayonne malheureusement relativement peu, à part quelques cas d’exception, comme certains auteurs ou séries de littérature jeunesse ou les romans de Patrick Senécal. Pour le moment, le rayonnement de l’œuvre de Joël se fait essentiellement par la distribution continue de ses romans chez Alire. C’est certain que d’intéresser de jeunes lecteurs comme votre groupe à son œuvre permet aussi d’étendre le rayonnement des histoires de Joël. Dans un futur proche, peut-être verrons-nous l’aboutissement de quelques projets télé ou cinéma laissés en plan lors de son départ, puisque dans ce milieu, ça prend toujours du temps et certains projets peuvent être produits des années après leur développement initial. Il avait complété l’adaptation d’un roman en série d’animation, et il y a toujours quelque part le scénario à l’origine du roman RESET – Le Voile de lumière, par exemple. Il faudrait également qu’un éditeur s’intéresse à regrouper ses nouvelles – l’ensemble peut-être – pour publier un recueil omnibus de cette partie de son œuvre plus difficile à trouver. Enfin, il faudrait qu’un essayiste s’attaque à un livre de référence sur l’ensemble de son œuvre, sa création d’univers, son style, ses personnages ou thèmes récurrents, etc. Quelque chose à l’image de Joël, intéressant, drôle et accessible, plutôt qu’une thèse universitaire toujours un peu plus opaque pour le lecteur lambda. C’est certainement une œuvre qui mériterait qu’un tel livre soit écrit un jour.

 

Quelle œuvre de Joël Champetier recommanderiez-vous le plus à un nouveau lecteur, en particulier à un cégépien?

 

Ça dépend de ce que le nouveau lecteur aime. En fantastique, La Mémoire du lac, certainement facile d’accès, avec une intrigue enlevante remplie de culture et de références locales. En science-fiction, La Taupe et le dragon, très habile mélange d’espionnage et de SF, une fascinante création de monde et une intrigue qui roule sur des chapeaux de roues. Dans les deux cas, le rythme de ces intrigues plaira aux lecteurs collégiens. En fantasy, je débuterais par Le mystère des Sylvaneaux, une excellente première incursion dans son merveilleux cycle de Contremont, qui donnera certainement le goût au lecteur de lire les autres romans de ce cycle.

 

Crédit photo : Hugues Morin

 

Révision : Mathieu Lauzon-Dicso