Par Dorsa Afshin

 

L’hiver approche à grands pas, et il est de notoriété publique que les Montréalais chialent abondamment lors de cette saison glaciale. Des journées extrêmement courtes, des nez qui coulent sans cesse et des doigts qui perdent toute sensation si l’on oublie nos gants à la maison: voilà ce qui s’annonce. Pourtant, cette saison marque aussi le début du temps des fêtes et celui de la construction des bonshommes de neige, qui décorent les cours des maisons. Cela explique peut-être le sentiment d’amour-haine que ressentent les résidents de la ville à l’égard de l’hiver. Alors, déjà que nous rouspétons pour un petit hiver de cinq mois, imaginez comment les Montréalais réagiraient s’ils devaient affronter un hiver qui persisterait encore après neuf ans? Hé bien, c’est exactement cela qu’a imaginé la bédéiste montréalaise Cab, l’alias de Caroline Breault, dans sa première série de BD publiée, Hiver Nucléaire.

 

Dans cette ville de Montréal fictive, on voit la métropole ensevelie sous une épaisse couche de neige, permanente, où les autos ont été remplacées par des motoneiges. Ce désastre météorologique a été causé par un accident à la centrale nucléaire Gentilly-3 de Pointe-aux-Trembles. Le désastre a aussi provoqué des mutations génétiques dans la population comme dans la faune. En deux volumes jusqu’à présent, parus dans la collection Anticyclone des Éditions Front Froid, on suit l’histoire de Flavie, une courrière qui préfère passer ses soirées chez elle avec un livre plutôt que sortir et boire. Le premier tome raconte les aventures de Flavie la veille d’une grosse tempête qui s’annonce le jour de la Saint-Jean; la jeune femme doit livrer une commande de bagels à la limite de la zone habitable, ce qui l’amène à rencontrer officiellement le beau et populaire Marco, un homme connu pour les fêtes qu’il organise dans le Mile-End; disons que la rencontre provoque toutes sortes de flammèches! Le deuxième volume met en scène la quête de Flavie pour du sirop Buckley et sa découverte de la présence d’une organisation illégale qui vole les médicaments des camions de livraison.

 

Crédit: Dorsa Afshin

 

Parlons de l’aspect le plus important dans une BD: le visuel! Personnellement, j’adore le style artistique de Cab, très cartoonesque. Malgré la simplicité des dessins, les détails dans chacun des panneaux sont abondants, que ce soit dans ceux qui nous montrent la cuisine de Flavie où des coupures de journaux sont affichées sur le mur, ou dans le paysage global de la ville post-apocalyptique. De plus, la créativité de Cab est bien représentée à travers les personnages secondaires (ou «figurants») et leurs mutations causées par l’exposition aux radiations: Cab a pu imaginer toutes sortes de drôleries physiques qu’on espère éviter en cas d’accident nucléaire! Les nouvelles races animales qu’elle a inventées, comme le féroce raton polaire, valent elles qu’on s’y attarde, notamment dans les annexes qui closent les volumes.

 

L’aspect visuel n’est pas le seul point positif des œuvres de Cab: en effet, les personnages principaux sont présents, très développés et aussi très diversifiés. Par exemple, on peut comparer Flavie, une femme de 28 ans plutôt casanière, à Jenny, la copine de Marco, qui a un style punk et une attitude pas du tout chaleureuse. Bref, la galerie des personnages nous en fait voir de toutes les sortes. Évidemment, Flavie est le personnage dont l’évolution est la plus développée du lot. Si l’on compare la Flavie du tout début et celle de la fin, on constate qu’elle n’est plus la même. Grâce à sa nouvelle amitié avec Marco, qui continue de fleurir, elle commence à s’ouvrir un peu plus au monde extérieur. C’est à travers cette nouvelle relation et les interactions qu’elle se met à tisser avec les autres que l’on en apprend davantage sur l’héroïne, qui en fin du compte, est très différente de la première impression que je m’étais faite d’elle. On découvre des facettes insoupçonnées de Flavie, comme son esprit curieux, son amour pour les animaux ou, évidemment, certains secrets qu’elle garde pour elle-même et qui expliquent son mode de vie.

 

Crédit: Dorsa Afshin

 

J’aimerais faire une petite parenthèse par rapport à quelque chose qui m’a beaucoup plu dans les deux volumes de Cab: Flavie n’est pas une héroïne féminine stéréotypée. Elle n’est pas mince et extrêmement féminine, elle n’est pas dessinée pour attirer le regard de tous les garçons. Ça peut avoir l’air insultant de dire ça, mais personnellement, j’ai trouvé ça merveilleux de rencontrer un personnage féminin qui est à la fois attachant et intéressant, et qui ne respecte pas les normes traditionnelles de la beauté parfaite. Comme lectrice, je trouve ça rassurant et très important.

 

Bref, j’ai adoré ces deux volumes d’Hiver Nucléaire, et je les recommanderais à tout le monde. Des pages qui sont très agréables à regarder, des personnages attachants et une histoire originale donnent un résultat extraordinaire. La seule chose qui m’attriste un petit peu, c’est que cette série n’a pas déjà de suite. Mais bonne nouvelle! Front Froid a annoncé que le troisième tome d’Hiver Nucléaire paraîtra à l’automne 2018!

 

Crédit: Dorsa Afshin

 

Révision: Daphnée Lopresti et Mathieu Lauzon-Dicso