Par Tiffany Qian
Afin de bien asseoir le tout premier dossier thématique de la revue des Horizons imaginaires, un dossier qui traite des liens entre les cultures de l’imaginaire et le monde étrange de l’école, nous avons interviewé neuf auteurs de science-fiction et de fantastique du Québec et de France, qui ont gracieusement accepté de répondre à nos questions. Évidemment, il ne s’agit pas de neuf choix aléatoires, puisque tous ces écrivains pratiquent le métier d’enseignant ou l’ont pratiqué pendant un certain moment ! Et ils ont beaucoup à nous dire de la position ambivalente qu’ils occupent…
Horizons imaginaires : Comment vous présenteriez-vous à nos lecteurs en tant qu’auteure et en tant qu’enseignante ?
Ariane Gélinas : Je suis chargée de cours en littérature à l’UQTR (Université du Québec à Trois-Rivières) depuis peu de temps (hiver 2015). Cet emploi s’est d’abord inscrit en parallèle à mes études au doctorat en lettres. En effet, quelques étudiants du programme ont l’occasion, pendant la rédaction de leur thèse, de donner une charge de cours ou deux. J’ai eu cette chance ! En même temps, je poursuivais l’écriture de ma thèse (profil création). Par conséquent, je ne me suis jamais énormément éloignée du roman. En tant qu’auteure, j’ai signé à ce jour six livres et une cinquantaine de nouvelles. Je m’intéresse surtout au fantastique et au noir, avec des incursions dans la science-fiction, la prose poétique, le policier, l’historique, etc. Je ne pense jamais préalablement à mes récits en termes de genres, mais je suis consciente que je recherche l’intensité dans ma démarche littéraire.
Horizons imaginaires : D’après vous, laquelle de vos deux positions – auteure ou enseignante – est la plus pédagogique ? Laquelle vous amène le plus à instruire ?
Ariane Gélinas : L’enseignement amène plus directement – immédiatement – à instruire. Les interactions spontanées avec les étudiants permettent aussi de pousser la pédagogie à son paroxysme. Du côté littéraire, comme je n’écris pas d’essais et assez peu d’articles scientifiques, je ne me place pas du côté des « auteurs à thèse », qui défendent des idées spécifiques. Cependant, la vision du monde d’un écrivain transparaît toujours, en filigrane ou non, dans ses œuvres de création. À mes lecteurs de réfléchir, s’ils le souhaitent, sur les facettes du monde que je dépeins… À eux de les appréhender ou à les analyser par la suite à leur manière.
Horizons imaginaires : Diriez-vous que les thèmes de l’école et du scolaire en général ont une présence marquante dans les littératures de l’imaginaire ?
Ariane Gélinas : Je crois que oui, surtout en littérature jeunesse. Je pense notamment aux romans de Jonathan Reynolds, qui se déroulent souvent dans un cadre scolaire. Du côté de la littérature pour adultes, le premier exemple qui me vient en tête est la série fantastique Malphas de Patrick Senécal. J’ai toutefois l’impression que ces thèmes sont plus fréquents en littérature jeunesse, pour des raisons de proximité avec le public. En effet, à partir de 16 ans, demeurer à l’école devient un choix. Et plus rares sont ceux qui, comme moi, sont étudiants à 32 ans… Au-delà de 25 ans, les cadres de référence de plusieurs individus (qui entrent sur le marché du travail) changent, et, conséquemment, les littératures de l’imaginaire pour adultes vont avoir tendance à mettre en scène davantage le milieu professionnel que scolaire… à moins que l’emploi du héros ou de l’héroïne soit enseignant, bien entendu !
Horizons imaginaires : Comment votre expérience en tant qu’enseignante nourrit-elle votre expérience en tant qu’auteure ? Et vice-versa ? Y a-t-il un quelconque aspect surnaturel dans la profession d’enseignante ?
Ariane Gélinas : L’enseignement est, pour ma part, le métier le plus exigeant que j’aie jamais expérimenté. Peut-être, entre autres, parce que je suis perfectionniste et, à la base, une grande timide. Un emploi à ce point demandant à plusieurs niveaux ne peut qu’être enrichissant, car il amène à se dépasser. En tant qu’auteure, je recherche sans cesse le dépassement. Enseigner participe de cette même volonté. De plus, l’écriture est pour ma part un acte de partage et de générosité envers les lecteurs. L’emploi de professeur est aussi tourné vers le don de soi, l’altruisme : c’est l’un des aspects que j’affectionne tout particulièrement. Néanmoins, les tâches professorales ne cessant de croître année après année, il faut parfois avoir des dons surnaturels pour survivre au métier !
Horizons imaginaires : Lequel de vos livres auriez-vous aimé lire à notre âge (16-20 ans) ?
Ariane Gélinas : En général, mon ouvrage le plus apprécié par les 16-20 ans est Transtaïga. En plus de présenter une héroïne d’environ cet âge, le roman raconte la traversée insolite d’une route nordique. Sa forme de road novel semble plaire spécifiquement à ce public fervent de déplacements. La manière dont le fantastique est abordé, à mi-chemin entre le doute et la folie, paraît également intéresser les collégiens, qui, pour plusieurs, aiment lire des histoires qui permettent de vivre des sensations fortes. Finalement, le style du roman, soigné, mais non hermétique, fait de ce livre un récit qui, je pense, peut faire voyager agréablement les 16-20 ans.