Par Sabina Roman
Oscar de Profundis, écrit par Catherine Mavrikakis, est paru aux éditions Héliotrope en 2016. C’est une oeuvre littéraire étrange, qu’on n’a pas l’habitude de voir dans le catalogue d’un éditeur généraliste, car elle prend des airs de science-fiction post-apocalyptique. L’approche disons «littéraire» de ce type d’imaginaire me plaît vraiment; on pourrait dire que c’est ma découverte du moment, car je suis tombée sur les œuvres de plusieurs auteurs qui en font, qu’ils l’aient voulu ou pas. J’aime bien cette sorte d’écriture où l’art joue à faire bouger les choses, où l’œuvre dépasse son récit, où les marges se rencontrent; un peu comme des plaques tectoniques en mouvement qui font exploser la réalité.
Ce roman, donc, traite d’un Montréal futur dont l’espace urbain se départage selon les classes sociales, entre les gueux (ceux qui errent dans les rues) et les nantis (les plus riches, barricadés dans les banlieues). Le gouvernement, administré au niveau mondial, protège seulement les plus fortunés. Collé aux réalités actuelles, le récit dystopique d’Oscar de Profundis dévoile ce que sera l’union des conglomérats et de l’État. Ce monde est aussi secoué par une épidémie, qui touche seulement les gueux. Les malades sont décrits comme des zombies, et la maladie dont ils sont atteints est présentée comme une version moderne de la peste noire, issue des temps médiévaux.
La ville de Montréal occupe une place importante dans le roman; elle y est donc décrite longuement. C’est un espace qui se dégrade, mais certains éléments en assurent toutefois la survie compliquée, comme certaines de ses fameuses rues, ses intersections réputées et des bâtiments reconnaissables. Mais au-delà du décor, ce qui m’a semblé le plus proche du Montréal d’aujourd’hui, dans une vision fantasmée, c’est la séparation entre la ville et sa banlieue. Les plus fortunés se sont réfugiés dans les banlieues, qui encerclent la métropole et qui offrent à ses citoyens un certain sentiment de sécurité. Détachés du territoire de la ville populeuse, où on dit que règnent le crime et le trafic confus et incessant des passants inquiets, les banlieusards croient vivre heureux. Les moins fortunés, quant à eux, ont envahi les rues centrales, et forment le peuple des sans-abris. Ils se regroupent en gangs, autour de leurs chefs; certains d’entre eux sont plus rusés et entreprenants que d’autres…
Et la narration du récit, qui suit deux points de vue distincts, accentue cette séparation du monde en deux classes. D’une part, on retrouve Oscar de Profundis, star mondiale de la chanson, originaire de Montréal, qui retourne dans cette ville qui le hante et lui répugne. De l’autre côté, on rencontre Cate Bérubé, chef d’un clan de gueux. Les deux se partagent les chapitres, un après l’autre, pour donner leurs tons et leurs perceptions à l’histoire. Cate voit et comprend manifestement bien la situation des gens de la rue, tandis qu’Oscar raconte ce qu’il perçoit à travers le filtre des médias et sa petite fenêtre, qui donne sur la rue Sherbrooke. Ce sont deux personnages opposés, qui vivent dans une ville à la fois identique et différente. Aussi, Oscar et Cate, dans leurs similarités comme leurs différences, sont semblables sur un autre point: ce sont deux meneurs importants, qui servent de guides à leurs fidèles, à leurs fans. Et si, malgré tout ce qui les sépare, ils réussissaient à changer leur monde, ensemble?
Le personnage d’Oscar de Profundis, éponyme du roman, est sans doute celui qui m’a le plus inspirée. Je lui ai trouvé plusieurs ressemblances avec Oscar Wilde, et il n’est pas anodin que lui-même le reconnaisse! C’est un mécène qui cherche à préserver autant que possible les traces les plus marquantes de culture sur Terre: il recueille les livres, les chansons, les œuvres d’art et même le corps des personnalités ayant marqué l’imaginaire collectif. C’est aussi une star du rock planétaire dont le passé est celui qu’on peut s’imaginer: attitude désinvolte, usage constant des drogues, participations à de nombreuses orgies… Il semble motivé par la vanité et l’excès, mais en fait, je me suis vite attachée à lui en découvrant ses inquiétudes et ses phobies intimes. Montréal – encore cette ville – en est visiblement une: il ne daigne pas mettre les pieds dans cette ville qui l’a malmené dans sa jeunesse, cette ville où son frère est mort très jeune et où sa mère n’a pu se remettre sainement d’un tel drame. Cela l’a affecté, grandement, et tout ressurgit alors qu’il effectue son retour au bercail. Il ne peut plus dormir, il devient très fragile; il va même jusqu’à frôler la folie, voire à y plonger pleinement, avec des épisodes hallucinatoires et des lubies irraisonnées. Bref, ce personnage à la présence marquante trouve sa place dans un roman où il est question d’un Montréal de fin du monde!
Quel sera le sort de la planète dans Oscar de Profundis? Quel sera celui de Montréal? Certains ont des idées révolutionnaires, qui datent d’avant l’épidémie, mais aucun ne réussit à convaincre le peuple, trop occupé qu’il est à chercher nourriture et refuge. Un soulèvement populaire semble donc impossible, cependant la population demeure résiliente, et il pourrait ne suffire de pas grand-chose pour qu’elle s’émeuve et se rassemble… Et puis il ne faut pas oublier que Montréal conserve son passé révolutionnaire, dans l’âme comme dans les faits, d’avant la Révolution tranquille jusqu’au récent Printemps érable. Cate et Oscar s’annoncent comme de possibles catalyseurs, qui ensemble pourraient faire basculer Montréal. Et le monde.
***Les Horizons imaginaires tiennent à remercier l’éditeur
pour l’exemplaire du livre reçu en service de presse.***
Révision: Daphnée Lopresti et Mathieu Lauzon-Dicso