Par Alina Orza

 

Mon titre résume plutôt bien mon train de pensée au cours de la lecture des Voyageurs malgré eux d’Élisabeth Vonarburg. Dans ce roman d’abord paru chez Québec-Amérique en 1994 avant d’être réédité chez Alire en 2009 dans une version révisée, la Grande Dame de la science-fiction québécoise nous fait explorer un univers parallèle, où tout semble normal… ou presque! En effet, par les yeux de Catherine Rhymer, une professeure de littérature, on découvre un Montréal similaire au nôtre, et pourtant si différent de celui qu’on connaît.

 

Dans le monde des Voyageurs, trois zones francophones existent toujours en Amérique du Nord: la Louisiane, le mystérieux Royaume indépendant du Nord et l’Enclave de Montréal, où commence l’histoire du livre. Par un matin d’hiver, Catherine se réveille en sueur après un rêve intense, avec l’impression que quelque chose ne va pas. N’arrivant pas à mettre le doigt sur ce qui cloche, Catherine se prépare et part au travail: elle enseigne la littérature à ce qui, nous l’apprendrons, est l’unique collège francophone à Montréal. En suivant Catherine à travers son trajet quotidien, nous découvrons le Montréal parallèle de cet univers. Les noms de certaines rues sont similaires aux vrais, et tout comme dans le Montréal réel, deux communautés linguistiques cohabitent sur l’île, l’une francophone et l’autre anglophone; toutefois, ces deux communautés ne vivent pas tellement en harmonie! Beaucoup moins, à mes yeux, que celles de notre Montréal à nous, en tout cas.

 

Un autre détail permet de bien distinguer le Montréal de Catherine du nôtre: avoir des visions, soit percevoir des choses qui ne sont pas vraiment là, s’avère assez commun dans cet univers. Ces visions joueront un grand rôle dans l’intrigue, particulièrement celles qui affecteront Catherine. En effet, l’héroïne voit des choses qui ne sont pas «normales», c’est-à-dire qu’elles ne font pas partie du catalogue des visions répertoriées que la majorité de la population peut normalement avoir. Ces visions, couplées aux trous de mémoire et au sentiment de malaise de Catherine, qui sent que quelque chose ne tourne pas rond, mettent la professeure très mal à l’aise. Et lorsqu’elle commence à être suivie, les choses virent vite au désastre…

 

Crédit: Alina Orza

 

Grâce à une intrigue qui va de Montréal et son Enclave au mystérieux Royaume du Nord et aux confins nordiques du continent, en passant par Quebec City sous tutelle anglaise, Élisabeth Vonarburg nous entraîne dans une aventure rocambolesque et franchement époustouflante, si difficile à décrire que je préfère vous laisser le plaisir de la découvrir par vous-mêmes!

 

Je dois toutefois avouer ne pas m’être rendu compte initialement que le Montréal de Catherine n’était pas le même que le nôtre; j’ai un peu honte de le dire, mais ce roman m’a amenée à me rendre compte que je ne connais pas ma ville aussi bien que je le croyais. Les noms de rue aux airs familiers m’ont induite en erreur, même si je sentais un petit quelque chose me titiller l’esprit. Ce n’est qu’au moment où certains détails très évidents ont été mentionnés, comme l’existence d’un seul et unique collège francophone en ville, que j’ai finalement allumé et que j’ai compris que j’avais affaire à un univers parallèle! De là, j’ai eu un plaisir immense à découvrir ce Montréal alternatif et à le comparer à la ville où je vis. Les relations entre anglophones et francophones y sont très tendues; beaucoup plus que ce que nous connaissons dans la réalité, du moins en 2017. Les étudiants francophones du Collège manifestent dans les rues, ce que je trouve intrigant, étant donné que ce roman a été publié presque 20 ans avant les manifestations étudiantes de 2012, qui sont ma référence automatique pour m’imaginer ce que raconte Élisabeth Vonarburg dans son livre. J’imagine que d’autres événements ont eu lieu dans l’histoire de Montréal et que ceux-ci ont inspiré l’auteure! J’ai également eu beaucoup de plaisir en essayant de faire le lien avec les lieux mentionnés dans le roman et ceux que je connais, malgré le fait que je n’ai pas eu beaucoup de succès; la géographie du Montréal des Voyageurs malgré eux et celle du mien ne semblent pas correspondre en de nombreux points. Élisabeth Vonarburg a créé un monde complexe, dans lequel on peut tout de même se repérer… Du moins au début!

 

En effet, plus on avance dans l’intrigue, plus on change de décor, et plus il devient difficile de retrouver le Québec de notre univers, autant dans les repères géographiques que culturels – ou générationnels? J’avoue avoir graduellement cessé de comprendre l’intrigue, dans ce mélange de visions, de rêves et de réalités alternatives qui s’empare de l’esprit de Catherine. Tout cela est devenu assez déroutant, autant pour elle que pour moi; ce qui, j’en ai l’impression, était l’intention de l’auteure! Néanmoins, ma confusion n’a pas minimisé la surprise que j’ai pu ressentir tout au long du roman; en effet, j’ai été agréablement étonnée du dénouement! Je pensais avoir deviné depuis le début ce qui allait arriver à la fin, et même si j’avais en partie raison, je m’étais trompée sur plusieurs points du dénouement. Cela m’a donc confondue, en même temps que ça m’a plu: après tout, qui veut lire un roman dont on connaît déjà la fin? Je suis contente d’avoir terminé ma lecture malgré l’effet de confusion qui a failli me faire abandonner le livre en plein milieu. Or, comme Catherine, je ne l’ai pas abandonné.

 

Bref, je trouve que Les Voyageurs malgré eux est une lecture mordante pour tous ceux qui aiment découvrir un univers parallèle semblable au nôtre, tout en étant immensément différent. Je dois, par contre, vous mettre en garde: ce roman est hautement interprétatif, et de nombreux passages demandent une lecture attentive et une certaine analyse plutôt profonde pour pouvoir être compris. Ce n’est donc peut-être pas le livre de chevet idéal si vous vous cherchez un petit roman léger à feuilleter en un après-midi…

 

Révision: Mathieu Lauzon-Dicso