La revue Solaris est sans aucun doute la plus ancienne magazine de SF/F au Québec. Sa longévité m’a rendu curieuse de passer en revue les quatre numéros publiés l’année dernière. L’édition du printemps 2022 vient tout juste de sortir, mais il n’y aura pas de divulgations pour cela, donc vous devez acheter une copie pour voir la qualité vous-même.

Printemps 2021 (N° 218)

Ce numéro était centré sur l’idée de distorsion — du temps, de l’espace, mais également des personnages de ces histoires.

Mon histoire préférée de ce numéro était « La Distorsion de Lebarne » par Dave Côté. Cette histoire suit un mage noir qui se joint à un groupe d’aventuriers qui pénètrent dans la « zone de distorsion », où un héros a emprisonné un démon qui a maudit la terre dans sa colère d’être emprisonné. Cette histoire pourrait être perçue comme une histoire de trahison, mais l’auteur décide plutôt d’exacerber l’ignorance et l’insensibilité des héros, ces derniers étant inconscient du secret que renferme la zone de distorsion.

Une autre histoire intéressante est « Fermer le Big Bang » de Michelle Laframboise. L’histoire se déroule dans le Big Bang, un bar pouvant causer des distorsions dans l’espace-temps au moyen d’un trou noir. Un tel bar de grande classe n’est accessible qu’aux riches, et l’histoire est centrée sur un banquier milliardaire qui loue le bar pour regarder une planète exploser. Le personnage principal de l’histoire était, très franchement, un horrible oligarque, mais j’ai trouvé son châtiment satisfaisant.

Solaris présente également un segment d’articles, Les Carnets du Futurible, dans lequel Mario Tessier aborde la représentation de différents sujets scientifiques dans les médias SF. L’un des articles pour ce numéro, « Le Cosmos intérieur », a été un grand succès à cet égard. J’ai vraiment aimé en apprendre davantage sur l’histoire des planetariums, et sur la façon dont ils ont été représentés dans la science-fiction.

Compte tenu du sentiment de distorsion continu provoqué par la pandémie, j’ai trouvé que ce thème résonne toujours avec moi un an plus tard. Après la lecture de plusieurs numéros, j’ai remarqué que la fiction dans Solaris est constitué de nouvelles courtes, avec cinq nouvelles ou plus. Il n’y avait que seulement quatre histoires dans cette édition du magazine, mais j’ai trouvé que Solaris en avait choisi d’excellentes. Les auteurs ont vraiment pu développer leurs univers dans les pages supplémentaires, et j’ai aimé voir les variations sur un thème concret.

Été 2021 (N° 219)

Se basant sur la non-linéarité du temps, les histoires de cette collection étaient difficiles mais stimulantes à lire, ces dernières sachant rompre avec le cours normal du temps de manière fort intéressante.

Un des coups de ce numéro est les histoires courtes gagnantes du concours d’écriture « sur-place » du Congrès Boréal. Dans ce concours, les écrivains reçoivent une photo et ont une heure pour produire une histoire courte évoquée par l’image en question. Les histoires créées par les deux gagnants, Hugues Morin et Martine Bourque, sont bien différentes. Morin a opté pour une histoire de science-fiction avec un narrateur nonfiable qui perd tout sens du temps dans un trou noir, tandis que Bourque a écrit une histoire fantastique sur la nécromancie. Toutes les deux histoires sont vraiment bien construites, mais leur contraste les rend encore plus intéressantes.

Mon histoire préférée de ce numéro est « Ulann » d’Andréa Renaud-Simard, une histoire fantasy dans laquelle une race de créatures télépathiques, partisans d’un mouvement religieux, rendent les gens comateux afin que ces derniers puissent vivre avec leur Dieu dans son royaume des rêves. De nombreux archétypes — le prêtre vigilant, le Dieu endormi et les acolytes gentils et fidèles — sont réinventés. Renaud-Simard souligne les aspects divisés et fortement genrés de cet ordre religieux. J’ai fortement apprécié la façon dont Renaud-Simard joue avec le temps à l’intermède des acolytes s’aventurant mentalement dans le passé et dans l’avenir.

Automne 2021 (N° 220)

Dépourvu d’une thématique bien définie comme les autres numéros, que j’ai trouvé un peu décevant, la collection compense toutefois cette lacune avec la qualité de ses histoires. Impliquant des contributeurs de premier plan tels que Dave Côté et Jean-Louis Trudel, les histoires sont fascinantes et j’ai pu m’adapter rapidement au ton différent de chaque histoire.

Trudel et Côté ouvrent le numéro avec deux excellentes nouvelles, une histoire environnementale d’espoirpunk et une histoire science fiction mystérieuse respectivement. Mon histoire préférée de ce numéro est « Le Carousel » par Orson Scott Card. Card, l’auteur d’Ender’s Game, s’aventure dans les domaines du fantastique et du spirituel avec cette histoire fascinante. Après avoir écouté toutes les prières de l’humanité, Dieu a décidé de résoudre le problème de la mort en instituant la résurrection. Cependant, cela signifie que tout le monde, des âges passés aux décès actuels, est ressuscité en même temps, ce qui entraîne la surpopulation.

Les morts reviennent en tant que jeunes adultes, quel que soit leur âge au moment du décès. Cette immortalité est cependant loin d’être parfaite. Les morts sont également incapables de ressentir des émotions fortes ou les plaisirs physiques de la vie; même manger est impossible. L’histoire suit Cyril, un homme dont la conjointe meurt dans un accident de voiture et revient à la vie. Cependant, leur relation est beaucoup plus tendue qu’auparavant, car elle se concentre désormais uniquement à tuer ses enfants pour qu’ils puissent la rejoindre dans la vie après la mort. Malgré quelques éléments d’horreur, l’accent principal est sur la lutte de Cyril pour faire face à sa perte alors qu’il peut sembler qu’il n’a rien perdu, et sur l’impacte de vivre avec une personne décédée. L’aspect méta introduit par Card dans cette histoire est captivant. Cette histoire était certainement le point culminant de ce numéro, et peut-être la meilleure de tous ces numéros.

La section Conférences à la fin du magazine, dans laquelle divers auteurs passent en revue des livres d’une manière similaire à certains articles d’ImaginAtlas, fût vraiment agréable à lire. Quelques-unes des livres ont été couverts dans notre blogue, par exemple Wapke, mais d’autres, comme la critique écrite par Philippe Aubert-Côté sur L’Horreur de Kill Creek de Scott Thomas sont informatives. Il y a aussi une critique de Comment écrire de la fiction? par Davoust, qui montre que Solaris connaît bien son lectorat.

Hiver 2022 (n°221)

Comme le numéro précédent, ce numéro n’avait pas un thème cohérent. La seule connection que j’ai remarqué entre les histoires est que presque toutes étaient divisées en sections, peu importe si elles sont racontées dans une perspective unique ou multiple. Ces sauts mènent au sentiment que la collection est un peu fracturée, ce qui est peut-être une réflexion de l’actualité courante.

Mon histoire préférée est « Point amphidromique », née d’une collaboration entre Ariane Gélinas et Loïc Henry. Cette histoire alterne entre le point de vue d’une jeune femme de notre monde et celui d’un jeune amphibien extraterrestre. Alors que la femme navigue plus près d’un point amphidromique, les astres s’alignent métaphoriquement, et une étrange rencontre a lieu. J’ai vraiment apprécié l’ambiance de cette histoire. La façon dont Gélinas et Loïc construisent la vie de ces personnages, en alternant leurs points de vue, évoque un va-et-vient de marée, malgré que le point amphidromique soit un endroit dans l’océan où les marées sont quasi inexistantes.

Il y a aussi un parallèle intéressant entre quelques-unes des histoires courtes, qui étaient fortement axées sur l’environnement et l’ambiance, et la section de Lectures. Plusieurs livres tels que Viendra le temps du feu de Wendy Delorme, Oxygen de Johanna Marines et Le Grand Abandon de Cory Doctorow commentent sur le changement climatique, se déroulant dans des mondes dystopiques ravagés par la pollution. C’est intéressant de lire certaines des courtes fictions, où les personnages s’intègrent de manière si transparente dans leur environnement, pour ensuite passer à un monde totalement détruit par les humains.

Dans l’ensemble, Solaris continue à publier d’excellentes histoires imaginaires francophones. Compte tenu du chaos de la réalité récente, il est impressionnant que Solaris ait pu organiser et publier son magazine à temps. Au cours de l’année, il y a eu une grande diversité dans les formes et les genres des histoires, et je suis sûre qu’il y a des lecteurs qui ont adoré chaque histoire, même celles que je n’ai pas aimé. Chaque numéro compte plus de 150 pages, fournissant beaucoup de contenu original et des critiques d’autres créations de littérature spéculative actuelles. Les éditions papier coûtent 14$ et une copie électronique seulement 8$. Donc, je vous recommande fortement d’acheter le prochain numéro de Solaris et d’y jeter un coup d’œil vous-même!