Par Amalia Greve Danielsen
Dans le cadre du dossier Linguistik, des ailleurs qui (se) parlent, les apprentis rédacteurs de l’équipe des Horizons imaginaires s’intéressent à la science-fiction et au fantastique nous font voir d’un autre œil les langues et le langage en général. Or, pour cette entrevue, Amalia a souhaité échanger avec un auteur montréalais dont le métier de linguiste lui semblait avoir un certain impact sur l’écriture!
Voici donc cet entretien, avec Sylvain Neuvel, dont la trilogie The Themis Files (Del Rey) continue de faire beaucoup parler d’elle depuis la parution du premier tome en 2016! À savoir que les trois titres sont maintenant disponibles en français au Livre de Poche!
Amalia : Pour nos lecteurs qui vous découvrent peut-être et qui ne sauraient pas qu’en plus d’être un auteur de science-fiction, vous êtes aussi linguiste, pourriez-vous expliquer ce que vous faites comme métier(s)?
Sylvain : J’ai obtenu un doctorat en linguistique à l’Université de Chicago avant de me trouver un emploi comme linguiste informaticien à Montréal. J’ai travaillé sur des applications d’analyse de texte et de traduction assistée avant de me retrouver à la tête d’une agence de traduction. Depuis 2016, mes livres ont connu pas mal de succès et l’écriture prend maintenant presque la totalité de mon temps.
Amalia : Comment décririez-vous votre trilogie à succès The Themis Files? Qu’est-ce qui vous a poussé à la mettre sur papier?
Sylvain : Tout a commencé avec mon fils. Il avait deux ans et demi. Je voulais lui construire un robot jouet, mais au lieu de dire oui, il s’est mis à poser plein de questions : quelle sorte de robot? Est-ce qu’il vole? etc. Il voulait une histoire pour aller avec son robot. Quelques jours plus tard, en écoutant Goldorak avec lui, je me suis demandé ce qui se passerait si on découvrait vraiment des artefacts laissés sur terre il y a des milliers d’années par une civilisation inconnue. Ma première réaction a été qu’on n’en saurait rien. L’information serait gardée secrète et seulement une poignée de personnes seraient au courant. Mais un projet top-secret comme celui-ci laisserait une trace : des rapports, des débriefings. J’ai eu l’idée d’écrire cette trace et d’en faire un livre.
Amalia : Depuis quand vous intéressez-vous aux genres de l’imaginaire? Est-ce que cette passion pour la SFF entre en compétition avec celle que vous avez pour la linguistique?
Sylvain : Mon premier souvenir au cinéma est Rencontres du troisième type. J’avais 4 ans. Je me souviens aussi d’avoir reçu les figurines de R2-D2 et C-3P0 pour Noël alors que j’étais malade. J’avais à peu près le même âge. La SF me suit depuis que je suis tout petit. J’ai aussi toujours eu une passion pour la langue, mais ce n’est pas une compétition. Je crois qu’on peut se passionner pour autant de choses qu’on veut.
Amalia : Comme vous le mentionniez, une particularité des romans de votre trilogie est qu’ils sont exclusivement racontés sous forme de dialogues, d’entrevues et de journaux audio. Pourquoi avez-vous opté pour cette forme d’écriture plutôt qu’une narration plus traditionnelle?
Sylvain : Le dialogue est une des formes narratives les plus objectives. On doit deviner ce qui se passe dans la tête des personnages avec comme seul indice ce qu’ils disent, ou ne disent pas. Comme lecteur, j’aime bien qu’on me fasse confiance, qu’on me laisse découvrir des choses par moi-même. Je voulais la même chose pour mes lecteurs, faire appel à leur intelligence.
Amalia : Pendant ma lecture de vos romans, j’ai remarqué quelques similarités entre vous et le personnage de Vincent Couture : vous êtes tous les deux des linguistes québécois et vous travaillez dans des milieux plutôt anglophones! Est-ce un simple fruit du hasard? Voyez-vous les langues de la même façon que Vincent? Comment votre approche de la linguistique diffère-t-elle de celle de Vincent?
Sylvain : Vincent et moi partageons beaucoup en termes d’expérience. Étrangement, il est le personnage le plus difficile à écrire pour moi. Nous ne voyons pas toujours les choses de la même manière, donc avec Kara, Rose et l’interviewer, ça coule beaucoup plus naturellement. Je ne sais pas si notre approche de la linguistique diffère vraiment. Je n’ai jamais eu la chance de me pencher sur des écrits extraterrestres.
Amalia : Vous êtes francophone, mais vous écrivez en anglais : est-ce que votre situation linguistique a un impact important sur votre travail de création? Y a-t-il une raison consciente qui explique pourquoi vous écrivez en anglais plutôt qu’en français?
Sylvain : On me pose souvent la question (au Québec). Je ne sais pas vraiment pourquoi j’écris ces romans en anglais. Je pense que ça a un lien avec la langue dans laquelle je consomme la science-fiction. J’écoute mes séries de SF préférées en anglais, même chose pour le cinéma. Je lis la SF dans sa langue originale, et on en produit beaucoup plus en anglais. Je pense que ça entre dans une langue et que ça veut sortir dans la même.
Amalia : Considérez-vous écrire en français un jour?
Sylvain : J’écris beaucoup en français, pour le travail comme pour le plaisir, mais la SF est en anglais dans mon cerveau. Je ne crois pas que j’aurais pu écrire ces livres en français.
Amalia : En plus de l’écriture de The Themis Files, vous faites aussi partie d’un trio d’auteurs, avec Cory Doctorow et Claire North, qui travaillait sur l’adaptation littéraire officielle de la fameuse série Black Mirror. Est-ce que créer une histoire qui se passe dans l’univers d’un autre créateur affecte votre style d’écriture, votre langue?
Sylvain : Malheureusement, ce projet a été mis de côté pour l’instant. Cela dit, ça a été une expérience fascinante. L’univers de Black Mirror est plus un ton, une perspective qu’un lieu et un groupe de personnages. Reproduire cette ambiance tout en restant fidèle à qui je suis comme auteur était un beau défi, et un exercice complètement différent que celle d’écrire une nouvelle pour Star Wars.
Amalia : Avez-vous d’autres projets d’écriture en cours? Peut-être un projet spécial mêlant votre métier de linguiste à celui d’auteur?
Sylvain : Je viens de terminer un roman qui est entre les mains de mon agent. J’ai un roman court en anglais qui parle d’un test de citoyenneté (un test des valeurs, comme dirait M. Legault). Celui-ci paraîtra en février, chez TOR. Côté linguistique, si vous n’avez pas encore lu le troisième tome des Themis Files, on y trouve plusieurs passages dans une langue inconnue. J’ai dû écrire une grammaire et créer un lexique pour que le tout reste cohérent. Ceux qui écoutent les livres en format audio pourront même m’entendre. J’ai prêté ma voix à deux personnages extraterrestres dans la version audio anglaise.
Superbe entrevue, Amalia! J’ai adoré les questions pertinentes et réfléchies, elles apportent une belle discussion qui porte à réfléchir et me donnent très hâte de découvrir la série Themis Files!