Boneset & Feathers est un roman dont le sens ne se dévoile qu’à la fin. Conçu par Gwendolyne Kiste, recevante du prix Bram Stoker entre autres, Boneset & Feathers est un sortilège terrifiant qui s’infiltre dans l’esprit des lecteur.rice.s dès les premières pages. Le ton de l’histoire, démontré à travers l’intrigue, se veut très clair. La protagoniste, Odette, est une sorcière accusée de tous les maux qui affligent le village d’où elle vient. Il s’y passe des tempêtes non de pluie, mais d’oiseaux qui s’écrasent et meurent au sol. Ces dernières ont commencé lorsque sa famille fût condamnée au bûcher. Par chance, Odette a pu s’enfuir et survivre aux horreurs qu’elle a vues et vécues. Toutefois, son absence du village est tout aussi compromettante que sa présence dans celui-ci. 

L’histoire d’Odette est celle d’une malédiction dont la libération requiert de grands changements, autant dans sa propre relation avec le deuil que celle avec les gens du village. Elle doit apprendre à extérioriser ce deuil alors qu’elle n’a que sa survie en tête, tâchant de laisser tout ce que sa mère, sorcière elle-même, lui a appris. Toutefois, la douleur et le chagrin de la perte de sa famille et de toutes les sorcières innocentes enterré.es dans le cimetière du village sont des poids trop lourds à porter seule.

© Léo Zaffran

Les mésaventures d’Odette sont horribles, car, s’agissant bien d’une fiction, elles sont toutefois nées d’événements et de souffrances bien réelles. Les chasses aux sorcières telles que celles dépeintes par les médias ont souvent des lacunes historiques. Ces chasses font plutôt partie d’un grand mouvement colonialiste, impérialiste, et invariablement racistes et antisémitiques. L’histoire d’Odette dans Boneset & Feathers n’aborde pas toutes ces facettes mais principalement les suivantes: les violences faites aux femmes et autres détenteur.ice.s de savoir illicites. Cette réduction dans les aspects abordés n’enlève rien au complexité du livre: Boneset & Feathers n’est pas intéressé par de simples réponses; la culpabilité et la responsabilité de tou.te.s sont questionnées et mises de l’avant. 

Le récit d’Odette est une quête pour se libérer d’un poids, d’un deuil qui lui a été injustement laissé par son village. Elle n’a ni ami.e, ni proche, ni allié.e pour l’aider à porter ce deuil. Pour Odette, faire confiance à d’autres personnes n’est qu’une autre façon pour elle de se retrouver seule au final. Elle sait que ceux qui l’entourent mourront plus tôt que plus tard.

Le récit progresse entièrement au travers des pensées d’Odette. Son point de vue est fondamentalement biaisé par les divers traumatismes qu’elle a subis par le passé. Cependant, la beauté de ce monde est invariablement claire et limpide, et même l’effrayante forêt proche du village, qui susurre à ses oreilles des paroles aussi douces que mensongères, est un lieu de puissance naturelle. La tombée des oiseaux est aussi légère et volatile que la première neige en hiver. Le paysage et les gens qui l’habitent sont empreints de beauté, malgré leur réticence envers Odette. Leurs menaces, mensonges et insultes mesquines ne les dépouillent pas de leur vitalité et de leur vigueur. Même les chasseurs de sorcières sont décrits avec une plume presque flatteuse. La beauté peut même découler de l’horreur qu’ils inspirent, bien que terrible. 

© Léo Zaffran

L’histoire prend son élan le plus violent lorsqu’un étranger se retrouve sur le chemin d’Odette lorsqu’elle retourne à sa cabine établie dans une partie sûre de la forêt. L’homme dit à Odette qu’il est perdu et demande le chemin vers le village le plus proche. Elle n’a que deux choix possibles, lui mentir et le faire se perdre dans la forêt, ce qui pourrait ameuter d’autres chasseurs, ou lui dire la vérité et inviter elle-même les chasseurs de sorcières dans son village. Dans un cas comme dans l’autre, Odette n’a pas de choix qui lui permet de se sauver elle et/ou les autres villageoi.se.s. Dans ces instants d’incertitude, Odette sent le feu qui l’habite s’embraser, décidant d’un choix pour elle.

Ce feu possède Odette et ses pensées, et le texte même. Le feu qui voulait la brûler au bûcher veut tout consumer, détruire tout sur son passage, aussi bien ceux qui l’a déclenché, les chasseurs de sorcières, que celle qui le maintient prisonnier, Odette. Cette rage enflammée revient toujours lors d’émotions fortes, jusqu’à ce qu’Odette s’évanouisse parfois.

Lorsque son histoire commence, Odette est dans une impasse à la fois dans sa relation avec les gens du village qu’avec soi-même. Sa magie est intrinsèque, aussi naturelle que sa respiration, et tout aussi nécessaire à sa survie. Cependant, sa magie est aussi maudite par la braise que les chasseurs de sorcières lui ont infligée. Le danger réside aussi bien en dehors d’elle-même qu’en dedans. Ce feu est synonyme de rage et de deuil, conférant à Odette un pouvoir incommensurable, mais qu’elle seule ne peut ni contrôler, ni l’utiliser sans se détruire elle-même. 

© Léo Zaffran

Son espoir se trouve dans ce qu’elle redoute le plus, un contact plus important et intime avec les gens de sa communauté. Son combat n’est pas juste contre les chasseurs, mais la complaisance apeurée qu’ils inspirent dans les villageois.e.s. Leur complaisance n’est qu’une façade, en soi, et Odette le sait. Le réel combat se trouve dans les relations qui ont été tailladées et ruinées par le feu de gens qui ne souhaitent que semer le chaos et la violence. Odette a vu ce que les chasseurs de sorcières ont semé; elle sait ce qui pourrait être leur récolte; et elle ne peut imaginer seule ce que pourrait être la semence pour un futur qui lui permettrait non seulement de survivre, mais de vivre.