par Ilinca Maria Cioaba

The Just City, de Jo Walton, est un roman de science-fiction qui explore la société utopique d’une ville construite sur les principes que Platon illustre dans son œuvre la plus connue, La République. Un des éléments les plus importants du livre est l’idéation utopique. En effet, le roman examine s’il est possible d’appliquer des concepts philosophiques utopiques à une société réelle. En présentant la construction de la Cité Juste, une idée que Platon a introduite dans sa République, ainsi que les problèmes qui surviennent, The Just City démontre qu’aucune philosophie, aussi belle soit-elle, ne peut être une fondation saine pour une vraie société.

Comme toute utopie, l’idée de la République est très attirante. Son but est la création d’une justice parfaite, non seulement dans une ville ou dans une société, mais aussi dans l’âme des citoyens. Dans The Just City, Athéna, la déesse grecque de la sagesse et de la guerre stratégique, décide d’essayer de créer la République de Platon. Pour réaliser son projet, elle transporte des hommes et des femmes adultes, ainsi que 10 080 enfants d’environ dix ans, sur une île ancienne et isolée. Les adultes serviront de maîtres aux enfants, qui seront élevés et éduqués selon les valeurs de la République. Plus tard, à leur tour, ils deviendront éventuellement les maîtres de la prochaine génération, et ainsi de suite. Tous les habitants de l’île sont tenus de suivre les lois décrites par Platon dans La République, et ils ne doivent rien remettre en question ni modifier quoi que ce soit.

© Ilinca Maria Cioaba

En théorie, la société de l’île semble bien fonctionner. Simmea, une jeune fille qui y a été amenée, est heureuse d’être dans la Cité, car elle reçoit une excellente éducation en plus d’être à l’abri de l’esclavagisme qui aurait autrement été son destin. Simmea déclare: « How could I not have been happy? I was in the Just City, and I was there to become my best self » (58). Contrairement à Simmea, d’autres jeunes ne sont pas contents de la vie dans la cité à cause des nombreuses restrictions qui leur sont imposées. Par exemple, les maîtres censurent tout ouvrage qui ne respecte pas la philosophie et la religion athéniennes, déterminant ce que les jeunes peuvent lire et à quel âge. Ces derniers n’ont même pas le droit de lire La République avant l’âge de 50 ans, même s’ils seront plus tard responsables de mener la Cité. Il devient rapidement évident que le système de pouvoir de la Cité est malsain, ce qui amène certains jeunes à se demander comment la Cité peut être réellement juste si sa structure se base sur l’ignorance de ses citoyens.

Un autre problème de la Cité est celui des festivals de Héra, des célébrations qui suivent la philosophie de Platon. Elles ont lieu trois fois par an et marient les jeunes pour une seule nuit, pendant laquelle ils doivent avoir des relations sexuelles afin de donner naissance à une nouvelle générations de citoyens. Ce système est inefficace, car il n’empêche pas les jeunes d’avoir des relations secrètes en dehors des festivals. Pytheas, qui est le dieu Apollo incarné dans un corps humain, critique fortement le système: « Practically nobody was comfortable with it, and almost everybody was violating it in a way or another. We had long-term couples, and dramatic breakups, and casual sex, and cautious dating. We just had it all in secret » (229). Il ajoute que suivre les idées de Platon sur ce sujet, tandis que celui-ci n’a jamais été marié et n’a pas eu d’enfants est une erreur : « We’ve established, I think, that what Plato knew about love and real people could have been written on a fingernail paring » (229). Ces festivals sont encore plus troublants étant donné que les jeunes sont parfois mariés à des étrangers, ou à des personnes avec qui ils ne s’entendent pas bien, ce qui la plupart du temps mène à des relations intimes gênantes, insatisfaisantes, et parfois même brutales. En effet, la négligence, voire le mépris que les maîtres  éprouvent envers les émotions et les besoins naturels des jeunes, dans l’esprit de Platon, créent des situations horribles qui les affectent de manières très négatives, physiquement et psychologiquement. Tout ceci est une raison principale qui amène finalement à la révolte des jeunes et à la destruction de la Cité.

Il est intéressant d’examiner comment l’histoire que Jo Walton présente peut être perçue comme une allégorie des troubles politiques qui ont historiquement été le résultat involontaire de différentes théories philosophiques. Par exemple, les révolutions et les systèmes communistes qui ont façonné la Russie et une grande partie de l’Europe de l’Est pendant le XXe siècle ont été basés sur et alimentés par le Manifeste du parti communiste, écrit par les philosophes allemands Karl Marx et Friedrich Engels. Les concepts d’égalité et de communauté promus dans le Manifeste sont très attirants. Cependant, quand plusieurs gouvernements ont essayé de les appliquer à de vraies sociétés humaines, le résultat a été désastreux, aboutissant à des dictatures injustes et abusives qui ont couté la vie à des millions de personnes. Pareillement, dans son livre, Jo Walton illustre que des idées utopistes ne peuvent pas s’appliquer concrètement à un niveau sociétal. En effet, l’histoire démontre que la création de La République de Platon est impossible. Ainsi, Jo Walton souligne comment les défauts naturels des créateurs d’une certaine philosophie se reflètent dans leur œuvre et, inévitablement, dans la société qui essaie de la suivre, donnant naissance à des situations qui peuvent violer la nature humaine.

© Ilinca Maria Cioaba