Par Razvan Banica

 

Les romans qui versent dans l’absurde? Pas mon type. Ceux-là, j’ai tendance à les trouver prétentieux, surtout lorsqu’ils proposent un résumé prometteur, mais qu’ils finissent par n’être que des concentrés d’ennui pur et dur s’étalant sur 250 pages. Disons que dans le domaine de la littérature, je suis plutôt un avide amateur de science-fiction et de fantasy; pour moi, l’absurde m’attire davantage au cinéma. D’ailleurs, j’adore les animés japonais comme Paprika de Satoshi Kon ou Angel’s Egg de Mamoru Oshii, deux films que je vous recommande sérieusement et qui jouent avec les codes du genre. Mais bien honnêtement, en lire? Non, merci… Pas depuis L’Écume des jours de Boris Vian, qui m’a donné une très mauvaise impression de ce que cette littérature pourrait avoir à proposer; le pianocktail est une des raisons pour lesquelles je me suis débarrassé de cette « horreur » (je n’aurai pas peur des mots…)! Bref, je ne sais pas trop ce qui m’a pris lorsque j’ai accepté de donner sa chance à Maître Glockenspiel, un roman de l’auteur Philippe Meilleur qui est paru en 2017 aux éditions VLB. Je dois vous avouer que, contre toute attente, j’ai été plaisamment surpris par cette lecture qui, vous l’aurez deviné, est franchement… absurde!

 

Avant de discuter du contenu du livre en soi et de partager mes impressions, je crois qu’il faut absolument que je m’attarde sur le titre lui-même : Maître Glockenspiel. En cherchant un peu, j’ai découvert qu’un glockenspiel est en fait un instrument constitué de lamelles métalliques, qui s’apparente au xylophone. Pourquoi l’auteur a-t-il opté pour ce mot? Mon hypothèse est que c’est une allusion au caractère du Maître, le chef suprême du pays innommé où se déroule l’histoire du livre. En effet, il s’agit d’une figure d’autorité bruyante, qui refuse d’être silencieuse, d’où le choix de l’auteur, j’imagine, de le baptiser « Glockenspiel ». Or, l’histoire ne se concentre pas autour de ce seul protagoniste, mais présente plutôt toute une galerie de personnages appartenant à diverses classes sociales. Chacun vit différentes péripéties qui convergent toutes pour ne former qu’une seule et grande conclusion. Ainsi, parmi ces autres personnages clés de l’intrigue, on trouve une jeune militaire lassée par son emploi, un artiste qui surestime de loin son talent, un ouvrier malmené par l’industriel pour qui il travaille, un homme d’affaires qui cherche à obtenir plus de pouvoir et une entité mystérieuse nommée « l’oracle ». Tous ces personnages diversifiés permettent de dresser le riche portrait d’un monde alternatif qui semble pourtant étrangement familier.

 

Crédit photo : Razvan Banica

 

Plus encore, Glockenspiel est un collectionneur d’armes nucléaires, dont la personnalité narcissique fait de lui l’empereur excentrique d’un état insolite, où la consistance des discours politiques est réduite à celle des matchs de lutte : casser la gueule à ses opposants y est plus profitable qu’échanger des idées. La situation est encore pire lorsqu’on réalise que, dans ce pays, les ouvriers sont exploités à la sueur de leur front, et que l’élite dégénérée est déconnectée du reste de la population. Quelle surprise! Finalement, le monde que l’auteur nous amène à découvrir est en fait une version, certes hyperbolique, du nôtre, une sorte de dystopie où les raisonnements absurdes et l’illogisme sont rois. Peut-être est-ce la vision que l’auteur a du monde contemporain?

 

Maintenant, si je devais choisir une seule raison pour laquelle j’ai aimé ce roman et, plus généralement, pour laquelle je donnerai à nouveau leur chance à d’autres romans absurdes, c’est la capacité qu’a eue Maître Glockenspiel à me faire réfléchir à ma propre vision du monde contemporain, voire à le repenser. Des événements insolites, qu’on pourrait facilement qualifier d’« absurdes », se déroulent un peu partout, chaque jour, et ici, je parle du monde réel… Après un moment, tout cela nous apparaît banal, normal : c’est qu’à force d’en être témoins quotidiennement, on oublie que l’irrationnel et l’exceptionnel ne sont pas censés être habituels. Sauf qu’un roman comme Maître Glockenspiel m’a permis de jeter un regard nouveau sur le monde qui m’entoure, en m’aidant à réaliser que l’absurdité présente dans la fiction est aussi là dans la réalité, que ce qui semble si saugrenu dans le livre est, en fait, en train d’avoir lieu pour vrai! J’avoue que j’éprouve parfois un peu de difficulté à me concentrer sur un texte. Dès que je tourne une page, je commence à penser à d’autres choses, à des concepts variés qui ne sont pas toujours reliés au propos que je viens de lire. Par contre, j’ai senti que Maître Glockenspiel est un roman habilement conçu, puisqu’il a réussi à garder mon attention sur l’histoire, tout en me permettant de réfléchir à ces choses qui ont surgi dans mon esprit au détour d’une phrase.

 

Crédit photo : Razvan Banica

 

Conclusion : Maître Glockenspiel est un de ces romans nécessaires, une sorte de conte des temps modernes, qui mérite le prix Robert-Cliche du premier roman qu’il a reçu en 2017, et qui, à mon avis, a droit à plus encore! Je comprends que l’absurde ne convient pas à tout le monde; après tout, j’aurais moi-même juré détester le genre avant d’avoir lu ce livre. Mais malgré mes réserves du début, je crois sincèrement que Maître Glockenspiel vaut plus qu’un simple coup d’œil, et certainement davantage qu’un bref coup de cloche.

 

Révision : Francesca Robitaille et Mathieu Lauzon-Dicso