Par Daphnée Lopresti et Sabina Roman

 

Dans ce troisième volet de nos entrevues avec des auteurs qui ont côtoyé Joël Champetier, nous nous entretenons avec Frédérick Durand, auteur et enseignant. Il nous fait part, entre autres, de la patience que Joël avait pour les auteurs débutants et de l’aide constructive qu’il leur apportait.

 

Il nous partage également plusieurs de ses coups de cœur dans la bibliographie de Champetier, espérant ainsi ouvrir les portes de ces univers à de nouveaux lecteurs pour que les personnages et les aventures qu’ils abritent continuent de rayonner. Les rédacteurs des Horizons imaginaires ont d’ailleurs eu la chance de lire certains de ces romans et de s’imprégner des univers incroyables de Joël Champetier. Nous vous conseillons fortement d’explorer le dossier-hommage en entier pour les découvrir!

 

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots pour ceux et celles qui, parmi nos lecteurs, ne vous connaissent pas déjà?

 

Bonjour! Je m’appelle Frédérick Durand. Je suis enseignant au collégial et auteur. J’ai publié des livres dans différents genres, par exemple le fantastique, le roman historique, la poésie, la littérature générale et le thriller.

 

Crédit photo : Ariane Gélinas

 

Dans quel contexte avez-vous rencontré Joël Champetier la première fois?

 

J’ai connu Joël parce qu’il était le directeur littéraire de la revue Solaris. À l’époque (au courant des années 1990), j’étais un auteur débutant et je lui soumettais des nouvelles de temps à autre. J’ai aussi été chroniqueur cinéma pour Solaris pendant un moment, et là encore, c’était Joël qui supervisait mon travail.

 

Comment décririez-vous l’influence de Joël Champetier sur le milieu littéraire québécois? On nous parle souvent de sa grande générosité et de son ouverture envers les jeunes auteurs; en quoi cela a-t-il contribué à l’essor de la littérature d’ici?

 

Joël a compté pour beaucoup d’auteurs émergents qui se sont peu à peu professionnalisés, notamment grâce à lui. D’une constance exemplaire, il était incroyablement persévérant, si l’on songe au travail colossal que représentaient ses fonctions dans la revue Solaris, auxquelles s’ajoutaient son métier d’écrivain et les activités qui s’y rattachaient, sa vie personnelle, riche de ses nombreuses amitiés, et sa complicité avec sa compagne, Valérie, de même que son implication dans le milieu des littératures de l’imaginaire québécois.

 

Chaque discussion avec Joël me permettait de mesurer son humilité et son humanité – à titre d’exemple, lorsqu’il me parlait des lettres qu’il écrivait aux aspirants auteurs qui désiraient publier dans Solaris. Il lui était évidemment impossible d’accepter tout ce qui lui était soumis. Joël craignait toujours que ses refus soient reçus avec tristesse ou découragement. Il consacrait donc beaucoup de temps à rédiger des réponses personnalisées, dans lesquelles il souhaitait demeurer positif et constructif. C’était un mandat exigeant, qu’il avait choisi de s’imposer là où la plupart se seraient contentés d’envoyer une lettre type sans plus d’arrière-pensées.

 

Il ne faut pas l’oublier, les revues littéraires sont de formidables viviers qui servent entre autres à faire éclore de nouveaux talents. Quoi de mieux, pour un auteur débutant, que de faire ses premières armes grâce au format court? Au lieu de s’attaquer tout de suite à un long roman, on peut d’abord apprendre à maîtriser certaines techniques narratives à plus petite échelle. Un refus s’avère en outre moins difficile à recevoir, dans la mesure où écrire une nouvelle exige moins de temps, d’investissement et d’énergie qu’un roman. Les auteurs débutants ont besoin de conseils et d’encouragements. Un directeur littéraire bienveillant comme Joël peut donc jouer un rôle majeur dans une jeune vocation artistique.

 

Joël défendait aussi la diversité : à l’occasion d’un Congrès Boréal, il me confiait qu’il voulait que les textes retenus dans Solaristémoignent d’une saine variété, tant dans les genres représentés que dans les approches (humoristique, dramatique, en langue soutenue ou plus orale, etc.).

 

Plus personnellement, de quelle façon avez-vous eu l’opportunité de travailler avec Joël Champetier? Ses idées, son style ou sa chaleur vous ont-ils déjà influencé d’une façon ou d’une autre?

 

Joël s’est chargé de la direction littéraire de toutes les nouvelles que j’ai publiées dans Solaris, à l’exception des deux premières, pour lesquelles l’écrivain Yves Meynard a accompli cette tâche. Je saisis cette occasion pour souligner la patience et la générosité qui furent celles d’Yves Meynard à mon endroit. Yves fut directeur littéraire de Solaris et de divers collectifs. La patience et la méticulosité de Joël, Yves les a aussi toujours démontrées, et je lui en suis reconnaissant.

 

Pour en revenir à Joël, il travaillait dans le respect des textes retenus. Il était méthodique et structuré, clair et précis dans ses suggestions. Celles-ci étaient présentées de manière courtoise et constructive.

 

Quand j’ai été appelé à faire de la direction littéraire, par exemple dans le cadre de cours donnés au collégial, j’ai désiré manifester cette diplomatie, cette minutie et cette précision que j’avais appréciées.

 

En ce qui concerne les idées et le style de Joël, j’aimais sa polyvalence (nouvelliste, romancier dans plusieurs genres littéraires, scénariste, rédacteur en chef, critique…). C’était un conteur de talent. Moi qui ne suis pas très amateur de fantasy, j’ai été curieux de voir ce que Joël avait écrit dans le genre, après avoir lu ses romans fantastiques de qualité (La Mémoire du lac, La peau blanche et mon préféré des trois : L’Aile du papillon, où il pousse l’imagination très loin, en plus d’offrir plusieurs niveaux de lecture).

 

Ce qui avait aussi piqué ma curiosité à propos de son roman de fantasy Le voleur des steppes, c’était une discussion que j’avais eue lors de l’inauguration de la librairie/bar à vin « De la coupe au livre », à Trois-Rivières. Joël avait évoqué un gros roman de fantasy sur lequel il travaillait, son livre le plus volumineux jusqu’à présent. Quand l’ouvrage parut, j’ai constaté ses dimensions plus que respectables.

 

Après avoir lu Le voleur des steppes, je compris à quel point ce roman avait dû nécessiter un travail imposant, des recherches et une planification rigoureuse. Le résultat est là : c’est un livre dépaysant, vif, vivant, écrit dans un style recherché (chapeau pour la précision constante du vocabulaire), qui sait à la fois être drôle, prenant, dramatique, inventif…

 

Bref, Joël appliquait à sa pratique d’écriture ce qu’il exigeait des autres.

 

Crédit photo : Ariane Gélinas

 

Laquelle des qualités de Joël Champetier devrait-on le plus se rappeler et perpétuer dans la prochaine génération d’auteurs, selon vous?

 

 

Laquelle? Son humanité, sans doute, qui résume tout le reste, car elle englobe sa générosité, son sens de l’humour et de l’observation, sa patience, son humilité… En écrivant ces lignes, je me remémore les moments où Joël venait me voir dans les salons du livre. J’étais toujours ravi de le voir arriver et de discuter avec lui. Ces moments-là me manquent…

 

Je me rappelle l’avoir reconduit chez lui, pendant l’automne 2014, après un séjour à l’hôpital. Il était très fatigué, et des maux de cœur lui rendaient le parcours en voiture difficile. On sait à quel point la maladie peut centrer une personne sur elle-même, tant elle gruge tout et ramène souvent un individu à ses seuls problèmes. Mais ce n’était pas le cas de Joël : pendant le trajet, il s’excusait parce que sa conversation n’était pas aussi soutenue qu’il l’aurait voulu! Un peu plus tard, il me demanda s’il m’avait répondu à propos d’une nouvelle que je lui avais envoyée voilà quelques mois. Je lui avais dit que ça pouvait attendre, que rien ne pressait. Je m’étonnais que, dans un tel contexte, il puisse se préoccuper de mes histoires alors que tout aurait dû le faire songer à ses problèmes de santé.

 

Il s’était alors excusé de son retard. Je lui avais répété que rien ne pressait. Malgré cela, une semaine ou deux plus tard, il me donnait son verdict à propos de ce texte. En y repensant aujourd’hui, je demeure encore surpris de cette générosité, qui en dit long sur l’être humain qu’il fut. Il prenait tellement ce rôle à cœur que nous l’avions vu, ma compagne (Ariane Gélinas) et moi, lire et commenter les écrits de jeunes auteurs sur son lit d’hôpital, à l’aide de son ordinateur portable. Nous lui recommandions de se reposer, et il nous répondait, non sans humour, que ce travail le divertissait!

 

Cette générosité, j’ai eu l’occasion de la voir se manifester sous des formes aussi nombreuses que différentes au fil des années. Lors de la fête annuelle qu’il organisait chez lui à la fin de l’été (et qui demandait beaucoup de soin et du temps), il était non seulement l’hôte, mais aussi le cuisinier désigné, toujours souriant, sachant trouver un bon mot pour chaque invité, avec simplicité, sans complications ni protocole.

 

Pour aider un auteur, il avait également effectué une direction littéraire en direct pendant l’une de ses séances de signature au Salon du livre de Québec, ce dont j’ai été le témoin. Il avait aussi accepté de rencontrer des étudiants d’Arts et Lettres à qui j’enseignais, partageant son expérience et prolongeant l’activité devant l’intérêt que manifestait son public, modeste malgré ses accomplissements et en dépit de la gêne qu’il me confessait ressentir quand il devait s’adresser à un vaste auditoire – gêne impossible à détecter, d’ailleurs.

 

De quelle façon, d’après vous, l’héritage littéraire de Joël Champetier rayonne-t-il le mieux actuellement? Y aurait-il quelque chose à faire pour que son rayonnement persiste dans le futur?

 

Le souvenir de Joël persiste bien sûr chez ceux et celles qui l’ont connu, mais également dans la mémoire de ses lecteurs et même de toutes les personnes qui ont vu le film tiré de l’un de ses romans : La peau blanche (lequel fut doublé en anglais et exporté un peu partout. Joël en possédait un DVD japonais ou thaïlandais, je ne me souviens plus exactement, mais c’était une curiosité qui l’amusait à juste titre). N’oublions pas l’influence qu’il a eue et qu’il continuera d’avoir sur bon nombre d’auteurs.

 

En ce qui a trait à son rayonnement futur, on peut mentionner le prix Joël-Champetier, lequel en est actuellement à sa troisième édition. Ce prix s’adresse aux auteurs de nouvelles non canadiens qui écrivent en français, dans les domaines de la science-fiction, du fantastique et de la fantasy.

 

Il y a aussi cet hommage que vous lui rendez en ce moment grâce à votre dossier, et la soirée que Mathieu Lauzon-Dicso a coorganisée avec l’équipe du Prix Hommage visionnaire et la Librairie de Verdun, en l’honneur des univers créés par Joël.

 

Lire ses livres et faire perdurer son imaginaire, les faire découvrir à nos proches, voilà sans doute l’un des plus beaux hommages qu’on puisse lui rendre – hommage qui se fait avec plaisir, tant Joël était un narrateur de talent.

 

J’aime croire qu’il arpente maintenant son imaginaire, et qu’il garde ce sourire qui était sien, maintenant délivré des peines et des souffrances de la maladie qui a hélas marqué la fin de sa vie.

 

Quelle œuvre de Joël Champetier recommanderiez-vous le plus à un nouveau lecteur, en particulier à un cégépien?

 

Mes affinités personnelles vont à L’Aile du papillon, car c’est son ouvrage le plus baroque, le plus étrange et le plus dérangeant. Son dernier ouvrage, RESET — Le voile de lumière, est un bon récit de science-fiction qui peut plaire à ceux dont ce n’est pas le genre de prédilection, car il s’agit aussi d’un roman d’aventures.La Mémoire du lac est un thriller fantastique bien mené, situé dans un coin de pays qui n’est pas souvent abordé en littérature : l’Abitibi-Témiscamingue. Joël possédait un talent de conteur; il voulait écrire des livres de qualité, agréables et divertissants. À bien y penser, on peut recommander à peu près tout ce qu’il a écrit!

 

Révision : Mathieu Lauzon-Dicso