Par Sylvain Liu

 

Tels sont les mots d’avertissement qu’Edith Cushing, jeune Américaine de dix ans, reçoit du fantôme difforme et lugubre de sa défunte mère. La fillette choisit pourtant d’ignorer cet avertissement venu de l’au-delà. Les années s’écoulent, et à l’âge de vingt-quatre ans, Edith fait la connaissance du baronnet Thomas Sharpe et de sa soeur Lucille, d’étranges individus qui descendent d’une famille de nobles anglais. Nonobstant le passé nébuleux des deux aristocrates, Edith tombe sous le charme de Thomas, malgré la fervente opposition que son père voue à cette relation. Mais celui-ci est assassiné dans des circonstances plus que troublantes, et Edith, éplorée, épouse Thomas et le suit en Angleterre, dans le manoir ancestral de la famille Sharpe. Or, elle se rend bientôt compte qu’Allerdale Hall est loin d’être une demeure accueillante confortable : le plafond est en partie effondré et de froides rafales s’y engouffrent par un trou béant ; les murs suintent d’une glaise rouge sang ; et pires que tout, des fantômes hantent la demeure, y promènent leurs ombres et y font résonner leurs sanglots à glacer le sang. Allerdale Hall semble être le tombeau d’un lourd secret qui pèse sur la famille Sharpe. Ce n’est qu’au moment où Edith apprend que la colline sur laquelle se dresse le manoir des Sharpe est surnommée « Crimson Peak », soit « colline écarlate », qu’elle se rappelle l’avertissement de sa mère. Malheureusement, il est déjà trop tard…

 

Une combinaison parfaite d’horreur, de passion amoureuse et de romance gothique, voilà l’exploit qu’a réussi le réalisateur Guillermo Del Toro dans son film Crimson Peak, sorti en 2015. J’avoue que j’avais pourtant commencé le visionnement du film avec un a priori plutôt négatif : je m’attendais à ce que le film repose en grande partie sur les effets visuels et sur les « jump scares », comme le font beaucoup d’autres films pour créer une ambiance horrifique, au profit d’une intrigue que je prévoyais être peu élaborée. J’avais tort, heureusement ! Conformes aux conventions de l’horreur gothique, les fantômes dans Crimson Peak ne sont pas la principale source d’épouvante et ils n’entrent pas en confrontation directe avec Edith, le personnage principal, comme j’ai eu l’habitude de le voir dans la plupart des films d’horreur que j’ai vus (Ringu ou Ouija, par exemple). Ils servent plutôt à dépeindre la folie et l’irrationalité de l’être humain et remplissent avec succès un rôle métaphorique qui permet le dévoilement des sombres secrets de la famille Sharpe. Outre les fantômes, le film met en scène une belle panoplie d’allégories subtiles, où les techniques visuels renforcent les qualités de l’histoire : des papillons de nuit voltigent dans le grenier d’Allerdale Hall et symbolisent le passé atroce et douloureux de Lucille Sharpe, le vent siffle à travers la maison et devient les plaintes des âmes errantes qui n’attendent que d’être vengées, de la glaise rouge sang monte à la surface du sol par les fissures du plancher et des murs pour évoquer les crimes inhumains commis par les membres de la famille Sharpe… Voyant tout cela, j’ai été sincèrement impressionné par la richesse symbolique du film et par la liberté qu’il laisse à ses spectateurs d’interpréter son subtil langage.

Affiche promotionnelle du film – Crédit : Guillermo del Toro

Un autre aspect du film qui m’a fasciné est la performance des acteurs. Le talent de Mia Wasikowska, l’actrice qui joue le rôle d’Edith Cushing, contribue indubitablement à la réussite du film. Le personnage d’Edith est celui d’une femme audacieuse, qui n’a pas froid aux yeux et qui est décidée à découvrir le secret qui plane sur Allerdale Hall. Ne se laissant pas dominer par la peur, elle s’aventure dans les chambres les plus reculées du manoir afin de percer le mystère du passé des Sharpe. Mia Wasikowska a su interpréter son personnage avec brio, en sachant bien comment la faire évoluer dans l’ambiance lugubre du film. J’ai cru à son jeu et j’ai donc pu apprécier l’intrigue, qui s’est dévoilée de façon naturelle et attirante. Quant à l’acteur Tom Hiddleston, qui joue le rôle du baronnet Thomas Sharpe, je peux dire que sa performance est aussi remarquable que celle de Wasikowska. Le personnage joué par Hiddleston est sans doute celui qui m’a le plus intéressé dans le film. Thomas Sharpe est un gentleman anglais dont les allures de noble laissent entrevoir une passion pour l’amour, un coeur malgré tout affectueux et une lutte entre un homme et son passé, entre son désir de vivre un réel amour en toute liberté et les scrupules pour ce qu’il a pu commettre. De la performance de Hiddleston naît un personnage hybride entre Sherlock Holmes et Roméo, à la fois sinistre et brûlant d’une passion amoureuse. Et que dire de l’actrice Jessica Chastain, qui incarne Lucille Sharpe, la soeur démente de Thomas ! Jouer le personnage de Lucille a été un défi extrême pour Chastain, car non seulement elle a dû se mettre dans la peau d’une femme cruelle et instable – avant certaines scènes où son personnage est particulièrement dément, l’actrice s’obligeait à boire plusieurs tasses d’espresso ! -, elle a aussi dû apprendre à parler avec un accent britannique et à jouer du piano !

 

Une intrigue élaborée, un cadre symbolique qui laisse peu à peu entrevoir un terrible secret, une époustouflante interprétation de la part des acteurs principaux, voilà ce qui fait de Crimson Peak un film d’horreur hors du commun. Riche en sensations fortes et en actions, Crimson Peak est un film que je recommande fortement à ceux et celles qui sont avides de frissons.