Par Tiffany Qian

 

Afin de bien asseoir le tout premier dossier thématique de la revue des Horizons imaginaires, un dossier qui traite des liens entre les cultures de l’imaginaire et le monde étrange de l’école, nous avons interviewé neuf auteurs de science-fiction et de fantastique du Québec et de France, qui ont gracieusement accepté de répondre à nos questions. Évidemment, il ne s’agit pas de neuf choix aléatoires, puisque tous ces écrivains pratiquent le métier d’enseignant ou l’ont pratiqué pendant un certain moment ! Et ils ont beaucoup à nous dire de la position ambivalente qu’ils occupent…

 

Horizons imaginaires : Comment vous présenteriez-vous à nos lecteurs en tant qu’auteure et en tant qu’enseignante ?

 

Sylvie Bérard : Je fais tout avec passion et je suis à peu près la même personne dans toutes mes vies parallèles (qui, du coup, ne sont pas du tout parallèles, mais se croisent constamment). En tant qu’auteure, j’écris des récits, poèmes, textes en tout genre sur des sujets qui m’habitent : les rapports humains (même quand il s’agit d’extraterrestres!), entre individus de différents genres, entre diverses cultures, l’identité, les arts, la littérature. J’aime présenter ces thèmes dans des fictions dynamiques et ouvertes, qui amènent le lecteur et la lectrice à interagir avec le texte, à continuer de réfléchir une fois le livre refermé ; qui ne leur donnent pas des réponses toutes faites. J’espère aussi être ce genre d’enseignante : donner à mes étudiants et à mes étudiantes des outils importants pour que le cours se prolonge au-delà de la salle de classe. J’écris parce que je me questionne sur la vie, le monde, et j’enseigne aussi parce que je n’ai pas toutes les réponses ! Vous savez, j’apprends aussi beaucoup en classe.

Crédit photo : Sylvie Bérard

Horizons imaginaires : D’après vous, laquelle de vos deux positions – auteure ou enseignante – est la plus pédagogique ? Laquelle vous amène le plus à instruire ?

 

Sylvie Bérard : Les deux ! Vraiment, j’aurais du mal à choisir. En en même temps aucune, parce que je ne vois pas exactement l’écriture ou l’enseignement comme des fonctions pédagogiques. Bien sûr, il faut savoir bien construire un livre ou un cours pour qu’ils soient intelligibles pour le lectorat ou le groupe. Il faut organiser sa pensée. Il faut communiquer ses idées. Mais je pense que la meilleure façon d’enseigner et d’apprendre passe par le dialogue. En classe, au-delà des notions de base qu’il faut transmettre pour être bien certain que tout le monde parle de la même chose, l’apprentissage passe selon moi par l’interaction : entre la personne qui apprend et son sujet, entre la prof et l’étudiant ou l’étudiante, mais aussi entre les étudiants et étudiantes. J’aime beaucoup quand, en classe, les membres du groupe s’enseignent des choses entre eux aussi ! Et cette question est très intéressante, parce que je me rends compte que c’est aussi ainsi que j’aborde l’écriture : en lançant la discussion.

 

Horizons imaginaires : Diriez-vous que les thèmes de l’école et du scolaire en général ont une présence marquante dans les littératures de l’imaginaire ?

 

Sylvie Bérard : Je dirais qu’ils ont en effet une grande place. Nombreux sont les textes qui sont des récits d’apprentissage et nous font donc découvrir le monde de science-fiction ou de fantasy en même temps que le personnage qui y grandit. Pensez aux textes d’Élisabeth Vonarburg, d’Ariane Gélinas, de Daniel Sernine, de Francine Pelletier, d’Héloïse Côté (pour n’en nommer que quelques-uns), qui passent par le point de vue d’un personnage enfant ou adolescent. L’école ou en tout cas une certaine période de formation constitue une étape obligatoire dans ces romans. Et je ne suis pas en reste ! Dans Terre des Autres, un des chapitres où l’on pénètre le plus à fond dans la culture des Darztls, mais aussi où l’on a un point de vue darztl sur la société des humains, est « Le pire des deux mondes », où l’on suit le personnage de Sklip, ce jeune garçon à la fois étranger chez les Darztls, et étranger chez les humains où il retourne. On assiste à son apprentissage, et l’on apprend avec lui.

 

Horizons imaginaires : Comment votre expérience en tant qu’enseignante nourrit-elle votre expérience en tant qu’auteure ? Et vice-versa ? Y a-t-il un quelconque aspect surnaturel dans la profession d’enseignante ?

 

Sylvie Bérard : Je suis professeure de littérature, alors je crois que mon expérience d’auteure est précieuse quand j’enseigne. J’aime bien aborder les livres comme des objets terminés, complets, sans me soucier des intentions de l’auteur, parce que c’est ainsi que j’aimerais qu’on lise mes livres : comme si je n’existais pas, ou en tout cas, indépendamment de ce qu’on pense que je voulais y mettre. Le livre est là, il est terminé, imprimé, relié, et ce n’est plus mon travail de l’interpréter. Cependant, je sais en même temps que ma sensibilité d’écrivaine contribue à mon expérience de lecture. Quand je lis, je ne peux pas m’empêcher de penser aux choix que l’auteur a pu faire durant le processus d’écriture : le titre du livre (quoique l’éditeur a parfois son mot à dire là-dessus), le nom des personnages, la présence de tel personnage, etc. Et même des « non-choix » : des détails plus inconscients (peut-être, mais comment le savoir?), que je suis prête à ce qu’on repère dans mes livres sans que j’aie eu l’intention de les y mettre, et que j’aime bien analyser dans les textes.

Par ailleurs, j’aime bien la dernière question : « Y a-t-il un quelconque aspect surnaturel dans la profession d’enseignante ? » Constamment ! De la même façon qu’un roman contient toujours plus que ce qu’on a voulu y mettre, un bon cours va toujours plus loin que là où l’on avait prévu qu’il aille. C’est de la magie, celle liée à l’alchimie de la lecture, à l’alchimie d’un groupe qui fait que chaque expérience est spéciale et absolument non répétable !

Crédit photo : Sylvie Bérard

Horizons imaginaires : Lequel de vos livres auriez-vous aimé lire à notre âge (16-20 ans) ?

 

Sylvie Bérard : Mais tous ! Et je les aurais tous lus aussi, parce que j’étais une lectrice avide ! Je ne pouvais pas découvrir un auteur et l’aimer sans ensuite lire toute sa production. J’ose espérer que j’aurais aimé mes propres écrits, mais je pense que oui parce que je me laisse volontiers influencer par les thèmes de la science-fiction classique que j’ai lue plus jeune. Je pense que j’aurais aimé lire La Saga d’Illyge parce qu’on y fait la connaissance d’un personnage féminin depuis sa naissance jusqu’à ce qu’elle soit une jeune adulte. J’aurais aimé trouver plus de personnages de filles dans les romans de science-fiction que je lisais à votre âge ! Ce n’est pas un personnage parfait, c’est même une jeune fille solitaire pas toujours sympathique, qui devient une adulte qui se cherche longtemps, mais c’est aussi une personne habitée par une passion de créer. C’est un roman qui, même s’il décrit une société assez dystopique, laisse la place à de multiples identités. J’aurais aimé, en tant qu’adolescente et jeune adulte, lire plus de livres qui m’auraient montré que je pouvais être socialement tout ce que je savais être à l’intérieur de moi-même.

Illustration : Guy England