Par Francesca Robitaille

 

Rouge la chair de Dynah Psyché, un roman paru aux Éditions XYZ en 2016, touche un peu aux genres de l’imaginaire, surtout à la fantasy, dans l’espèce de représentation postcataclysmique et écologique qui sous-tend ce récit survivaliste. Fiona, une jeune fille de quinze ans, aide sa tribu à compléter les préparatifs de la migration vers l’intérieur des terres pour la saison des pluies. Toutefois, peu avant le grand départ, un raz-de-marée anéantit leurs plans. Fiona se retrouve seule sur une petite île, dans la mangrove engloutie, et elle doit s’organiser rapidement afin de survivre par elle-même. Sur son îlot, notre jeune héroïne doit soudainement vivre le deuil d’une amie dont elle retrouve le cadavre échoué, en plus de gérer ses ressources quotidiennes, composées des vivres parfois intacts qu’elle déniche dans les sacs de provisions qui ont survécu au passage de la vague immense. Elle réussit peu à peu à mener une vie plutôt confortable pour une rescapée, dont l’équilibre sera toutefois ébranlé lorsque surviennent des enfants de sa tribu, menés par Fulbert, un garçon plus jeune qu’elle de quelques années dont l’attirance pour la violence et la chasse provoque bien des ennuis. La division devient alors de plus en plus vive entre les jeunes, qui gravitent autour de Fiona ou de Fulbert, et la faim, sournoise, avive leurs dissensions…

 

Dès le début de ma lecture, je me suis sentie interpellée par la superbe écriture de l’auteure. D’après moi, elle a su créer un bel et délicat équilibre entre un vocabulaire simple et un autre plus recherché, notamment dans les descriptions de l’île, de sa flore touffue et de ses rivages sablonneux, ce qui m’a donné l’impression de sentir des vagues bercer l’esquif de ma lecture. À cela s’ajoute le personnage attachant de Fiona, le fidèle portrait d’une adolescente à la recherche de sa liberté, qui conserve tout de même sa famille et ses amies dans son cœur.

 

Crédit: Francesca Robitaille

 

Au fur et à mesure que j’ai progressé dans la lecture de Rouge la chair, le style d’écriture continuait à m’émerveiller. Toujours maîtrisé, il fait aussi très bien écho aux tentatives de Fiona pour préserver sa civilité, et à travers cela, son humanité. Cependant, la présence fortuite de crèmes et de produits hygiéniques m’a semblé un peu être un deus ex machina dont l’auteure s’est servie pour préserver l’humanité de son personnage principal. Je me demande si Fiona aurait été capable de demeurer aussi parfaite dans sa situation si elle avait été obligée de perdre les moyens d’aisance que la chance lui offrait, si son milieu avait été plus hostile. Je crois que sa sauvagerie aurait été beaucoup plus évidente — et je n’en aurais pas été mécontente.

 

L’arrivée des jeunes enfants stimule l’histoire, notamment en ajoutant au récit la trame du combat qui oppose Fiona et Fulbert pour la position de chef de bande et pour les ressources qu’ils doivent partager. Cependant, j’ai trouvé que tous les conflits entre les enfants s’arrêtaient un moment trop tôt, juste avant qu’ils ne deviennent trop sauvages, comme si la possibilité que ces petits commettent les pires actes sous les yeux des lecteurs était trop répréhensible, qu’elle envisageait un futur ne pouvant pas être considéré. Ou serait-ce seulement moi qui a l’opinion bien pessimiste qu’une telle réalité soit normale dans les circonstances où les enfants du roman se retrouvent? Dans tous les cas, Fiona m’a semblé être demeurée trop civilisée, trop en contrôle, pour que ce soit crédible dans la situation où elle se retrouvait.

 

D’ailleurs, plus j’ai avancé dans ma lecture, plus j’ai trouvé Fiona trop parfaite. Trop idéale. Si une initiative ne réussissait pas du premier coup, la solution qu’elle trouvait très rapidement lui permettait de reprendre son avantage sur Fulbert sans difficulté. Ça semblait trop facile pour elle… Bien que cette tendance puisse symboliser le triomphe moral de la civilisation sur la barbarie, cela ne devrait pas s’accomplir sans passer par une lutte pénible, chose qui ne se reflète pas très bien dans la dynamique du petit groupe de rescapés. De plus, chaque excès de violence qui anime parfois Fiona n’est qu’un acte de défense contre une attaque d’autrui ou un moyen qu’elle trouve pour prévenir une possible attaque à venir; jamais on ne présente Fiona comme si elle avait tort d’user de violence, jamais elle ne se sert de la violence à mauvais escient… J’ai trouvé que cela ignorait certaines nuances du récit survivaliste qui auraient rendu l’intrigue et les rapports des personnages de Rouge la chair plus puissants.

 

De plus, pour être très honnête, je ne peux pas dire que j’ai apprécié la présence du mince filon surnaturel dans le roman — qui concerne le bébé lamantin que certains enfants veulent attraper pour le manger, tandis que d’autres souhaitent le garder en sécurité. Peu d’éléments offraient un cadre satisfaisant à cette partie du récit, qui aurait gagné en valeur symbolique si des bribes de légendes locales ou de folklore insulaire ailleurs dans le récit m’avaient amenée à mieux saisir la présence de l’imaginaire autour de cette créature. Bien que je trouve que l’idée elle-même se combine bien avec le milieu où survivent les enfants, la façon dont elle a été exploitée ne m’a pas semblé concorder avec le reste de l’histoire.

 

Crédit: Francesca Robitaille

 

La fin très joyeuse du récit envoie un message ambivalent, à la fois optimiste et cruellement sans partage: «Oui, nous pouvons rester humains, mais pour ce faire, il faut que tous les gens avec des tendances violentes et déviantes soient éliminés». L’histoire se termine sur des retrouvailles un peu invraisemblables, aux réflexions aigres-douces qui ne semblent pas à leur place dans cette scène, rendue trop heureuse par le fait qu’aucun des «gentils» n’est mort et qu’aucun d’entre eux n’ait dû commettre de meurtres pour leur victoire.

 

Bref, toute la deuxième moitié du roman m’a paru s’éloigner d’un climax que j’espérais voir surgir, et j’ai été assez déçue du résultat final. Rouge la chair m’a donné l’impression que l’auteure avait trop peur de déranger ses lecteurs en tuant un des «gentils» ou en l’obligeant à perdre une grande partie de son humanité pour assurer sa survie. Ma déception s’explique sans doute par le fait que j’ai été séduite par le début, mais que l’intrigue n’est pas allée dans la direction où mes attentes espéraient qu’elle se rende. Malgré cela, je lirai sûrement d’autres œuvres de Dynah Psychée, ne serait-ce que pour son superbe style d’écriture.

 

***Les Horizons imaginaires tiennent à remercier l’éditeur
pour l’exemplaire du livre reçu en service de presse.***

 

Révision: Sylvain Liu et Mathieu Lauzon-Dicso