Par YinNan Huang

 

La plupart du temps, ma relation avec un roman, bien que plaisante, est de courte durée. J’en choisis un parmi les étagères d’une bibliothèque, et après avoir voyagé dans l’univers imaginaire de celui-ci, je suis prête à le remettre à sa place, et à partir à la recherche d’une nouvelle histoire. Par contre, il y a un roman graphique avec lequel, plus tôt cette année, j’ai eu une relation un peu moins banale.

 

Il y a environ neuf mois, je venais de terminer mon cours de conduite théorique durant lequel j’avais failli m’endormir à maintes reprises. Par chance, mon ami était là pour me redonner du courage. On avait l’habitude de prendre le même bus pour rentrer chez nous, puisqu’on habitait à exactement trente-trois pas l’un de l’autre. Pendant qu’on attendait le bus, il a décidé de me montrer un roman graphique qu’il étudiait dans le cadre de son cours d’anglais. La première question qui m’est venue à l’esprit a été: «Pourquoi est-ce qu’ils peuvent étudier un roman graphique en classe, alors que ma classe est prise à lire l’Iliade? » Puis, je me suis demandé si un livre lu pour l’école pouvait être bon, roman graphique compris… Croyez-le ou non, mon ami a fini par me convaincre du mérite de son livre, et j’ai passé le reste du trajet d’autobus à le lire, en commençant très aléatoirement au deuxième tiers. Tout ce que je me rappelle de cette première lecture est d’avoir vu des squelettes en train de travailler dans un restaurant, d’avoir aperçu un esprit domestique et d’avoir posé beaucoup de questions à mon ami! J’aurais bien voulu garder le roman pour le lire, mais il en avait encore besoin pour son cours…

 

Crédit: YinNan Huang

 

Savez-vous comment certaines personnes promettent de vous rappeler, puis elles ne le font jamais?  C’est exactement comme ça que je me suis conduite envers ce roman, puisque je l’ai oublié pendant quatre mois, jusqu’à l’approche de l’anniversaire d’un autre ami.

 

En effet, comme je n’arrivais pas à trouver ce que je voulais lui offrir en visitant de nombreuses boutiques de Montréal, j’ai essayé de trouver une solution de rechange, sans succès. Exaspérée, je me suis résignée à accompagner un ami à la librairie, parce qu’il avait déjà sa propre idée d’un cadeau en tête. Une fois sur place, j’ai commencé à me dire qu’un roman graphique ferait un excellent cadeau… (Je me demande d’où m’est venue cette inspiration aussi soudaine que subreptice…) Et voilà que le roman délaissé il y a quelques mois s’est imposé à moi. Le seul problème, c’est que je ne me souvenais plus de son titre, alors le retrouver dans la librairie n’allait pas être une tâche aisée. Après plusieurs tentatives infructueuses dans le moteur de recherche de la librairie, j’ai décidé qu’il serait sûrement plus sage de partir et de revenir une autre fois, après avoir demandé le titre à mon ami. Mais juste au moment où je tournais les talons pour partir, je me suis retrouvée face à face avec le roman, qui était sur une étagère devant moi. C’était Seconds du Canadien Bryan Lee O’Malley, le créateur de Scott Pilgrim. Parfois, je dois avouer que les esprits des librairies font les choses aussi bien que ceux des foyers!

 

J’ai offert le livre en cadeau à mon ami le jour de son anniversaire, bien que je ne l’avais pas lu. Je me suis dit que si jamais j’avais fait le mauvais choix, il y aurait toujours moyen de revenir en arrière… en rapportant le roman. Mais bon, c’était malgré tout étrange: même si Seconds et moi nous rencontrions pour la seconde fois, je n’avais toujours pas eu la chance de faire sa connaissance. J’avais pourtant la vague impression que nos chemins allaient se croiser de nouveau.

 

Entretemps, j’avais rejoint l’équipe du blogue culturel, et à l’approche des vacances d’été, l’idée m’était venue d’écrire un article à propos du roman que je n’avais pas encore lu. Je ne voulais pas laisser passer de nouveau la chance de faire sa connaissance. Une fois le projet d’article approuvé, j’ai volé le livre à mon ami – qui ne l’avait d’ailleurs pas encore lu!

 

Crédit photo: YinNan Huang

 

Une nuit, j’étais de mauvaise humeur, alors j’ai décidé de me tourner vers Seconds en guise d’échappatoire. J’ai ainsi découvert que le roman illustre l’histoire de Katie Clay, talentueuse cuisinière à un restaurant nommé Seconds; son rêve est toutefois d’ouvrir son propre restaurant. Après quelques ennuis qui compliquent la relation entre Katie et son petit ami, l’esprit qui protège sa maison lui offre des champignons magiques qui lui permettent de revenir dans le passé et de réparer ses erreurs… ou du moins, c’est ce qu’elle croit. Rapidement, elle ne peut plus se passer d’eux, et à force d’en abuser, elle fâche l’esprit de la maison et se met dans des situations de plus en plus indésirables.

 

Parfois, on a tendance à visionner indéfiniment un même événement mentalement, en se disant que si seulement on avait fait une simple action autrement, on n’en serait pas arrivé à un résultat désastreux. Le moment nous paraît si proche qu’on a quasiment l’impression de pouvoir retourner en arrière, mais on réalise que le passé demeure toujours hors de notre portée. Le dénouement du roman nous montre que ses personnages, malgré la magie ambiante, ne peuvent pas plus que nous défier les lois du temps qui passe.

 

Ç’aurait été romantique de terminer cet article en disant que le roman m’avait extrêmement marquée, mais mon impression honnête est que je l’ai tout simplement bien apprécié. En fait, s’il m’est tout de même un peu plus spécial que d’autres, c’est parce que c’est le seul roman graphique que j’ai lu en une seule nuit, jusqu’à présent. Il repose encore aujourd’hui sur ma table de chevet, et mon ami ne l’a toujours pas lu. Une fois ce texte terminé, je compte le rendre à son propriétaire légitime. J’espère bien que ce compte rendu de ma découverte du livre saura le convaincre que Seconds et lui sont destinés à s’ouvrir l’un à l’autre, et peut-être que vous l’êtes vous aussi, lecteurs fidèles des Horizons imaginaires!

 

Révision: Yu Hong et Mathieu Lauzon-Dicso