Par Alina Orza

 

De quoi aurait l’air un monde où la magie serait une infortune plutôt qu’une bénédiction ? C’est la question que Sylvie Denis semble lancer dans son intrigant et captivant roman de high fantasy Haute-École, paru en 2004 aux éditions L’Atalante dans la collection La Dentelle du cygne. Le monde de la Haute-École est divisé en deux territoires qui se livrent une guerre continuelle : le Royaume intérieur, où les magiciens sont éliminés dès la naissance, et le Royaume extérieur, au sein duquel siège la Haute-École de Dramanorre. S’il faut la comparer à une autre institution bien connue, la Haute-École est une version maléfique du Poudlard de la série Harry Potter : les jeunes magiciens y sont emmenés de force dès que leurs pouvoirs se manifestent durant la puberté. Dans ce pensionnat, les jeunes hommes dotés de pouvoirs magiques suivent divers entraînements qui varient selon la nature de leurs dons et qui les mènent à jouer différents rôles au sein du service public, auxquels ils seront affectés toute leur vie, à la suite de leur diplomation. Cette école est donc une usine à lavage de cerveaux, que son directeur, Hérus Tork, dirige d’une main de fer. Craint dans tout le Royaume extérieur, Tork incarne le pouvoir derrière le pouvoir : son rôle de « fournisseur » de magiciens aux plus grands marchands et aristocrates du royaume lui assure une position influente en tant que conseiller du prince de la couronne, Orghon. Le régime totalitaire de la Haute-École inspire ainsi la peur chez les habitants du Royaume extérieur. Mais pas pour longtemps, car dans l’ombre, les clandestins se réunissent, les humains et les magiciens se rassemblent, et une rébellion se prépare…

 

L’intrigue de Haute-École se développe plutôt lentement : les premiers dix à quinze chapitres sur les cinquante-sept que contient le roman sont entièrement consacrés à nous situer dans l’intrigue et à nous présenter les personnages principaux à travers une narration polyphonique. Les premières cent pages m’ont donc paru plutôt ennuyeuses et, même, sources d’une certaine confusion : les longs chapitres qui décrivent les personnages et leurs situations, ainsi que le changement constant d’un narrateur à l’autre, rendent difficile le début de la lecture, particulièrement si l’on n’est pas un habitué de la high fantasy. Toutefois, après ces premières difficultés, je trouve que l’intrigue se poursuit à un rythme agréablement plus soutenu, et les différentes intrigues qu’on voyait naître commencent à s’entrecroiser subtilement, ce que j’ai apprécié. Au fur et à mesure que les différents personnages se rencontrent enfin et que les pièces du casse-tête s’assemblent peu à peu, on commence à comprendre comment tout est interrelié, et on attend avec impatience l’arrivée d’un autre personnage dans l’intrigue principale. Cependant, alors que la rotation constante entre les points de vue des narrateurs permet à la toile narrative de gagner de l’ampleur, en nous offrant du nouveau à voir sous plusieurs angles, elle empêche également le développement satisfaisant de tous les personnages. Certains d’entre eux, comme Sargh, le garde-espion à la cour d’Orghon, paraissent plutôt inutiles à l’intrigue, puisque d’autres arrivent facilement à le remplacer.  Par exemple, Arik Renshaw, un des personnages principaux, est également espion, et en bien meilleure position que Sargh pour récolter des informations qui pourraient aider son plan de révolte, puisqu’il est  courtisan dans l’entourage immédiat du prince. Le rôle d’espion aurait donc pu être relégué à Arik, ce qui aurait permis de creuser ce personnage davantage et de s’attacher davantage à lui. En effet, parmi la vingtaine de personnages présents dans le roman, Arik semble être central à l’intrigue ; toutefois, même s’il est décrit comme un héros, voire comme un prophète, pour avoir osé défier la Haute-École, on a du mal à ressentir le charisme et la bonté que les autres personnages lui attribuent presque sans faille. Bien qu’il soit un supposé « héros », Arik possède une multitude de défauts : il est arrogant, capricieux, impulsif et, bien souvent, égoïste. Cette incohérence entre la vision que les autres personnages ont de lui et celle qu’on s’en fait en tant que lecteurs est malgré tout très intéressante, car elle reflète finalement la vraie personnalité d’Arik : considéré comme un être parfait par les autres, il n’est après tout qu’un simple humain. On aimerait simplement en savoir un peu plus sur lui et sur d’autres personnes rencontrés, comme Madge, Zorr ou bien même Elizabeth…

Crédit photo : Alina Orza

En outre, je trouve que le fonctionnement de la Haute-École elle-même aurait pu être mieux décrit. En effet, en dehors de son rôle de « production » des magiciens qui seront ensuite exploités par la société, on n’en sait pas plus sur le mystérieux établissement que Hérus Tork dirige d’une main de fer. Le seul personnage qui nous en fait savoir davantage sur le fonctionnement de l’École est Raoul des Crapauds, qui est cependant vite relégué au poste de cuisinier en raison de son peu de talent en magie, avant d’être ensuite transféré dans un programme « spécial ». J’aurais aimé qu’on m’en révèle un peu plus sur la structure de la Haute-École, que le livre satisfasse davantage ma curiosité d’étudiante à ce sujet. Même si je comprends que tout cela s’explique par le fait que la majorité de l’action du roman se passe ailleurs, je crois tout de même qu’une description plus complète des lieux et du climat de l’école n’aurait fait qu’ajouter du bon à l’intrigue et, probablement, à l’horreur qu’inspire la Haute-École aux habitants du royaume.

 

Bref, quand bien même je dois dire que le roman Haute-École de Sylvie Denis présente certains défauts, liés au développement des personnages secondaires, notamment, il s’agit d’un récit de high fantasy qui n’en demeure pas moins plein d’actions, et ses personnages principaux sont extrêmement intéressants. C’est une lecture électrisante, lorsqu’on lui donne la laisse le temps d’atteindre sa vitesse de croisière et de nous emmener dans ses multiples intrigues très captivantes !