Les œuvres d’Octavia E. Butler se démarquent par la manière dont elles abordent les questions de genre, de race, de politique, de religion et de sexualité. En tant qu’amatrice de livres qui me forcent à me questionner sur l’état des choses, je suis déçue du temps qu’il m’a pris pour lire une de ses histoires. Je vous recommande d’apprendre de mon erreur et de lire La Parabole du Semeur au plus tôt. Bien que ce soit en partie ma responsabilité de dénicher les livres qui m’intéressent, je trouve que les suggestions de science-fiction et de fantasy manquent d’auteurs PANDC (des personnes Autochtones, Noires, et de couleur). En discutant du thème de ce dossier, Olivia, Maggie et moi-même avons constater que les œuvres des auteurs PANDC que nous avons lu étaient plus mémorables et nous poussaient à nous questionner sur de nouvelles idées (tel que vous pourrez le voir dans notre discussion du dossier ici). Pour moi, c’est cette distinction qui me pousse à élargir mes horizons, et grâce à ce dossier, j’ai déjà une liste de titres à commander d’auteurs de science-fiction et de fantasy PANDC que j’ai hâte de recevoir. J’espère qu’il en sera de même pour vous.

La Parabole du Semeur suit Lauren Olamina, une adolescente vivant dans une communauté en banlieue de Los Angeles et dotée de la capacité à ressentir la douleur des gens autour d’elle. Dans son monde, une sécheresse sans fin causée par le réchauffement climatique détruit peu à peu la Californie, réduisant l’accès à la nourriture et à l’eau pour les habitants de la région. La violence est partout à l’extérieur des clôtures de la communauté d’Olamina, forçant les adolescents à apprendre le maniement d’armes à feu afin d’être en mesure de se défendre et de protéger leurs proches.  Réaliste et déterminée, Olamina passe la majorité de son temps en aidant sa belle-mère à enseigner aux enfants de leur petite communauté tout en essayant, du mieux qu’elle peut, de cacher son hyperempathie aux autres et d’éviter de ressentir leur souffrance. La vie dans ce monde est pénible : pour les plus démunis, les emplois ne sont pas rémunérés en argent, la nourriture, et surtout, l’eau potable sont des denrées extrêmement coûteuses et rares. À cela s’ajoute les populations de gangs, de sans-abris et de Pyros (des toxicomanes de la drogue Pyro, une substance qui cause des tendances pyromanes chez ses utilisateurs) qui n’hésitent pas à attaquer et à piller une communauté si cette dernière est assez fortunée pour combler à ses besoins. Ces détails contribuent, une fois de plus, à renforcer l’image d’une Californie asséchée et ravagée, marquée par les conséquences du réchauffement climatique et de la violence humaine.

© Francesca Robitaille

Malgré ses tentatives de patrouilles armées, la communauté d’Olamina se retrouve, elle aussi, victime d’un incendie criminel. Le village succombe rapidement aux flammes et ses habitants, dans leur tentative de fuite, se font sauvagement violer et tuer par les Pyros, instigateurs du brasier.  Parmi les trois rescapés se trouvent Olamina, qui a survécu en se cachant des Pyros saccageant et pillant son village. Les trois survivants ont nul autre choix que  de partir vers le nord à pied en suivant les autoroutes, traversée rendue plus difficile dû à la fermeture des frontières entre les états.  Une nouvelle communauté se forme alors, peu à peu, avec les voyageurs qu’Olamina rencontre lors de son périple. Avec ces derniers, elle jettera les bases de sa propre religion, qu’elle appelle Le Livre des Vivants (elle utilise aussi ce même nom pour son recueil de poèmes). Cette nouvelle religion est fondée sur les choix de ses croyants. Ceux qui y adhèrent reconnaissent que ce sont leurs propres choix qui les mèneront vers une meilleure situation que celle dans laquelle ils se trouvent actuellement.

La Parabole du Semeur est une critique poignante de plusieurs problématiques liées à notre réalité, à laquelle s’ajoute une réprimande subtile de plusieurs autres. On peut y voir les conséquences du changement climatique, de la crise d’opioïdes et de l’inégalité des revenus, tous démontrés à travers les discussions et les choix des personnages. Cependant, on ne retrouve jamais chez Olamina la mentalité que les choses vont se régler par elles-mêmes. Bien avant que sa communauté soit décimée par la violence, Olamina se préparait déjà au changement qu’elle sait arrivera tôt ou tard. Pas une fois n’a-t-elle fait confiance au système et ce sentiment est notamment reflété dans ses poèmes qui deviennent subséquemment les bases de sa propre religion Ce même état d’esprit peut être observé chez les communautés PANDC d’aujourd’hui, notamment lorsqu’il est question de racisme institutionnel. Olamina m’a permis de me rapprocher, bien plus que je ne le pourrais autrement, de ces groupes de personnes et de partager un moment de leur vie aux prises avec cette réalité.

Le roman illustre clairement le croisement des problématiques sociales. L’intersectionnalité présente parmi les systèmes d’oppression et leur renforcement mutuel est un thème récurrent dans l’histoire. Par exemple, on voit comment le manque d’accès à l’éducation et le racisme affectent la population. J’apprécie que Butler démontre les conséquences de ces problématiques séparément et ensuite ensemble. Cette progression permet aux lecteurs de mieux comprendre et visualiser les implications, particulièrement pour les gens qui sont moins affectés par les problématiques en question. Comme une personne est rarement affectée par toutes les problématiques en même temps, je crois que La Parabole du Semeur aide à rapprocher les différences qui existent entre les expériences des victimes des différentes problématiques. À travers le voyage vers le nord, on peut voir que ce sont les communautés de PANDC qui sont démesurément représentés dans les groupes migrants vers de meilleures conditions de vie, dû à un manque d’accès à l’éducation et à l’inégalité salariale. Les conditions ont mené au développement de cité-compagnies offrant des conditions de vie qui se rapprochent de l’esclavage et où les travaux difficiles sont principalement effectués par des PANDC et les emplois rémunérés en salaire sont données à priori aux hommes blancs. 

Par exemple, lors d’une discussion entre les adultes voyageurs, Harry, le seul membre blanc, se fait dire qu’il pourrait probablement se trouver un emploi payant s’il voulait devenir un surveillant d’esclaves sur une ferme industrielle. Il refuse véhément lorsqu’il comprend les implications du poste, mais ses actions lors du voyage démontrent à plusieurs reprises que les conséquences ressenties par les communautés BIPOC et blanches sont souvent différentes, même si les membres du groupe se retrouvent tous dans le même bateau. 

© Francesca Robitaille

Ultimement, la science-fiction représente une critique du monde actuel (des années 1990, dans ce cas-ci). La Parabole du Semeur dépeint un monde post-apocalyptique dans lequel les conditions sociales qui ont été ignorées ont atteint ou même dépassé le point critique. Les personnages doivent maintenant faire face aux conséquences de leur délaissement. L’œuvre d’Octavia E. Butler met en scène une nouvelle génération qui doit maintenant faire face à la réalité et vivre avec les effets d’une telle négligence. Le roman pose la question suivante à ses lecteurs : est-ce le futur que vous désirez? À ceux qui répondent non, le chemin à prendre est clair: « Tu dois changer et tu dois aider ta communauté à changer. »